Matthieu 9,18-27

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HOMÉLIE XXXI

 

« COMME JÉSUS DISAIT CECI, LE CHEF DE LA SYNAGOGUE S’APPROCHA DE LUI, ET IL L’ADORAIT EN LUI DISANT : SEIGNEUR, MA FILLE EST MORTE PRESENTEMENT, MAIS VENEZ LUI IMPOSER LES MAINS, ET ELLE VIVRA. » (CHAP. IX, 18, JUSQUES AU VERSET 27.)

ANALYSE

1. Jésus-Christ comme homme ne recherchait point la gloire.

2. Guérison de l’hémorrhoïsse.

3. Qu’il faut éviter le faste et la vaine gloire. De combien de maux la vie présente est remplie.

4. et 5. Exhortation. Que c’est blesser la foi et la raison, que de pleurer avec excès, et de paraître inconsolable à la mort des personnes qui nous sont chères.

 

1. Jésus-Christ joint maintenant l’action à la parole, afin de confondre encore davantage les pharisiens et de leur fermer la bouche. Car celui qui le vient trouver ici était « chef de la synagogue» et sa douleur était excessive; parce que l’enfant qui était morte était sa fille unique, qu’elle était déjà arrivée à l’âge de douze ans, c’est-à-dire à la fleur de son âge. C’est pourquoi il le conjure de se hâter.

Que si saint Luc rapporte que quelques uns vinrent dire à ce père affligé: « Ne tourmentez pas inutilement le Maître, parce que votre fille vient de mourir (Luc, VIII, 46), » nous pouvons dire que par ces paroles: « Elle vient de mourir, » ils conjecturaient peut-être qu’elle l’était depuis le temps qu’ils étaient sortis du logis; ou qu’ils parlaient de la sorte pour exagérer sa maladie. Car c’est ainsi qu’agissent ceux qui souffrent quelque mal. Ils le font toujours paraître plus grand qu’il n’est pour toucher davantage ceux dont ils implorent le secours. Voyez, je vous prie, jusqu’où va la stupidité de ce chef de synagogue. Il demande deux choses à Jésus-Christ: l’une « qu’il vienne chez lui, » et l’autre, « qu’il mette les mains sur sa fille, » ce qui marque qu’il l’avait laissée encore en vie. C’est la même prière que faisait Naaman au Prophète lorsqu’il disait: « Il sortira et il étendra sa main sur moi (IV Rois, 5) : car les personnes grossières ont besoin de quelque chose qui frappe les yeux, et qui leur touche les sens.

Saint Marc et saint Luc marquent que Jésus-Christ prit avec lui trois de ses disciples, et saint Matthieu dit en général qu’il mena ses disciples avec lui. Mais d’où vient que saint Matthieu n’était pas l’un de ces trois, puisque Jésus-Christ venait de l’appeler presqu’en ce moment à sa suite? C’était pour augmenter son désir, et parce qu’il était encore trop imparfait. Il voulait honorer ces trois de ces faveurs extraordinaires pour exciter les autres à les imiter. Il suffisait pour lors à saint Matthieu de voir le miracle de l’hémorrhoïsse, et d’avoir reçu Jésus-Christ à sa table et d’avoir mangé le sel avec lui.

« Et Jésus se levant le suivit avec ses disciples (19). » Lorsque Jésus-Christ allait à cette maison, il fut accompagné de beaucoup de monde ou parce qu’on espérait voir un grand miracle , ou à cause de la dignité de la personne dont la fille était malade. Encore fort grossiers et plus curieux de voir la guérison des corps que celle des âmes, ces hommes accouraient en foule à Jésus-Christ, ou pour être guéris eux-mêmes de leurs maladies corporelles, ou pour voir tous les jours de nouveaux miracles dans la guérison des autres; mais peu venaient à lui pour entendre ses prédications, et pour profiter de sa doctrine. Cependant Jésus-Christ ne laisse entrer personne de tout ce peuple avec lui dans la maison. Il prend seulement ses disciples et non pas même tous, pour nous apprendre (252) à fuir l’ostentation et la vaine gloire. « En même temps une femme qui depuis douze ans avait une perte de sang s’approcha de u lui par derrière et toucha le bord de son vêtement (20). Pourquoi ne s’approche-t-elle de Jésus-Christ, que par derrière et en tremblant? Que ne se présente-elle à lui hardiment? C’était sans doute son mal qui lui causait trop de pudeur, et qui faisait qu’elle se regardait comme une personne impure. Car si les femmes passaient pour impures au temps de leurs incommodités ordinaires, celle-ci avait bien plus de raison de se regarder comme telle dans une si longue perte de sang, qui n’était point naturelle, mais contre l’ordre de la nature. C’est pourquoi elle se cache et ne veut point paraître en face devant le Sauveur. Et surtout elle n’avait pas encore une juste idée de ce qu’était Jésus-Christ, ni une foi parfaite, car autrement elle n’eût pas cru pouvoir se cacher de lui.

C’est ici la première femme qui ose publiquement approcher de Jésus-Christ, parce qu’elle avait déjà su que Jésus-Christ voulait bien aussi guérir ce sexe, et qu’il était actuellement en chemin pour aller ressusciter la fille de ce prince de la synagogue. Elle n’ose prier Jésus-Christ de venir chez elle, quoiqu’elle fût riche. Elle ne vient pas même à lui devant tout le monde; elle ne le fait qu’en secret et par derrière, et elle touche ses habits avec foi. Je dis avec foi, parce qu’elle n’hésita point, et qu’elle ne dit point: Serai-je guérie de ma maladie si je touche ses habits, ou ne le serai-je plus? Elle, ne doute point que cet attouchement ne la guérisse, et elle s’approche avec confiance. « Car elle disait en elle-même: Si je puis seulement toucher son vêtement je serai guérie (21).» Elle voyait que Jésus-Christ sortait de la maison d’un publicain, et que ceux qui l’accompagnaient étaient des publicains et des pécheurs. Tout cela lui donnait une sainte hardiesse et une ferme confiance. Mais que fait Jésus-Christ en cette rencontre? Il ne veut pas souffrir qu’elle demeure cachée comme elle le désirait; il la fait venir au milieu de cette foule et il manifeste sa foi devant tout le peuple. Il avait d’excellentes raisons pour agir ainsi, bien que des insensés aient osé dire qu’il l’avait fait par amour de la gloire. Pourquoi, disent-ils, ne la laissait-il pas demeurer dans ce secret qu’elle avait cherché? Que dites-vous impie? Que dites-vous blasphémateur? Celui qui défend qu’on ne publie ses miracles, qui fait mille prodiges en passant, sans que les hommes les connaissent, aurait-il pu ici rechercher la gloire?

D’où vient donc, me direz-vous, qu’il manifeste cette femme et qu’il la produit devant tout le monde? C’était premièrement pour dissiper la grande appréhension de cette femme, et pour empêcher le scrupule dont sa conscience l’aurait tourmentée dans la suite, comme ayant dérobé en quelque sorte sa santé sans l’avoir demandée à Jésus-Christ. C’était encore pour ajouter à sa foi ce qui lui manquait, puisqu’elle avait cru pouvoir faire quelque chose sans être vue par le Sauveur. C’était en troisième lieu pour proposer sa foi comme un modèle que tout le monde devait imiter. D’ailleurs était-ce un moindre miracle de connaître le secret des coeurs, que d’arrêter la perte du sang?

Enfin comme la foi du chef de la synagogue était chancelante, et, que sa complète défaillance aurait tout gâté et empêché la guérison de la jeune fille, Jésus-Christ la raffermit par ce miracle de l’hémorrhoïsse. C’est qu’en effet il était déjà venu quelqu’un dire au chef de la synagogue: «Ne lui donnez pas la peine de venir chez vous, parce que votre fille est morte (Luc, VIII, 49.); » et ceux qui étaient au logis «se moquaient de lui lorsqu’il disait qu’elle dormait. » C’est donc pour empêcher cette défaillance de foi assez présumable dans le père de .la jeune fille, que Jésus révèle à tous et cette femme et la guérison qui vient de s’opérer en elle. Car on peut assez juger que cet homme était des plus grossiers par cette parole que Jésus-Christ lui dit dans saint Luc: «Ne craignez point: croyez seulement et votre fille sera guérie. » (Luc, VIII, 50.)

2. Il attend même à dessein que cette jeune fille soit morte, afin de faire, en la ressuscitant, un miracle plus éclatant. Il ne se hâte point, il marche seulement, et s’arrête à parler longtemps avec cette femme, afin de n’arriver qu’après que la jeune fille serait morte, selon ce qui est rapporté dans saint Luc: « Lorsqu’il parlait encore, » dit-il, « il vint quelqu’un lui dire : Ne lui donnez pas la peine de venir chez vous parce que votre fille est morte. » (Luc, VIII, 48.) Ainsi il voulut qu’on ne doutât point de la mort, afin qu’ensuite on ne pût douter de la résurrection. C’est ce qu’il a observé presque partout. C’est ainsi qu’il ne se (253) pressa point d’aller voir Lazare le premier, ou le second, ou le troisième jour. Ce fut donc pour ces raisons qu’il découvrit le miracle arrivé eu la personne de cette femme.

«Mais Jésus se retournant et la voyant lui dit: Ma fille, ayez confiance (22).» Il avait dit de même au paralytique : « Mon fils, ayez confiance. » Comme cette femme était toute troublée, Jésus-Christ commence par l’exhorter à « avoir confiance; » et il l’appelle « sa fille », parce que sa foi la mettait au nombre de ses enfants. Il lui donne même des louanges publiques et lui dit: « Votre foi vous a sauvée. Et cette femme fut guérie à l’heure même (22). » (Luc, VIII, 46.) Saint Luc s’étend bien plus au long en parlant de cette femme. Il rapporte qu’après qu’elle se fut approchée de Jésus-Christ et qu’elle eut été guérie, Jésus-Christ ne l’appelle pas d’abord, mais dit premièrement : « Qui est-ce qui m’a touché? » A quoi saint Pierre et les autres répondirent : « Maître, la foule du peuple vous presse et vous étouffe, et vous demandez qui vous a touché? » Ce qui nous marque en passant que Jésus-Christ était véritablement revêtu de notre chair, et qu’il foulait aux pieds tout faste, puisqu’il se laissait approcher de si près par ces foules, et qu’il ne leur commandait pas de ne le suivre que de loin.

Cependant Jésus-Christ continue de dire « Quelqu’un m’a touché, car j’ai reconnu qu’une vertu est sortie de moi. » S’il use ici d’une expression et d’une image quelque peu matérielle, c’est pour être mieux entendu de cette multitude inculte. Et ce qu’il dit, c’est pour porter cette femme à avouer elle-même ce qui s’est passé. Il ne la découvre pas lui-même, il se contente de lui faire entendre qu’il sait tout clairement, il veut qu’elle vienne d’elle-même tout déclarer, qu’elle publie elle-même le miracle qui s’est accompli, il ne veut pas, en le faisant connaître lui-même, donner lieu à aucun soupçon. Voyez-vous une femme meilleure qu’un chef de synagogue? Elle ne retient point Jésus-Christ, elle ne l’arrête point, et elle se contente de le toucher en passant et du bout du doigt; aussi, quoique venue la dernière, elle est guérie la première : le chef de synagogue entraîne le médecin en personne chez lui; pour la femme, c’est assez qu’elle le touche; sa maladie l’entravait, mais sa foi lui donnait des ailes. Aussi voyez comment le Seigneur La console en lui disant : « Votre foi vous a guérie » Parole qu’il n’eût pas dite, si c’eût été par ostentation qu’il eût produit cette femme en public. Il la dit pour affermir la foi du chef de synagogue, et pour relever publiquement celle de cette femme, ce qui lui cause une joie dans te fond du coeur, beaucoup plus grande que celle qu’elle avait reçue par la guérison si miraculeuse de son corps. N’est-il pas encore visible par ce que je vais dire, que ce n’était point par vanité qu’il produisait cette femme, mais pour mettre en évidence sa foi, et la proposer comme un modèle aux autres? Jésus-Christ n’avait point besoin de ce miracle pour se faire estimer des hommes, et il n’en eût pas moins paru Dieu par cette foule de prodiges et de miracles qu’il avait déjà faits et qu’il devait faire encore dans la suite de sa vie. Mais s’il n’avait point découvert ce qui était arrivé à cette femme, elle n’aurait point reçu les louanges qu’elle avait si justement méritées. C’est pourquoi il rend public ce qu’elle avait fait en secret. Il dissipe cette crainte avec laquelle elle s’était approchée de lui, il lui commande d’avoir de la confiance et la rétablissant dans une parfaite santé, il ajoute à sa guérison une grâce pour la conduire paisiblement dans le chemin du salut en lui disant: « Allez en paix. » (Marc, V, 33.)

« Or Jésus étant venu en la maison de ce chef de synagogue, et voyant les joueurs de flûtes, et une troupe de gens qui faisaient grand bruit (23), il leur dit : Retirez-vous, cette fille n’est pas morte, elle n’est qu’endormie; et ils se moquaient de lui (24). » Vous voyez quel était l’esprit et la disposition de ces princes de la synagogue, de faire venir ainsi des joueurs de flûtes et de cymbales, pour pleurer leurs morts. Que fait donc ici Jésus-Christ? Il chasse tout le monde, excepté les parents de la jeune fille, afin qu’ils fussent témoins que c’était lui et non pas un autre qui l’aurait ressuscitée. Et avant de la ressusciter en effet, il la ressuscite en parole en disant : « Elle n’est pas morte, mais elle dort. »

Il fait la même chose en plusieurs autres endroits de l’Evangile. Et comme on voit qu’ avant que d’apaiser la tempête, il reproche à ses disciples leur peu de foi, de même il dissipe le trouble des personnes présentes; il leur fait voir ici qu’il lui est aussi facile de ressusciter cette fille de la mort que de la réveiller (254) du sommeil. Ce qu’il fit encore à propos de Lazare en disant: « Notre ami Lazare dort. » (Jean, II, 15) Il voulait nous apprendre dans toutes ces rencontres, que la mort n’est plus à craindre aux hommes, puisqu’elle n’est plus une mort et qu’elle est devenue un sommeil. Comme il devait mourir bientôt lui-même, il accoutumait ses disciples, par la mort et par la résurrection des autres, à ne perdre point la foi lorsqu’il serait mort, puisqu’ils voyaient que depuis qu’il était venu au monde, la mort n’était plus qu’un sommeil. Cependant on se moquait de lui, et lui ne s’indignait pas que sa puissance fût mise en doute par ceux même en faveur de qui il allait faire un grand miracle. Il ne fit aucune réprimande au sujet de ces rires qui allaient devenir, ainsi que les flûtes et les cymbales et tout le reste de l’appareil funèbre, une preuve irrécusable de la mort. Comme la plupart du temps les miracles une fois opérés ne rencontrent plus que l’incroyance, Jésus-Christ se sert ici des propres paroles de ces gens pour les convaincre ; il les enlace dans leurs propres filets.

3. Dieu usa de la même conduite envers Moïse autrefois, et depuis encore dans la résurrection de Lazare. Dieu dit à Moïse : «Qu’est-ce que vous tenez dans votre main « (Exod. IV, 2)? » afin qu’en voyant la verge qu’il tenait changée en serpent, il n’oubliât point que ce n’était d’abord que du bois, et que ses propres paroles lui en rendant témoignage, il fût dans une admiration continuelle. Et Jésus-Christ dit en parlant de Lazare : « Où l’avez-vous mis (Jean, XI, 34)?» afin que ceux qui lui répondirent « Venez et voyez, » et peu après : « il sent déjà mauvais, parce qu’il y a quatre jours qu’il est mort, » ne pussent plus nier ensuite qu’il n’eût été Véritablement ressuscité.

« Mais après qu’on eut fait sortir tout le monde, il entra, prit la main de la jeune fille, et dit : Levez-vous, et la jeune fille se leva (25). Et le bruit s’en répandit dans tout le pays (26). » Jésus voyant donc toute cette foule de monde et tous ces joueurs de flûtes, les fit tous sortir, puis, sous les yeux des parents, il opéra le miracle. Dans ce corps inanimé, il n’introduit pas une nouvelle âme, Mais il rappelle celle qui venait de sortir, et mec autant de facilité que s’il la réveillait d’un sommeil. Il prend la main de la jeune fille pour mieux Convaincre de sa mort tous ceux qui étaient présents, et pour que le témoignage de leurs yeux ne laisse subsister aucun doute touchant la résurrection. Le père lui avait dit : « Mettez votre main sur elle;» mais Jésus-Christ fait plus. Car il ne se contente pas de mettre sa main sur elle, il la prend et la lève, pour montrer que tout lui cède et lui obéit. Il est marqué dans saint Luc « qu’il lui fit aussitôt donner de la nourriture (Luc, VIII, 55), » pour empêcher que ce miracle ne passât pour un prestige. II ne fait pas cela lui-même; mais il ordonne aux autres de le faire, comme il fit délier Lazare par les autres. « Déliez-le, » dit-il, « et le laissez aller, puis il accepte d’être son convive. » Il voulait en toutes ces rencontres qu’on fût convaincu de ces deux choses, que les personnes étaient véritablement mortes, et qu’ensuite elles étaient véritablement ressuscitées.

Remarquez ici, mes frères, non-seulement la résurrection de cette fille, mais encore le commandement que Jésus-Christ fait de n’en parler à personne; ce qui seul suffit pour faire voir contre les blasphémateurs de Jésus-Christ combien il était éloigné de rechercher la gloire. Considérez aussi qu’il chasse tous ces pleureurs comme indignes de voir un si grand miracle. Ne sortez donc pas avec les joueurs d’instruments, mais demeurez-y avec ces trois disciples si chéris qui méritèrent d’être témoins de ce prodige.

Si Jésus-Christ rejeta alors d’auprès de lui ces gens qui pleuraient les morts, doutez-vous qu’aujourd’hui il ne les rejette bien davantage? On ne savait pas alors que la mort ne fût qu’un sommeil, et cette vérité aujourd’hui est plus claire que le soleil. Vous me direz peut-être : Mais si ma fille meurt maintenant, Jésus-Christ ne la ressuscitera point. Il est vrai, mais il la ressuscitera un jour avec beaucoup plus de gloire. La jeune fille que nous venons de voir ressuscitée mourut encore une fois; mais quand Jésus-Christ ressuscitera la vôtre, il la rendra immortelle.

Que personne ne pleure donc plus les morts à l’avenir. Qu’on ne les plaigne plus, qu’on se souvienne que Jésus-Christ est ressuscité, et qu’on ne fasse plus cet outrage à la victoire qu’il a remportée sur la mort. Pourquoi vous laissez-vous aller inutilement aux soupirs et aux larmes? La mort n’est plus qu’un sommeil. Pourquoi vous laissez-vous abattre dans (255) l’excès de votre douleur? On se rirait d’un païen qui s’affligerait dans ces rencontres; mais qui pourrait excuser ces larmes dans un chrétien? Comment pourrait-on lui pardonner cette faiblesse après que la résurrection a été établie par tant de preuves si constantes, et par le consentement de tant de siècles ?

Cependant il semble que vous preniez plaisir à augmenter cette faute. Vous nous faites venir des pleureuses vous nous amenez des femmes païennes pour augmenter le deuil, pour attiser la flamme de la douleur. Vous n’écoutez point saint Paul qui vous dit : « Quel rapport y a-t-il entre Jésus-Christ et Bélial; ou qu’a de commun un fidèle avec un infidèle? » (II Cor. V, 15.) Les païens qui n’ont aucune foi ni aucune espérance de la résurrection, ne laissent pas de trouver des raisons pour consoler, leurs amis dans ces accidents. Soyez fermes, leur disent-ils, dans votre malheur. Il faut supporter doucement ce qui arrive nécessairement. Ce qui est fait est fait. Vos larmes ne le changeront pas, et elles ne rendront pas la vie à celui que vous pleurez. Et vous, chrétien, vous qui avez des connaissances plus pures et plus hautes que les infidèles, vous ne rougissez pas d’être plus lâche qu’eux dans ces rencontres?

Nous ne vous disons point, comme eux : Supportez. ce mal constamment puisqu’il est inévitable et que toutes vos larmes y sont inutiles. Nous vous disons au contraire : prenez courage, votre, fille ressuscitera. Elle n’est pas morte, elle n’est qu’endormie, elle repose en paix, et elle passera de ce sommeil-tranquille dans une vie immortelle, dans une paix angélique et dans un bonheur qui ne finira jamais. N’entendez-vous pas le Prophète qui vous dit: « Mon âme, rentrez dans votre repos, parce que le Seigneur vous a fait grâce?» (Ps. CXIV, 9.) Dieu appelle la mort une grâce et vous pleurez? Que pourriez-vous faire de plus si vous étiez l’ennemi mortel de celui qui meurt?

Si quelqu’un doit pleurer alors, c’est le démon qui le doit faire. Oui, qu’il pleure, qu’il s’afflige : qu’il se déchire, et se désespère, de ce que notre mort maintenant n’est plus qu’un passage à une vie immortelle. Cette tristesse est digue de sa malice, mais elle est indigne de vous qui êtes appelé au repos, qui allez recevoir la couronne, et dont la mort est un port tranquille après la tempête.

Voyez de combien de maux cette vie est pleine, souvenez-vous combien de fois vous l’avez eue en horreur, combien d’imprécations vous avez faites en voyant les maux qui l’assiégent sans cesse, et qui se succèdent les uns aux autres. Considérez que dès le commencement du monde Dieu nous a condamnés à souffrir. Il dit à la femme : « Vous enfanterez avec douleur. » (Gen. III,16.) Il dit à l’homme : « Vous mangerez votre pain à la sueur de votre visage. » (Ibid.) Et Jésus-Christ dit à ses apôtres: « Vous aurez de grandes afflictions dans le monde. » (Jean, XVI, 53.) On ne nous prédit rien de semblable pour l’autre vie. On nous assure au contraire que « la douleur, la tristesse et les gémissements en seront éternellement bannis (Isaïe, 33); et qu’il viendra des personnes de l’Orient et de l’Occident pour se reposer dans le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (Marc, 8; Ezéch. 40); » que l’époux vous recevra dans sa chambre nuptiale, au milieu des lampes ardentes, et que votre vie sera changée en une vie toute céleste.

4. Pourquoi donc déshonorez-vous la mort de votre ami par vos larmes? Pourquoi en pleurant ainsi la mort apprenez-vous aux autres à craindre la mort ? Pourquoi donnez-vous sujet aux faibles d’accuser Dieu même, de ce qu’il-nous a exposés à tant de malheurs?, Mais je vous demande, au contraire, pourquoi, après la mort de vos proches, vous assemblez les pauvres? Pourquoi vous appelez les prêtres, afin qu’ils offrent pour ceux que vous pleurez leurs prières et, leurs sacrifices? Vous en répondrez que c’est afin, que celui qui est mort entre bientôt dans le repos éternel, et que son Juge lui soit, favorable. Et cependant vous ne cessez point de crier, et de répandre des larmes. Ne vous combattez-vous pas vous-même? Vous croyez que votre ami est dans le port, et pour cela, vous vous jetez vous-même dans le trouble et dans la tempête?

Mais que ferai-je? me direz-vous. C’est la faiblesse de la nature qui fait cela. Et moi je vous dis: N’accusez point la nature, accusez-vous vous-même et votre propre mollesse, qui, vous fait dégénérer de cette haute dignité que la foi vous avait donnée, et qui vous rend pires que les infidèles. Comment après cela oserons nous parler aux païens de l’immortalité de l’âme? Comment leur persuaderons-nous que nous ressusciterons un jour, puisque nous craignons la mort plus qu’ils ne la (256) craignent eux-mêmes? On a vu des infidèles autrefois, qui sans rien connaître de ce que la foi nous apprend, n’ont pas laissé de se couronner de fleurs et de prendre leurs plus beaux habits à la mort de leurs enfants pour se faire estimer des hommes, et pour s’acquérir un faux honneur; et après cela, cette gloire incompréhensible que nous attendons dans le ciel, n’aura pas assez de force sur nos esprits pour bannir de nous, à la mort de nos proches, cette tristesse lâche et efféminée , et cette mollesse si indigne d’un chrétien?

Mais je perds mon héritier, me direz-vous; je n ai plus personne à qui je laisse tous mes biens. Aimez-vous donc mieux que votre fils hérite d’un peu de bien sur la terre que de tous les biens qui sont dans le ciel ? Aimez-vous mieux qu’il jouisse de ces richesse qu’il devait quitter si tôt, que de celles qui ne périront jamais? Mon fils, dites-vous, ne sera point mon héritier. Il est vrai, il ne sera point l’héritier de son père, mais il le sera de Dieu. Il ne sera point le cohéritier de ses frères ; mais il le sera de Jésus-Christ.

Mais dans quelles mains donc, me direz-vous, passeront ces meubles si riches, ces habits si précieux, ces maisons si magnifiques, ce grand nombre d’esclaves, et ces terres si vastes et si étendues que nous possédons? Elles passeront si vous voulez entre les mains de votre fils, et avec plus d’assurance que s’il était encore en vie. Si les barbares ont brûlé autrefois avec les morts ce qu’ils avaient de plus précieux; combien est-il plus digne d’un chrétien de sacrifier avec son fils tout ce qui lui appartenait, non pour le réduire en cendres comme les barbares, mais pour augmenter le bonheur et la gloire de ce mort qui leur est si cher? Si ce fils avait des péchés en mourant, ces biens que vous donnez pour lui en effaceront les taches. S’il était juste et innocent, ils augmenteront sa récompense.

Mais vous désireriez bien de le voir. Hâtez-vous donc de sortir de ce monde et de vivre comme il a vécu, afin que vous le voyiez bientôt. Si vous n’écoutez pas mes raisons pour vous consoler, considérez que tôt ou tard, le temps même vous consolera et qu’il fera cesser votre douleur. Mais cette paix où vous vous trouverez alors ne sera point récompensée, parce qu’elle ne sera qu’un effet du temps et non point l’ouvrage de votre vertu. Que si vous voulez entrer dès maintenant dans les sentiments de la, sagesse chrétienne, vous en tirerez deux grands avantages: l’un, que vous vous délivrerez de beaucoup de maux, et l’autre, que vous vous procurez auprès de Dieu une très glorieuse couronne. Car l’aumône et les bonnes œuvres ne sont point d’un si grand mérite devant Dieu que cette modération et cette paix que nous conservons dans nos plus grands maux.

Considérez que le Fils de Dieu a bien voulu mourir lui-même. Il est mort, mais pour vous; et vous, vous mourez pour vous-même. Il est mort après avoir dit: « Mon Père, si cela est possible, que ce calice s’éloigne de moi. » (Matth. XXVI.) II est mort après avoir été dans la frayeur et dans l’agonie, et après avoir ressenti une profonde tristesse. Mais cependant il a accepté la mort et s’est soumis à toutes les circonstances cruelles et. honteuses qui l’accompagnaient. Il a souffert avant la mort les fouets, et avant les fouets, les railleries, les outrages et les insultes, pour vous apprendre à souffrir avec une fermeté inébranlable. Il est mort enfin, et son âme a été séparée de son corps, mais il l’a repris aussitôt, et l’a rempli de sa gloire, afin que sa résurrection vous fût un gage et une assurance de la vôtre. Si donc notre croyance n’est point une fable, ne vous affligez point de la mort des hommes. Si elle est véritable, ne pleurez point. Que si vous pleurez, comment pourrez-vous en persuader la vérité aux infidèles?

5. Mais peut-être que tout ce que nous vous représentons n’empêche pas que cette mort ne voua paraisse insupportable. C’est donc pour cela même que vous devez cesser de pleurer, puisque la mort de celui que vous regrettez l’a délivré de tant de maux. Ne lui portez donc point envie, et ne soyez point fâché de son bonheur. Car lorsque vous souhaitez vous-même de mourir parce qu’un des vôtres est mort un peu trop tôt et que vous vous affligez de ce qu’il ne jouit plus d’une vie qui l’aurait exposé à tant de misères, il semble que vous agissez plus par un mouvement d’envie que par une amitié véritable. Ne considérez donc pas que vous ne reverrez plus votre fils mort, mais pensez que vous l’irez retrouver bientôt. Ne regardez point qu’il n’est plus en ce monde, mais que ce monde un jour ne sera plus, que tout y changera de forme, que le ciel, la terre et la nier passeront, et qu’alors vous recevrez votre fils dans une gloire infinie. (257)

Si celui que vous pleurez est mort dans le péché, la mort en arrête le cours; et si Dieu eût prévu qu’il en eût dû faire pénitence, il ne l’eût pas sitôt retiré du monde. Que s’il est mort dans la grâce et dans l’innocence, son innocence n’est plus en danger, et il en possède une récompense qui ne finira jamais.

Il paraît donc, par tout ce que nous avons dit, que vos larmes sont plutôt l’effet d’un trouble d’esprit et d’une passion peu raisonnable, que d’un amour sage et bien réglé. Que si vous aimiez véritablement celui qui est mort, vous devriez vous réjouir clé ce qu’il a été délivré bientôt d’une navigation dangereuse. Car il y a quelque chose de stable dans le cours ordinaire de la nature. Le jour succède à la nuit et la nuit au jour. L’été vient après l’hiver et l’hiver après l’été. Ainsi les saisons s’entre-suivent et elles sont toujours liées de même es unes aux autres. Mais les maux au contraire viennent en foule et à contre temps, sans ordre et sans mesure, et notre vie est sujette à des accidents toujours nouveaux.

Voudriez-vous donc que votre fils fût encore assujéti à ces misères, qu’à chaque jour il fût exposé à une nouvelle peine, qu’il fût tantôt dans la maladie, tantôt dans la tristesse, et toujours dans la souffrance d’un mal et dans l’appréhension d’un autre? Car vous ne pouvez pas dire qu’il eût pu passer le cours de cette vie sans éprouver toutes ces inquiétudes et tous ces soins.

Mais vous, ô mère, qui pleurez votre fils, considérez que celui que vous aviez mis au monde n’était pas immortel, et que s’il n’était mort maintenant, il devait mourir bientôt après. Que si vous dites que vous n’avez pas eu le temps de jouir de lui, vous le ferez pleinement dans le ciel. Mais vous le voudriez voir maintenant ?Et moi je vous dis que si vous êtes sage de la sagesse de Dieu, il lie tiendra qu’à vous de le voir. Car l’espérance des chrétiens est beaucoup plus claire et plus assurée que vos propres yeux.

Si l’on voulait tirer votre fils d’auprès de vous pour le faire roi d’un grand royaume, refuseriez-vous de le laisser aller pour ne pas perdre le vain plaisir de le voir? Et maintenant qu’il est passé en un royaume infiniment plus grand et plus heureux que tous ceux de la terre ensemble, vous ne pouvez souffrir d’être un moment séparée de lui, lors particulièrement qu’au lieu d’un fils vous avez un mari qui vous console. Que si vous n’en avez plus, vous avez toujours pour consolateur « le père des orphelins et le juge des veuves. »Voyez de quelle manière saint Paul relève ces sortes de veuves : « Celle, » dit-il, « qui est véritablement veuve et désolée, met son espérance en Dieu. » (I Tim. V, 5.) Ce sont là les plus excellentes veuves, puisque ce sont les plus patientes.

Ne pleurez donc plus, et ne vous affligez point d’une chose pour laquelle vous espérez une si grande récompense. Vous n’avez fait que rendre un dépôt que l’on vous avait confié. C’est pourquoi n’en soyez plus en peine, puisque Dieu l’a repris et l’a mis dans son trésor éternel. Que si vous comprenez bien la différence qu’il y a entre la vie de la terre et celle du ciel, si vous voyez à fond l’inconstance et le néant de celle-ci et la grandeur et la solidité de l’autre, vous n’aurez pas besoin que je vous dise rien davantage.

C’est de cette agitation et de ce trouble que votre fils maintenant est délivré. S’il était demeuré sur la terre, vous ne savez s’il eût été bon ou méchant. Ne voyez-vous pas tous les jours combien de pères sont contraints de chasser leurs fils d’auprès d’eux et de les déshériter; et combien d’autres les retiennent malgré eux, quoiqu’ils soient pires que ceux que l’on chasse? Pensons donc à toutes ces choses et servons-nous-en pour régler nos moeurs. Car c‘est ainsi que notre patience sera approuvée des morts mêmes que nous pleurons, qu’elle sera estimée des hommes et couronnée par la miséricorde de Dieu, qui nous fera jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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Capturé par MemoWeb à partir de http://membres.lycos.fr/abbayestbenoit/Matthieu/031.htm  le 6/06/2003