ACTES XXII

HOMÉLIE XXII. IL Y AVAIT A CÉSARÉE UN HOMME NOMMÉ CORNEILLE, QUI ÉTAIT CENTENIER DANS UNE COHORTE DE LA LÉGION APPELÉE L'ITALIENNE ; IL ÉTAIT RELIGIEUX ET CRAIGNANT DIEU; AVEC TOUTE SA MAISON, IL FAISAIT BEAUCOUP D'AUMÔNES AU PEUPLE , ET IL PRIAIT DIEU INCESSAMMENT. UN JOUR, VERS LA NEUVIÈME HEURE , IL VIT CLAIREMENT DANS UNE VISION UN ANGE DE DIEU QUI SE PRÉSENTA DEVANT LUI ET LUI DIT : « CORNEILLE! » ALORS, REGARDANT L'ANGE , IL FUT SAISI DE FRAYEUR, ET LUI DIT : « SEIGNEUR, QU'Y A-T-IL ? » L'ANGE LUI RÉPONDIT : « VOS PRIÈRES ET VOS AUMÔNES SONT MONTÉES JUSQU'EN LA PRÉSENCE DE DIEU , ET IL S'EN EST SOUVENU ». (CHAP. X, 1, 2, 3, 4, JUSQU'AU VERS. 22.)

 

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ANALYSE. 1-3. Histoire du centurion Corneille.

3 et 4. Développement original et brillant sur la charité comparée à une source d'eau vive.

 

1. Ce n'est pas un Juif, il ne vit pas selon la loi; mais c'est un homme qui suit déjà nos institutions. Et voyez, deux croyants : l'eunuque de Gaza, et l'homme d'aujourd'hui ; tous deux, constitués en dignité, tous deux l'objet d'un soin spécial. Mais ne croyez pas que cette grâce leur vienne de leur dignité; non, éloignez de vous cette pensée ; elle leur est accordée à cause de leur piété. Leur dignité ne leur a été accordée que pour mieux faire briller leur piété. En effet, on admire plus un riche, un homme puissant, qui montre des vertus semblables. Certes, c'est une grande gloire pour l'eunuque que ce grand voyage entrepris par lui,que ces lectures non interrompues dans de pareilles circonstances, au milieu du voyage; que ce soin de faire monter Philippe à côté de lui dans son char, et tant d'autres détails. C'est une belle gloire aussi pour le centenier, que ses aumônes, ses prières, au milieu du commandement qu'il exerce. Voilà pourquoi l'Ecriture fait mention de sa charge , et c'est avec raison, pour éviter le reproche de mensonge. «Dans une cohorte », dit l'Ecriture, « de la légion appelée italienne ». Le mot « cohorte » correspond à ce que nous appelons aujourd'hui « nombre » . — « Il était religieux et « craignant Dieu, avec toute sa maison ». Ceci est dit afin que vous n'alliez pas attribuer à sa dignité la faveur qu'il a reçue. Quand il fallut attirer Paul à la foi , ce: ne fut pas un ange, ce fut le Seigneur lui-même qui lui apparut. Et le Seigneur ne l'envoie pas au premier venu parmi les douze, mais à Ananie. Ici, an contraire. Dieu envoie.un ange, comme il envoie Philippe à l'eunuque, s'accommodant à l'infirmité de ses serviteurs, et enseignant par là comment nous devons nous conduire dans les mêmes circonstances. Car le Christ se montre souvent lui-même à ceux qui souffrent et qui ne trouvent pas en eux les moyens de s'approcher de lui. Maintenant, voyez encore ici un éloge de l'aumône, comme nous en avons. vu un à propos de Thabite. « Il était religieux et craignant Dieu, avec toute sa maison». Ecoutons, tous tant que nous sommes, nous qui ne prenons pas de soin de nos domestiques. Celui-ci prenait soin de ses soldats et faisait l'aumône à tout le peuple. C'est ainsi qu'il était irréprochable dans ses croyances, dans sa conduite. « Un jour, vers la neuvième heure, il vit clairement, dans une vision, un ange de Dieu, qui se présenta devant lui, et lui dit : Corneille ! » Pourquoi voit-il un ange? C'est afin que Pierre soit pleinement convaincu; ou plutôt, ce n'est pas pour (102) prévenir l'hésitation de Pierre, mais celle des autres moins fermes que lui. Maintenant, « vers la neuvième heure », c'est-à-dire, quand il était libre de soins, en repos, en prières, dans la contrition du coeur. « Alors, regardant l'ange, il fut saisi de frayeur ». Remarquez: l'ange ne lui dit pas tout de suite ce qu'il doit lui annoncer; il le rassure d'abord et relève son esprit. Si la vision lui inspira de la crainte, ce fut toutefois une crainte modérée , qui ne faisait qu'appeler son attention. Les paroles de l'ange le rassurèrent , ou plutôt l'éloge qu'elles renfermaient, adoucirent sa crainte. Quelles furent ces paroles? Ecoutez : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu'en la présence de Dieu, et il s'en est souvenu. Envoyez donc présentement des personnes à Joppé, et faites venir un certain Simon, surnommé Pierre (5) ». Pour prévenir toute erreur des envoyés , il ne se contente pas de dire le surnom, il marque aussi le lieu où l'on trouvera celui que l'on cherche. « Qui est logé chez un corroyeur, nommé Simon , dont la maison est près de la mer (6) ».

Voyez-vous comme les apôtres, dans leur amour de la solitude, de la tranquillité, recherchaient les parties des villes qui se trouvaient à l'écart? Que serait-il arrivé , s'il s'était rencontré un autre Simon, corroyeur aussi lui-même ? Mais l'ange donne encore une autre indication : l'habitation près de la mer. Ces trois circonstances ne pouvaient pas se rencontrer. L'ange ne lui dit pas pourquoi il devait agir ainsi , ce qui aurait pu ralentir son ardeur; il le laissa, excité du désir de savoir ce qui allait arriver. « Dès que l'ange, qui lui parlait, se fut retiré, Corneille appela deux de ses domestiques , et un soldat craignant Dieu, du nombre de ceux qu'il commandait, et, leur ayant dit tout ce qui lui « était arrivé, il les envoya à Joppé (7, 8) ». Vous comprenez? L'Ecriture n'ajoute pas ce détail sans motif ; c'est pour montrer que ceux qui lui obéissaient craignaient Dieu comme lui. « Et leur ayant dit tout ce qui lui était arrivé», dit le texte. Voyez la modestie de cet homme ! il ne dit pas: faites venir auprès de moi Pierre ; ce n'est que pour persuader l'apôtre qu'il raconte ainsi tout; il montre, en cela, de la prévoyance. Il ne croit pas devoir prendre un ton d'autorité, pour appeler Pierre; voilà pourquoi il raconte tout ce qui lui est arrivé; il fait preuve ainsi d'une rare modestie , quoiqu'il ne dût pas avoir grande idée d'un homme logé chez un corroyeur. « Le lendemain, lorsqu'ils étaient en chemin, et qu'ils approchaient de la ville, Pierre monta sur le haut de la maison où il était vers la sixième heure, pour prier (9) ». Voyez comme l'Esprit ménage les temps, n'allant ni trop vite, ni trop lentement ! « Pierre monta », dit le texte, « sur le haut de la maison, vers la sixième heure, pour prier », c'est-à-dire, se mit à l'écart, dans un lieu tranquille, comme le sont les chambres hautes. « Et ayant faim, il voulut manger; mais, pendant qu'on lui apprêtait de la nourriture, il lui survint un ravissement d'esprit, et- il vit le ciel ouvert (10) ». Qu'est-ce qu'un ravissement d'esprit? Son esprit entra en contemplation; son âme, pour ainsi dire, sortit de son corps. « Et il vit le ciel ouvert, et comme une grande nappe, liée par les quatre coins, qui descendait du ciel en terre, où il y avait de toutes sortes d'animaux terrestres, quadrupèdes, reptiles et oiseaux du ciel; et il entendit une voix, qui lui dit : Levez-vous, Pierre, tuez et mangez. Mais Pierre répondit : Je n'ai garde, Seigneur, car je n'ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé. Et la voix, lui parlant encore, une seconde fois, lui dit : N'appelez pas impur ce que Dieu a purifié. Cela s'étant fait jusqu'à trois fois, la nappe fut retirée dans le ciel (11, 12, 13, 14, 15, 16) ».

2. Que signifie cette vision ? C'est un symbole pour l'univers tout entier. Il s'agissait d'un incirconcis, n'ayant rien de commun avec les Juifs. Tous devaient bientôt accuser Pierre de transgresser la loi, qui leur était fort à coeur. Il était nécessaire que Pierre pût dire « Je n'ai jamais mangé ». Ce n'est pas que Pierre eût peur ; loin de nous cette pensée ! mais l'Esprit-Saint, comme je l'ai déjà dit, lui ménageait une réponse à ses accusateurs, à qui il pourrait dire qu'il avait fait résistance. C'étaient des gens qui tenaient fort à ce que la loi fût observée. Il était envoyé aux gentils. Donc il fallait que les Juifs ne pussent pas l'accuser, et toutes choses, comme je me suis empressé de le dire, furent disposées d'en-haut à cet effet. Il ne fallait pas non plus que cette visionne parût qu'une image fantastique. Pierre dit: « Je n'ai garde, Seigneur, car je n'ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et (103) souillé ». Et la voix lui dit : « N'appelez pas impur ce que Dieu a purifié ». Ces paroles, qui ne semblent s'adresser qu'à Pierre, sont dites uniquement pour les Juifs, car le reproche qui s'adresse au Maître, tombe à bien plus forte raison sur ceux-ci. La nappe c'est la terre, et les animaux qui sont dedans, représentent les gentils. Quant à ces paroles : « Tuez et mangez », elles signifient qu'il faut s'approcher des gentils; et ce fait, qui se reproduit jusqu'à trois fois, c'est l'emblème du baptême. « Je n'ai garde, Seigneur, car je n'ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé ». Mais pourquoi, direz-vous, ce refus? C'est pour qu'il ne fût pas dit que Dieu l'avait tenté, comme il tenta Abraham, en lui donnant l'ordre d'offrir son fils en sacrifice ; comme le Christ tenta Philippe , en lui demandant : Combien de pains avez-vous? Cette question n'était pas pour obtenir un renseignement, mais pour le tenter. Maintenant, dans la loi sur les choses pures et impures, les prescriptions de Moïse étaient précises, aussi bien en ce qui concerne les animaux terrestres qu'en ce qui concerne ceux de la mer. Et cependant Pierre ne savait à quoi se résoudre. « Lorsque Pierre était en peine en lui-même de ce que pouvait signifier la vision qu'il avait eue , les hommes envoyés par Corneille , s'étant enquis de la maison de Simon, se présentèrent à la porte. Ils appelèrent, et demandèrent, si ce n'était pas là que Simon , surnommé Pierre, était logé (17, 18) ».

Ainsi Pierre s'étonne en lui-même, il hésite, et ces hommes arrivent à temps pour le tirer de son hésitation. C'est ainsi que le Seigneur permit que Joseph eût un moment d'hésitation, et alors il lui envoya l'archange. (Matth. II,13.) C’est un bonheur pour l'âme de se voir délivrée de l'hésitation qui a commencé par la troubler. Pour l'hésitation de Pierre , elle n'était pas de longue date, il ne la ressentit qu'au moment du repas. « Cependant Pierre, pensant à la vision qu'il avait eue, l'Esprit lui dit: Voilà trois hommes qui vous demandent; levez-vous donc, descendez, et ne faites point difficulté d'aller avec eux, car c'est moi qui les ai envoyés (19, 20) ». Il faut voir, encore ici, une défense ménagée à Pierre auprès des disciples. C'est pour que ceux-ci sachent bien que Pierre a hésité, et qu'il a appris gaie son hésitation devait cesser : « Car c'est moi qui les ai envoyés ». Admirez la puissance de l'Esprit ! Ce que Dieu fait, on l'attribue à l'Esprit. L'ange ne s'était pas exprimé ainsi. Ce n'est qu'après avoir dit : « Vos prières et vos aumônes », qu'il ajoute : « Envoyez » ; il montre d'abord qu'il vient d'en-haut; mais comme l'Esprit est le Seigneur lui-même il dit : « C'est moi qui les ai envoyés. Pierre, étant descendu pour aller trouver ces hommes, leur dit : Je suis celui que vous cherchez; quel sujet vous amène? Ils lui répondirent : Corneille, centenier, homme juste et craignant Dieu, selon le témoignage que lui rend toute la nation juive, a été averti par un saint ange, de vous « faire venir dans sa maison, et d'écouter vos « paroles (21, 22) ». Ils font entendre cet éloge afin de bien montrer que c'est un ange qui a apparu à Corneille. Pierre les ayant donc fait entrer les logea (23) ». Voyez-vous par quoi commence l’oeuvre des gentils? Par un homme pieux que ses oeuvres ont rendu digne d'une telle faveur. Si, même dans ces circonstances, les Juifs sont scandalisés, supposez un homme ne méritant rien, que n'auraient-ils pas dit? « Pierre les ayant fait entrer », dit le texte, « les logea ». Voyez quelle sécurité ! il ne veut pas qu'il leur arrive rien; il les fait entrer, et il les reçoit avec une pleine confiance auprès de lui. « Le jour d'après, Pierre partit avec eux, et quelques-uns des frères de la ville de Joppé l'accompagnèrent; le jour d'après. ils arrivèrent à Césarée (24) ». Corneille était un personnage important, d'une ville importante ; en ce qui le concerne, tout est disposé avec sagesse; l'histoire commence par la Judée ; Corneille n'est pas endormi, mais il veille; et c'est pendant le jour que l'ange lui apparaît, environ à la neuvième heure ; c'était un homme d'une conduite exacte et régulière. Mais voyons, reprenons ce que nous avons déjà dit : « Et l'ange lui dit : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu'en la présence de Dieu, et il s'en est  souvenu ». D'où il est évident que l'ange l'appela, et que c'est là ce qui fait que Corneille a vu l'ange. Si l'ange ne l'avait pas appelé, il ne l'aurait pas vu, tant ce Corneille était appliqué à tout ce qu'il faisait! « Et faites venir Simon, surnommé Pierre ». En ce moment, l'ange lui montre qu'il doit le faire venir pour son utilité; mais pour quelle espèce d'utilité? L'ange n'en dit rien. Eh bien, de même, (104) Pierre ne dit pas tout. Vous ne voyez de toutes parts que des récits écourtés, pour piquer la curiosité. C'est ainsi qu'on appelle Philippe, seulement pour aller dans la solitude. « Pierre monta sur le haut de la maison, vers la sixième heure, pour prier, et il lui survint un ravissement d'esprit ». Il vit « comme une nappe » ; réfléchissez : la faim n'a pas été assez forte pour faire courir Pierre au linge déployé devant lui. Ce qui devait couper court à son hésitation , c'est la voix qu'il entendit : « Levez-vous, Pierre, tuez et mangez ». Peut-être était-il à genoux quand il vit la vision. Moi, je pense que c'est le prédication que signifie cette vision. Maintenant, qu'elle lui vint de Dieu, ce qui le prouve, c'est qu'elle descendait sur lui d'en-haut, et de plus, qu'il était dans un ravissement d'esprit. Ajoutez à cela qu'une voix se fit entendre d'en-haut; que le fait eut lieu trois fois; que le ciel s'ouvrit; que cela venait du ciel et y fut retiré; grande preuve que c'était là une opération tout à fait divine !

3. Et maintenant, pourquoi la chose se passe-t-elle ainsi ? Par égard pour ceux à qui Pierre devait la raconter; parce que lui-même avait entendu ces paroles : « N'allez point vers les gentils ». (Matth. X, 5.) Et ne soyez pas dans l'étonnement : si Paul fut forcé d'avoir recours à la circoncision et d'offrir des victimes, à bien plus forte raison ces ménagements furent utiles au début de la prédication pour ceux qui étaient encore. peu affermis. « Et voici », dit le texte, « que les hommes envoyés par Corneille se présentèrent à la porte ; ils appelèrent et demandèrent si ce n'était pas là que Simon, surnommé Pierre, était logé ». La maison était misérable ; voilà pourquoi ils demandent en bas des renseignements; ils ne vont pas interroger les voisins. « Cependant Pierre , pensant à la vision qu'il avait eue, l'Esprit lui dit: Levez-vous, descendez et ne faites point difficulté d'aller avec eux, car c'est moi qui les ai envoyés ». Remarquez, l'Esprit ne dit pas Car voilà pourquoi une vision vous est apparue; mais : « C'est moi qui les ai envoyés », montrant ainsi qu'il faut obéir, qu'il n'y a pas de compte à demander. Il devait suffire à Pierre, pour être persuadé, d'entendre l'Esprit. Faites cela, dites cela, n'en cherchez pas plus long. « Pierre étant descendu, leur dit : « Je suis celui que vous cherchez ». Pourquoi ne les reçoit-il pas aussitôt ? Pourquoi la question qu'il leur adresse? Il voit des soldats; il ne se contente pas de les interroger; il commence par se faire connaître, et il leur demande ensuite ce qui les amène, afin que sa question ne fasse pas croire qu'il veut se cacher. Et la question qu'il leur adresse est de telle sorte, que, si on le pressait, il partait tout de suite avec eux; sinon, il les logeait chez lui. Maintenant, pourquoi ceux-ci lui disent-ils : « Il vous prie de venir dans sa maison?» C'est parce que cet ordre leur avait été donné. Peut-être aussi est-ce une excuse au nom de Corneille, comme s'ils disaient : Ne le condamnez pas; ce n'est pas parce qu'il vous méprise qu'il nous a envoyés vers vous; il obéit à un ordre qu'il a reçu. « Et Corneille les attendait avec ses parents et ses plus intimes amis, qu'il avait assemblés chez lui ». Et c'est avec raison : il n'eût pas été convenable de ne pas réunir ses parents et ses amis; d'ailleurs ceux-ci , en se réunissant , devaient mieux entendre la parole de Pierre.

Avez-vous bien compris la puissance de l'aumône, et dans notre entretien précédent, et dans celui-ci ? Vous avez vu l'aumône délivrer de la mort qui n'a qu'un temps, elle délivre aujourd'hui de la mort éternelle.. Aujourd'hui l'aumône ouvre, de plus, les portes du ciel. Voyez quel bien précieux fut la foi pour Corneille ! elle lui valut la visite d'un ange, l'opération de l'Esprit en lui, le voyage du prince des apôtres se rendant auprès de lui, et une vision, qui ne laisse rien à désirer. Combien n'y avait-il pas à cette époque de centurions, de tribuns, de souverains? Et aucun d'eux n'a reçu pareille faveur. Ecoutez, vous tous, qui remplissez les armées, qui formez les cortèges des rois. « Il était religieux », dit le texte, « et craignant Dieu », et, ce qui vaut mieux encore, « avec toute sa maison ». Il était donc si attentif à la piété que, non-seulement il savait se conduire, mais il conduisait de même tous les gens de sa maison. Ce n'est pas là notre habitude à nous, qui ne négligeons rien pour nous faire craindre de nos serviteurs; mais qui, de leur piété, nous soucions fort peu. Il n'en était pas de même de Corneille; c'était avec sa maison tout entière qu'il craignait Dieu. Et il n'était pas seulement le père commun de tous ceux qui vivaient avec lui, mais le père de ses soldats. Ecoutez ce que l'on dit encore; ce n'est pas (105) sans dessein que le texte ajoute : « Tout le peuple rendait de lui témoignage ». C'était pour prévenir le reproche d'incirconcision. Les Juifs mêmes, dit le texte, lui rendent témoignage; donc il n'est rien d'égal à l'aumône; disons mieux : si grande est l'efficacité de l'aumône, lorsque les mains qui la dispensent sont pures, que, si les trésors injustement amassés ressemblent à des sources d'où jaillirait de la boue, les dons qu'épanche l'aumône ressemblent aux eaux limpides et pures, aux ruisseaux du paradis, pleins de charmes pour la vue, de charmes pour le toucher, répandant au milieu du jour une douce fraîcheur ; telle est l'aumône. Sur les rives de cette source ne s'élèvent pas des peupliers, des pins , des cyprès, mais des plantes bien supérieures et beaucoup plus élevées.: l'amour de Dieu, la considération auprès des hommes, la gloire rejaillissant jusqu'à Dieu, l'amour de tous, la rémission des péchés, la plénitude de la confiance, le mépris des richesses; l'aumône qui alimente l'arbre de la charité. Rien, en effet, n'entretient la charité autant que la miséricorde. C'est par elle que l'arbre élève ses rameaux dans les airs. Cette source vaut mieux que le fleuve du paradis; elle n'est pas divisée en quatre branches, elle touche le ciel même. C'est d'elle que sort le fleuve, rejaillissant dans la vie éternelle. (Jean, IV, 14.) La mort y tombe comme l'étincelle dans l'eau, où elle s'éteint, tant il est vrai que partout où elle jaillit, elle opère des biens ineffables ! elle éteint le fleuve de feu comme l'eau fait d'une étincelle; elle étouffe lever sinistre et le réduit à rien. Qui possède cette source ne grince pas des dents ; cette eau tombant sur les fers , les brise ; tombant sur les fournaises, les éteint toutes à l'instant.

4. Et comme le fleuve du paradis, on ne la voit pas tantôt verser des ruisseaux, tantôt se dessécher (s'il en était ainsi ce ne serait plus une source). C'est une source toujours jaillissante. Notre source épanche toujours des eaux plus abondantes, avant tout sur ceux qui ont le plus besoin de miséricorde; et, en même temps, la source est inépuisable. Et qui la reçoit se réjouit. Voilà l'aumône. Ce n'est pas seulement un courant rapide, mais un courant non interrompu. Veux-tu faire pleuvoir sur toi, des divines fontaines, la miséricorde de Dieu ? commence par avoir ta source à toi; rien ne vaut ce trésor. Si tu ouvres les issues de cette source, l'écoulement sera tel que tous les abîmes en seront comblés. Dieu n'attend de nous que l'occasion d'épancher sur nous tous les trésors qu'il tient en réserve. Dépenser, prodiguer, voilà, pour lui, la richesse, voilà l'abondance. Elle est grande l'ouverture de cette source ; pur et limpide en est le courant. L'ouverture, ne la bouchez pas, n'obstruez pas le courant, qu'aucun arbre stérile ne se dresse auprès pour en absorber les eaux. Avez-vous des richesses? ne plantez pas là des saules; tels sont les plaisirs, attirant tout à soi, n'ayant rien à montrer, ne portant pas de fruits; ne plantez pas de pins, ni rien de semblable, rien, de ce qui dépense et ne produit point. Tel est le plaisir de la toilette : c'est beau à voir, mais inutile; remplissez les abords avec de la vigne ; tous les arbres fruitiers que vous voudrez, plantez-les, dans les mains des pauvres. Rien n'est plus gras que cette terre-là. La capacité de la main est peu de chose, et pourtant, l'arbre planté là, s'élève jusqu'au ciel, et tient bon. Voilà ce qui s'appelle vraiment planter; car, si ce qu'on plante en terre ne meurt pas tout de suite, c'est pour périr dans cent ans. A quoi bon planter des arbres dont tu ne peux jouir? Avant que tu en jouisses, la mort arrive, et t'enlève; l'arbre dont je te parle, à ta mort, te donne son fruit. Si tu plantes, ne plante pas dans le ventre inutile de la gloutonnerie, le fruit s'en irait où chacun sait; mais plante dans les entrailles fertiles de l'affliction, dont le fruit bondit jusqu'au ciel. Fais goûter le repos à l'indigent déchiré dans les sentiers étroits, si tu ne veux pas voir l'affliction rétrécir ton large chemin. Ne remarques-tu pas que les arbres, arrosés sans mesure, ont les racines pourries; au contraire, ceux qu'on arrose modérément, s'accroissent et grandissent. Eh bien ! n'inonde pas ton ventre d'un excès de boisson, ne fais pas pourrir la racine de L'arbre. Donne à boire à celui qui a soif, afin que l'arbre porte son fruit. Le soleil préserve de pourriture les arbres arrosés modérément; mais ceux qu'on arrose sans fin, il les pourrit, voilà ce que fait le soleil. Partout l'excès est funeste, fuyons-le donc, pour obtenir ce que nous désirons. C'est, dit-on, sur les hauteurs que jaillissent les sources; tenons donc nos âmes dans les hauteurs, et bientôt l'aumône en découlera; car il est impossible, sans la miséricorde, qu'une âme soit (106) haute, et il est impossible qu'une âme miséricordieuse ne soit pas une âme élevée. Qui méprise les richesses, voit donc , au-dessous de lui, la racine de tous les maux. Les sources, le plus souvent, sont dans les lieux déserts ; sachons donc aussi retirer notre âme loin des choses tumultueuses, et l'aumône jaillira auprès de nous. Plus les sources sont purifiées, plus elles sont abondantes; nous aussi, plus nous nous purifierons à notre source, plus nous verrons tous les biens jaillir autour de nous. Celui qui possède une source, est rassuré; si nous avons, nous aussi, la source de l'aumône, nous serons rassurés, car cette fontaine nous est utile pour nos breuvages, pour nos irrigations, pour nos édifices, pour tous nos besoins Rien n'est meilleur que ce breuvage; cette fontaine ne verse pas l'ivresse ; cette fontaine, il vaut mieux la posséder que de verser des flots d'or; plus riche que toutes les mines d'or est l'âme qui renferme l'or dont je parle. Car cet or-là ne nous accompagne pas dans les palais de la terre, mais il nous suit dans le palais céleste. Cet or est l'ornement de l'Eglise de Dieu ; de cet or se fait le glaive de l'esprit, le glaive qui sert à déchirer le dragon ; de cette fontaine sortent des perles précieuses, qui ornent la tête du roi. C'est pourquoi ne négligeons pas de telles richesses, mais faisons l'aumône largement, afin de mériter la bonté de Dieu, par la grâce et par la miséricorde de son Fils unique, à qui appartient toute gloire, l'honneur et l'empire, ainsi qu'au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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