Chapelle N-D du Vorbourg / CH-2800 Delémont (JU) / tél/fax + 41 032 422 21 41 |
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«Marie, Mère la plus aimée
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Sainte Léonie - Françoise de Sales Aviat |
Cette année, en l'honneur de la canonisation de la Bienheureuse Léonie Françoise de Sales Aviat, la semaine du Vorbourg sera vécue avec saint François de Sales, vous pouvez consulter les pages de la Maison Chappuis à Soyhières. et celle des Pères Oblats de Saint François de Sales, la Congrégation du Père Jean-Louis Leroux
Oeuvres de Saint François de Sales ; La Bienheureuse Léonie Françoise de Sales Aviat ; La Vénérable Marie de Sales Chappuis
SEMAINE DU VORBOURG
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Dimanche 9 septembre | 16h00 Ouverture des fêtes | Homélie paroisse de Delémont |
Lundi 10 septembre | Messes de 8h30 - 10h - 20h |
Homélie |
Mardi 11 septembre | Messes de 8h30 - 10h - 20h | Homélie |
Mercredi 12 septembre | Messes de 8h30 - 10h - 20h | Homélie |
Jeudi 13 septembre | Messes de 8h30 | Homélie |
Vendredi 14 septembre | Messes de 8h30 - 10h - 20h | Homélie |
Samedi 15 septembre | Messes de 8h30 - 10h - 20h | Homélie |
Dimanche 16 septembre | Messe à 9h30 15h 00 Clôture des Fêtes du Vorbourg |
23ème Dimanche To C |
La parole de Jésus que nous venons d'écouter est difficile, certainement un peu dérangeante. Elle invite à faire des choix, elle pose des exigences, et des exigences radicales. Il n'y a qu'un chemin pour aller vers Dieu, quitter radicalement tout pour suivre Jésus. Renoncer à tout pour le Christ seul.
Les exemples que Jésus donne nous renvoient aux trois forces qui, dans l'homme, orientent son cur et ses actes. D'une certaine manière on peut y voir comme en écho une réponse aux trois tentations auxquelles Jésus a été soumis par Satan dans le désert, juste avant le début de sa vie publique, les tentations de la séduction, de l'avoir et de la puissance.
La séduction ou l'affection tout d'abord. Qui aimer ? Jésus veut-il nous dire qu'il ne faut aimer personne, ne nous attacher ni à son père, ni à sa mère, ni à sa femme, ni à ses enfants, ses frères ou ses surs ? Jésus ne nous invite à une absence d'affection envers qui que ce soit mais à aimer différemment sans nous attacher exclusivement à l'amour envers quelque créature que ce soit. Parce que nous sommes créatures de Dieu, c'est au Créateur que nous devons réserver en priorité et d'abord notre amour et notre affection et à celui qui nous le révèle dans le quotidien de nos vies par son Esprit, son Fils, Jésus, le Bien-aimé. Mais il nous faut aussi comprendre cette exigence de Jésus comme un appel sans équivoque à ne faire aucune ségrégation dans nos relations humaines. Tout homme est digne d'amour et capable d'aimer. Tout homme est mon frère parce que tout homme créé à l'image et ressemblance de Dieu me dit Dieu ! Notre existence est marquée d'une certaine façon par la peur de l'autre, de celui qu'on ne connaît pas, qui est différent par la couleur de la peau ou la situation sociale, par la langue ou la culture, par l'exclusion ou la richesse. Dans le cur de Dieu, il n'y a aucune différence. Un chant nous le rappelle. Que tes uvres sont belles, Seigneur ! Tout homme est une histoire sacrée : l'homme est à l'image de Dieu. Sachons alors nous attacher radicalement au Christ, qui est le cur de Dieu pour ne voir en chacun de nos frères que son image et sa présence.
Le deuxième exemple nous renvoie à l'avoir, à la possession, à l'avidité, qui peuvent conduite à l'ambition et à la cupidité. Il semble qu'en ce changement de millénaire, les hommes soient profondément habiles à ce jeu. Il faut acquérir la sagesse du partage et savoir évaluer les biens nécessaires à notre vie.
Le premier bien est le Christ lui-même. Il est notre seul bien. Il n'y a que lui dont nous sommes sûrs et qui nous est donné, au-delà de la mort, pour la vie éternelle. Rappelons-nous cette autre parabole de Jésus, celle de ce riche qui entasse dans ses greniers et à qui Dieu dit : à quoi cela sert-il, demain tu seras mort. Personne d'entre nous n'emportera ses biens avec lui. Alors que faut-il faire ? D'abord s'assurer que nous avons fait le bon choix, celui de l'Amour, du Christ, de Dieu. C'est celui de notre foi chrétienne. Si ce bien vient grandir dans notre cur et remplir les greniers de notre amour, il sera pour nous un bien d'éternité. A une condition cependant, que notre cur, comme celui de Dieu, nous fasse partager cet amour reçu avec tous nos frères les hommes. A nouveau il n'y a pas de différences, pauvres ou riches, noirs, blancs ou jaunes, l'amour n'a pas de frontière. Il transcende toutes les barrières humaines quand nous ne voyons en chaque être humain que le cur de Dieu.
Le troisième exemple est celui du pouvoir, de la puissance. Dans notre monde, que de tyrannies, de dictatures, de pouvoirs non seulement politiques mais aussi idéologiques, économiques, sociaux, raciaux, se sont établis entre les hommes et engendrent des situations d'oppression, d'inégalité, de guerre et d'injustice. Jésus nous invite à parier sur un seul et unique pouvoir, celui de l'amour qui abolit toutes les injustices et les inégalités et seul peut établir un monde de justice et de paix. Que faut-il faire pour l'acquérir ? A nouveau le choisir, lui, Jésus, radicalement ; par sa mort et sa résurrection il nous a délivrés de tout péché, de tout mal, de toute oppression et nous a réconciliés avec Dieu et entre nous. L'aimer, c'est refuser tout ce qui empêche à l'homme d'être reconnu dans sa dignité et sa liberté de fils de Dieu. L'aimer, c'est aussi nous engager pour que déjà le Royaume de paix, de justice et d'amour se construise chaque jour sur notre terre.
L'invitation que Jésus nous lance aujourd'hui pour être son disciple en renonçant à tous les biens qui nous enchaînent est tout simplement de nous convertir à l'amour. Les deux premières lectures en sont l'illustration.
Paul confie Onésime à son vieil ami Philémon. Il invite ce dernier à l'aimer comme un frère parce que l'esclave qu'il est réellement dans la société de son temps ne peut plus en réalité le rester au milieu de ses frères chrétiens. Tous sont fils du même Père, donc égaux en amour et dignité. Dans notre monde si marqué par les différences, Paul nous invite ici à notre tour à accueillir aujourd'hui tous les Onésime que nous côtoyons dans le quotidien de nos vies avec le seul regard d'amour de Dieu. Un chemin de conversion pas toujours facile à parcourir parce que nous sommes trop imprégnés de préjugés et de jugements. Les dernières lignes de cette lettre à Philémon doivent résonner en nos curs comme un message non seulement à entendre mais surtout à réaliser dans nos relations humaines.
" Retrouve Onésime, dit Paul, bien mieux qu'un esclave,
comme un frère bien-aimé : il l'est vraiment pour moi, il le sera encore plus pour toi,
aussi bien humainement que dans le Seigneur Dieu. Donc, si tu penses être en communion
avec moi, accueille-le comme si c'était moi. "
Regarder et accueillir tout homme comme un autre soi-même, tel est ce
chemin de disciple que Jésus nous invite à parcourir radicalement. Paul insiste aussi
sur la qualité de cet accueil que non seulement nous devons vivre dans le Seigneur mais
qui fait absolument partie de notre réalité humaine.
Ceci nous devons ou pouvons le vivre car Dieu a inscrit au cur de l'homme la vraie Sagesse. Nos pensées et nos visées humaines sont petites et mesquines. Que sont-elles devant la grandeur de l'Amour et de la Sagesse de Dieu ? Cette Sagesse et cet Amour, c'est Dieu qui nous les donne. Si nous les accueillons, si nous convertissons nos curs, si nous nous ouvrons à la vraie Sagesse de Dieu qui est Jésus, alors nos chemins, les chemins des habitants de la terre seront droits. Ils le sont depuis que le Christ nous a sauvés. A nouveau seulement d'ouvrir la porte de notre vie au Seigneur.
En octobre 1978, les premières paroles de Jean-Paul II sur la loggia de la basilique Saint Pierre, juste après son élection comme pape, ont été des paroles de Sagesse et d'espérance : " N'ayez pas peur, a-t-il dit, ouvrez votre porte au Christ ! " C'est ce message qu'inlassablement nous pouvons découvrir dans le témoignage des apôtres et de l'Eglise depuis sa naissance. Le Christ est la route de notre vie, lui seul nous ouvre les portes du Royaume, lui seul, chemin, vérité et vie, nous mène vers le Père.
Cela demande alors de notre part de l'aimer, de le connaître, de dialoguer avec lui dans la prière et de le reconnaître en chacun de nos frères. Parce que Jésus a pris notre humanité, le chemin de Dieu est maintenant l'homme. Par l'Esprit, Jésus habite l'homme de sa présence et de son amour. Par l'Esprit, Jésus devient dans chaque eucharistie nourriture de vie. Par l'Esprit, Jésus habite les évènements humains. Par l'Esprit, il transforme tout par amour. Les dernières paroles de la prière eucharistique nous le rappelle : " Par Jésus, avec Lui et en Lui, à toi, Dieu le Père Tout puissant, dans l'unité du Saint Esprit tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. "
Le baptême a fait de nous des enfants de Dieu, des frères de
Jésus-Christ. Sacrement de vie, le baptême inscrit en tout notre être la marque
indélébile de l'amour de Dieu. Pour le chrétien, le chemin du Christ n'est plus alors
une option facultative, il devient une exigence de vie parce que le Christ l'habite.
Exigence de vie qui n'aliène aucune liberté car il n'y a pas d'amour sans liberté.
L'homme conscient de la présence en Lui du Ressuscité exerce alors sa liberté à vivre
lui-même en ressuscité.
Avoir un visage de ressuscité c'est simplement se faire façonner à l'image de Jésus
pour témoigner joyeusement de l'espérance qui habite l'homme. Ceci se vit dans la vie
ordinaire, sans manifestation particulière de quelque ordre que ce soit. C'est le simple
témoignage quotidien d'un amour reçu qui alors se partage dans ce qui fait l'existence
de l'homme, sa famille, son travail, ses relations, ses joies et ses souffrances, ses
espoirs et ses déceptions.
Le chemin de Jésus ne fait jamais l'économie de la Croix. Mais ce sont à travers les petites croix quotidiennes assumées avec amour que notre cur se purifie comme l'or dans le creuset et que notre amour de Dieu devient chaque jour un peu plus greffé sur l'amour même de Jésus. Ce chemin d'amour s'appelle la sainteté. Dès aujourd'hui nous pouvons en imprégner notre vie. Il suffit simplement d'ouvrir grandes les portes de notre amour, de notre cur et de notre maison au Christ. Tous nos autres amours, tous nos autres biens s'y grefferont peu à peu et trouveront leur vraie place dans notre cur et le cur de Dieu.
En mettant au centre de notre vie le Christ, toutes nos affections, alors, se purifieront par le fait même et nous aideront à construire une tour d'amour sur des fondations solides. Chacun de nos pas, chacun de nos gestes, chacune de nos paroles, quand ils sont expression de la vie du Christ en notre cur sont les témoignages que Dieu attend de notre foi.
Viendra le jour alors où on pourra dire comme saint Paul : "
Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi. " Beaucoup de saints
y sont parvenus à la fin de leur vie. Personne parmi nous n'est exclu de ce chemin de
sainteté. Il suffit d'aimer à la suite de Jésus.
Début de la page
Vêpres solennelles
En juillet 1894, dans cette chapelle de Notre-Dame du Vorbourg, une femme prie. Elle renouvelle ce qui est au coeur de ses engagements et de sa vie, un élan total d'abandon dans le Seigneur .
«Me mettre entre les mains de Dieu, dit-elle, et de notre Père, comme un petit enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, mais qui veut, avec confiance, faire tout ce qu'on lui dira. » (1)
Cette femme s'appelle Léonie Aviat, elle est religieuse et porte le nom religieux de Françoise de Sales. Elle est la fondatrice et supérieure générale des Soeurs Oblates de saint François de Sales, dont une communauté vit à Soyhières depuis le 26 mai 1893, dans la maison familiale de la famille Chappuis. C'est là que naquit cent ans auparavant la Mère Marie de Sales Chappuis, inspiratrice de la fondation des Oblates de saint François de Sales.
Notre pèlerinage cette année se place sous le patronage de Sain François de Sales, prophète de l'amour, prince-évêque de Genève, qui a vécu à la fin du XVIème et au début du XVIIème siècle. Il était habité par un profond amour de Dieu et des hommes.
« L 'homme est le paradis du
paradis même, puisque le Paradis terrestre n'était fait que pour être le séjour de
l'homme, comme l'homme a été fait pour être le séjour de Dieu. » (2)
L'homme a été fait pour être le séjour de Dieu. Au coeur de la pensée salésienne, il y a une vision cosmique et totale de l'homme, cet homme inséré au coeur de la création qui lui a été confiée par Dieu. Parcourant les montagnes de Savoie, François de Sales ne cessait de s'émerveiller des beautés de cette création.
« J'ai rencontré Dieu, tout plein de douceur et de suavité parmi nos hautes et âpres montagnes où beaucoup de simples âmes le chérissaient et l'adoraient en toute vérité et sincérité, et les chevreuils et chamois couraient ça et là parmi les effroyables glaces pour annoncer ses louanges. »
Et il ajoute avec beaucoup d'humour: « Il est vrai que, faute de dévotion, je n'entendais que quelques mots de leur langage, mais il me semblait quils disaient de belles choses. »(3 )
Et là, devant l'infinie beauté de la création, François découvrait la présence intime de Dieu, présent en toute création, une intimité qui devenait dialogue amoureux, louange intérieure de son coeur .
« J'ai eu un plaisir non pareil à penser au grand honneur qu'un coeur a à parler seul à seul avec Dieu à cet être souverain, immense, infini » (4) « En cette montagne si élevée, on ny entend pas le bruit des créatures. » (5)
Et devant cette beauté, reflétant la beauté incommensurable de Dieu, il s'écrie :
« Tout crie aux oreilles de notre
coeur Amour, Amour! » (6)
A travers cette contemplation salésienne de la Création, il nous faut saisir le regard que François de Sales porte sur l'homme. Rien en l'homme n'est indissociable, ni par l'extérieur, la création qui est sa demeure, ni dans l'intérieur même de son être. Il s'inscrit ici dans la conception biblique de l'homme, le corps n'existe pas sans l'âme, l'âme n'existe pas sans le corps; l'être humain est un tout, biologique, charnel, sexué, raisonnable, psychique, spirituel, etc. A travers tous ces aspects de notre humanité, nous découvrons un peu plus ce qu'est notre réalité humaine. Jésus, ayant pris notre condition humaine, a valorisé cette humanité. Par sa résurrection, par sa victoire sur le péché, il nous a recréés dans la cohésion de tout notre être. La vie-même de l'homme est d'agir pour se réaliser comme le Christ selon le plan de Dieu pour sa Création. Nous rejoignons ici ce que les Pères de l'Eglise n'ont jamais cessé d'affirmer, comme saint Irénée de Lyon :
« La gloire de Dieu, c'est l'homme
vivant et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu.» (7)
ou encore saint Athanase d'Alexandrie :
« Dieu s'est fait homme pour que
l'homme soit fait Dieu. » (8)
Cet accent sur l'Incarnation est profondément souligné dans la pensée salésienne. Parce que Dieu est harmonie, beauté absolue, l'homme, tout homme et tout l'homme, comme la création qui reflète la gloire de Dieu, est et doit être beau et harmonieux. En l'homme, en la communauté humaine, doit se continuer l'Incarnation, si l'homme applique à cela sa liberté et sa volonté. Car Dieu ne peut agir que si l'homme, en toute liberté, oriente toute sa volonté vers son amour pour l'inscrire dans son cur, le vivre, en imprégner le quotidien de son existence et en être témoin au milieu de ses frères les hommes et au coeur du monde. Aimer Dieu ne demande pas que l'homme s'abandonne passivement à son amour, Aimer Dieu, c'est au contraire, se mettre debout, agir, orienter son être, sa volonté, tendre vers Dieu.
Mais pour cela, rien n'aurait pu être réalisé s'il n'y avait pas eu l'acte pur et simple d'abandon et d'amour de la Vierge Marie. A la suite de Ronsard qui écrivait :
« Marie, qui voudrait votre beau nom tourner, il trouverait aimer » (9)
François de Sales joue avec les mots « Marie » et « aimer»
« Aussi n'est-elle (Marie) plus qu'amour, et en notre langage, l'anagramme de Marie n'est autre chose que aimer: aimer c'est Marie, Marie c'est aimer. » (10)
Il fallait que Jésus naisse d'une femme, comme nous l'a rappelé la lettre de saint Paul aux Galates, pour que nous aussi nous devenions des fils, libres d'aimer et capables d'amour, pouvant appeler Dieu « Abba » , Père !
L'évangile de saint Matthieu souligne encore cette proximité de Dieu qui a voulu... par une femme, devenir en son Fils Jésus l'un de nous. Jésus, le Seigneur qui nous sauve de nos péchés, lEmmanuel, ce Dieu-avec-nous.
François de Sales, dans son Traité de l'Amour de Dieu, écrit :
« Entre toutes les femmes qu'il pouvait choisir... Dieu élut la très sainte Notre Dame, par l'entremise de laquelle le Sauveur de nos âmes serait non seulement homme mais enfant du genre humain. » (11) « Marie a été de toute éternité, prévue, regardée et prédestinée pour être Mère de Jésus, et comme telle, elle a été plus almée que tous les hommes et tous les anges ensemble.» (12)
Marie a été prévue de toute éternité.
Aimée dans le coeur de Dieu, elle a été choisie pour cette mission parce que Dieu dans
son amour infini pour l'homme avait choisi de devenir l'un de nous pour que nous
découvrions la profondeur de cet amour qu'il veut nous faire partager.
Marie a été regardée de toute
éternité. Regardée de ce regard d'amour dont Dieu ne cesse de nous envelopper. Il
souhaite tant que son regard saisisse notre propre regard pour que son amour transforme
notre vie et notre coeur .
Marie a été prédestinée de toute éternité. Mais une prédestination qui s'inscrit dans la totale liberté de la réponse de Marie. Dieu n'agit jamais sans la volonté de l'homme. A Marie s'applique tout particulièrement ce que François de Sales écrit sur la grâce de Dieu et la liberté de l'homme :
« La grâce est si gracieuse et saisit si gracieusement nos coeurs pour les attirer qu'elle ne gâte en rien la liberté de notre volonté. » (13)
Par Marie, nous entrons dans ce qu'on peut appeler la spiritualité de Nazareth, celle de la vie cachée, de l'instant présent pleinement vécu. Car par elle, Jésus a partagé trente-trois ans de notre vie humaine, vivant comme l'un de nous, ensemençant de l'amour divin toute existence humaine, donnant à chaque instant et à chaque évènement de la vie de l'homme, un sens et une saveur déjà éternelle. L'amour s'est incarnée concrètement dans l'existence humaine et rien de ce qui est humain n'est depuis étranger à Dieu.
Ce Christ agissant est Dieu, un Dieu
amour, communiquant cet amour avec l'homme, la créature qui est son image, cet amour qui
est vécu dans un échange incessant entre le Père, le Fils et l'Esprit. Marie a permis
que nous soyons par le Christ invité à la table de l'amour trinitaire.
C'est ce chemin de l'amour au quotidien qui est au coeur de la spiritualité salésienne et que Léonie Aviat, Mère Françoise de Sales, a progressivement fait grandir en elle.
« Cherchons à établir un printemps perpétuel dans notre cellule intérieure, (notre coeur) par les « oui » continuellement répétés aux permissions et volontés de Dieu. » « Comme il est bon de suivre pas à pas et jour par jour les indications de la Providence! » « Nous ne pouvons donner aux autres qu'après avoir reçu, et le Sauveur n'est pas avare de ses dons. Il nous les prodiguera même, si nous allons à Lui en toute confiance et abandon. » (14)
Que pouvons-nous en tirer pour notre vie d'aujourd'hui, car notre monde nous interpelle. Comme le dit encore François de Sales,
« Le monde est tellement entré dans le coeur de l'homme que l'homme est devenu monde et le monde homme. » (15)
Notre première attention doit se porter sur la création. Dieu l'a voulu au service de l'homme et l'homme s'est mis à l'exploiter à outrance jusqu'à la mettre d'une certaine façon en péril pour sa propre survie. Aujourd'hui on parle d'environnement, d'écologie. Ils sont au. coeur de notre destinée humaine. Le chrétien dans cette recherche d'harmonie entre l'homme et la création doit toujours se souvenir que la création est faite pour l'homme et non l'homme pour la création. Elle est l'oeuvre d'amour de Dieu pour l'homme. A chacun de nous d'être attentif à ce que les hommes d'aujourd'hui en font et à agir pour qu'elle soit toujours signe de la présence du Dieu d'amour.
L'homme est au coeur de la création. Il en est le sommet. Dans la transformation de notre monde, l'homme a fait de la création un objet dont il tire les besoins de son existence, depuis les fruits de la terre, ces produits agricoles jusquaux dernières inventions technologiques. Le vertige serait que l'homme pense qu'il puisse tout dominer, tout concevoir et maîtriser tout parfaitement. Or tout est en devenir. Rien n'est jamais acquis une fois pour toutes et l'homme est toujours rejoint par les questions existentielles de la vie, de la souffrance et de la mort. Nous sommes encore plus invités aujourd'hui à la modestie et à l'humilité.
Modestie, humilité, confiance, abandon, qui ne les a plus inscrits dans sa vie que la Vierge Marie. Aimée et choisie par Dieu, elle reste pour nous celle qui nous permet, en nous invitant à toujours poser notre regard sur son Fils, à avoir les yeux et le coeur fixés sur l'essentiel: Dieu, ce Père plein de tendresse et de miséricorde qui nous aime infiniment. En venant prier ici, laissons-nous façonner par Dieu à l'image de Marie.
(1) Marie-Aimée d'ESMAUGES, Léonie Aviat, Mère Françoise de Sales, Oblates SFS, Troyes, 1991 p.118
(2) SFS, Oeuvres Complètes, Edition d'Annecy -Tome V, page 483- OEA -V,483
(3) OEA -XIX,199
(4) OEA -XIII,311
(5) OEA -XXII,127
(6) OEA -XV,73
(7) AG HAMMAN, La Prédication des apôtres et ses preuves ou a foi chrétienne, DDB, Paris, 1977, p.98
(8) A THANASE D'ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, Paris, Le Cerf, 1973
(9) RONSARD, Le Second Livre des Amours, 1555
(10) OEA -VII,451
(11) OEA -IV ,100
(12) OEA -XXVI,90
(13) OEA -IV,89
(14) Léonie Aviat, Mère Françoise de Sales, La tradition Vivante, CIF, Epinay sur Seine, 1982, p. 29
(15) OEA -IX,343
« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! une clameur dallégresse,
Israël, Réjouis-toi, triomphe de tout ton cur, fille de Jérusalem ! »
(1)
Cette louange du prophète Sophonie est celle de notre cur de chrétien devant le
"oui" damour jailli du cur de Marie que lévangile de Luc
vient de nous rappeler.
Ce "oui" damour sinscrit dans lhistoire de
notre humanité aimée par Dieu. Dieu nous a créés à son image. Le magnifique récit de
la Création au début du livre de la Genèse nous le rappelle :
« Dieu créa lhomme à son image, à limage de Dieu il le créa, homme
et femme il les créa. » (2)
Lhomme-image de Dieu est affirmé dans son unité, lhumanité, et dans sa
diversité, lhomme et la femme. Lunité de Dieu qui est reflété dans tout
lunivers est, comme lécrit François de Sales « unique avec
diversité et divers avec unité. » (3)
Lhomme unidivers est limage dun Dieu qui est dans son
essence-même échange et mouvement parce quil est amour. Lhomme alors ne se
réalisera comme image de Dieu, comme icône de Dieu, quen agissant à son tour,
avec continuité, pour achever la création. Il lui faut agir autant pour Dieu que pour
ses frères, qui sont, chacun dentre eux, image eux aussi de Dieu.
Cest cette action que Marie a réalisé par cette simple parole : (4)
« Voici la servante du Seigneur, que tout se passe pour moi selon ta
parole. »
Vivante image parfaite de Dieu, Marie, parfaite créature, parfaite humanité, par son
Oui, son Fiat, répété chaque jour du jour de lAnnonciation jusquau
Calvaire, a permis que Dieu réalise son plein damour pour lhomme en nous
donnant son Fils. Sans ce Fiat, rien de Dieu neût pu passer en lhomme !
Comme nous le constatons, tout, même Dieu, dépendait de la liberté de lhomme, de
la liberté de Marie. Il ny a jamais damour sans liberté.
La réponse de Marie est le fruit dune profonde union à Dieu
quelle vivait déjà dans son cur. Comme toutes les jeunes filles de son
époque elle était pétrie de la culture hébraïque, de la connaissance de la Bible.
Elle fréquentait la synagogue et Dieu faisait partie de son horizon quotidien. Elle le
rencontrait dans la prière et à travers toute une vie rituelle spécifique qui rythmait
le quotidien des jours.
Elle connaissait lhistoire de son peuple, depuis Abraham, le patriarche
jusquà Isaïe et les Prophètes en passant par la libération dEgypte du
peuple hébreu qui fut conduit par Moïse jusquà cette terre promise, la terre
dIsraël, où elle habite maintenant à Nazareth.
Elle savait aussi comment tout au long de cette histoire, Dieu
sétait à plusieurs reprises manifester aux hommes en particulier par un messager.
Elle était donc prête intérieurement et culturellement à lirruption de Dieu dans
sa vie, à son intervention décisive dans lhistoire humaine. La révolution de
lamour venait senraciner au cur de notre humanité.
Quand Gabriel se présente devant elle, reprenant les paroles des
prophètes Sophonie et Zacharie, elle reconnaît la manifestation de Dieu et
laccueille alors dans la foi le message de lange. Elle ne cherche rien de
merveilleux mais de faire simplement la volonté de Dieu. Elle accepte alors humblement en
elle le don de Dieu et acquiesce en toute liberté à son désir.
Femme libre, icône parfaite du Dieu damour, sa réponse est alors totale, elle
sabandonne par amour à la volonté du Père. Ce « oui damour » a
ouvert par Jésus un océan de grâce et damour nous entraînant vers le rivage de
la réconciliation et du pardon et vers le port du Royaume éternel. Dieu peut alors
réaliser son dessein, libérer lhomme de son péché et le réconcilier avec Lui
par la vie, la mort et la résurrection de son Fils, devenu lun de nous par son
Incarnation.
Cest là que nous mesurons à quel point Marie est unique dans le
plan de Dieu. Pour François de Sales, Marie est la mère de Dieu, la Theotokos, comme le
dit la liturgie orthodoxe. Marie est celle qui a eu un lien charnel avec Dieu
puisquelle est la mère selon la chair dans lIncarnation du Fils de Dieu. Sa
personne et Dieu sont désormais inséparables, lhumain cest Jésus en elle.
Marie est donc unique dans le cur de Dieu et le rapport avec Lui peut être exprimé
ainsi : fille du Père éternel, mère du Fils de Dieu, épouse du Saint Esprit.
En ce sens, François de Sales dit dans un sermon :
« Pour moi, jai accoutumé de dire quen une certaine façon la
Vierge est plus créature de Dieu et de son Fils que le reste du monde. » (5)
Marie a été conçue dans les mêmes conditions quEve, sans
péché et libre. Mais elle va appliquer sa liberté non au refus mais à ladhésion
à la Parole de Dieu. Marie est ainsi lachèvement du plan de Dieu qui, par sa
création, voulait que tous les hommes soient semblables à Jésus-Christ. La Création,
gâchée par le refus dEve et dAdam, retrouve sa place première et redevient
laboutissement véritable de lalliance entre Dieu et lhomme, cette
histoire damour qui donne à lhomme qui vit dans le temps la possibilité
datteindre la perfection de la divinisation, la sainteté.
Cette perfection de lamour, par son oui libre et total, a jeté
Marie dans le cur de Dieu par un abandon total à sa volonté qui va alors se
manifester comme nous le rapportent les évangiles tout au long de sa vie avec son Fils.
François de Sales va jusquà dire que ce seul acte libre de Marie, à travers son
oui, a suffit pour navoir plus ensuite à exercer sa liberté désormais
entièrement abandonnée à Dieu.
« La très sainte Vierge fit en sa nativité ce dernier renoncement en telle sorte
quelle ne se servit (plus) jamais de sa liberté. Regardez bien tout le cours de sa
vie, et vous ne verrez autre chose quune continuelle sujétion. Elle va au Temple,
mais ce sont ses parents qui ly mènent, layant ainsi promis à Dieu. Bientôt
après on la marie. Voyez sa sortie de Nazareth pour aller à Bethléem, sa fuite en
Egypte, son retour à Nazareth ; en somme vous bne trouverez en toutes ses allées et
venues quune sujétion et souplesse admirable. Elle en vient jusquà voir
mourir son Fils et son Dieu sur le bois de la croix, demeurant ferme et debout à ses
pieds, sassujettissant à ce qui était du divin vouloir en adhérant à la volonté
du Père éternel. Non par force, mais de son plein gré, elle approuve et consent à la
mort de notre Seigneur ; elle baise cent mille fois la croix sur laquelle il est
attaché, elle lembrasse et ladore. O Dieu, quelle abnégation est
celle-ci ! Il est vrai que le cur tendrement amoureux de cette douce Vierge
était transpercé de véhémentes douleurs ; et qui pourrait exprimer les peines et
convulsions qui passaient alors dans ce cur sacré ! Néanmoins nous voyons
quil suffit à cette sainte Dame de savoir que cétait la volonté du Père
éternel que son Fils mourût et quelle le vit mourir, pour la faire tenir debout au
pied de la croix comme agréant et acceptant cette mort. » (6)
La liberté et labandon, la pensée salésienne insiste sur
ces deux dimensions pour répondre à lamour de Dieu.
Les deux confidents et conseillers de Léonie Aviat, le Père Louis
Brisson et la Mère Marie de Sales Chappuis vivaient profondément cette liberté
intérieure et cet abandon à lamour divin. A leur école Léonie est entrée dans
cette dynamique active de la liberté de lamour et de labandon à la volonté
de Dieu à chaque instant.
Nous rejoignons ici la spiritualité du moment présent si chère à
tout disciple de François de Sales. Le Père Louis Brisson lexprimera à Léonie
Aviat de cette manière :
« dans lâme la plus petite, la plus pauvre, saint François de Sales
découvre le don de Dieu si minime quil soit et sen empare. Il commence à
mettre en elle lamour de Dieu et cet amour, secondé par la bonne volonté, devenant
le mobile de toutes ses actions, il lui fait peu à peu et insensiblement déraciner ses
défauts et acquérir les vertus nécessaires. » (7)
Il sagit donc de seffacer, comme Marie, pour laisser
Dieu agir, « il faut tout faire par amour et rien par force » (8),
comme François de Sales lécrit à Jeanne de Chantal, fondatrice avec lui de la
Visitation. Cest par le "oui" intérieur du cur de lhomme,
réponse libre à lappel de Dieu que se forge alors le creuset de lamour. Il
faut une union et une contemplation intérieure du Seigneur pour, par laction, être
alors témoins dans le monde de cet amour. Il est normal que le regard de lamour
nous attire vers le ciel, cest ce qui nous permet sur cette terre de cheminer chaque
jour vers le Royaume :
« Vous êtes sorti du monde et vous montez pas à pas, nous
dit François de Sales, ne regardez pas en arrière, voyez devant vos yeux le
ciel. » (9)
Marie nous invite à cette contemplation dans laction, celle à
laquelle aspire profondément François de Sales. Il écrit à Jeanne de Chantal :
« O ma fille, que jai de désir que notre vie soit
cachée, avec Jésus-Christ en Dieu. Quand vivrons-nous nous-mêmes, mais non pas
nous-mêmes, et quand sera-ce que Jésus vivra tout en nous ? » (10)
Quand Jésus vivra vraiment tout en nous ? Cest cette
question que nous pouvons nous poser aujourdhui. Quelle est la place et
laccueil que nous réservons au Seigneur pour quil soit tout en nous et nous
entraîne vers nos frères pour vivre et témoigner de son amour ? Il nous faut simplement
marcher avec confiance, remplis despérance. Déjà sur notre terre, le Royaume
damour en est germe.
« Ne voyez-vous pas les fleurs qui sortent et commencent à
bourgeonner ? » (11) nous murmure François de Sales « Ne nous
empressons-point ; ceux qui sont dans une barque où il y a bon vent, sans remuer,
tire au port. » (12)
Il me semble que par son oui libre et confiant, Marie nous trace un
chemin.
Dans notre monde marqué par la fragilité et lincertitude tant
au niveau des relations humaines que face à lavenir, quels sont nos points de
repère ? Pour nous, chrétiens, il y a déjà la certitude de se savoir aimé et
accueilli par Dieu, à chaque instant, quelle que soit notre situation, aussi misérable
soit-elle tant dans notre cur que dans notre vie. Comme Marie, laissons-le nous
cueillir tels que nous sommes, et lui donner notre confiance. Il suffit dun peu
damour. Le message de Jésus est celui du bonheur et de la paix, même si notre
humanité reste encore déchirée par la haine, la guerre et la force des puissants. Mais
Dieu veut le bonheur de lhomme et a confiance en lui. Sabandonner à son amour
cest croire que cet amour est à luvre dans le monde et dans le
cur de chaque homme. Sachons changer notre regard sur lhomme, sur tout homme,
sur tous les hommes et être attentifs à laction de Dieu à travers les
évènements de notre vie. Sachons aussi nous associer à laction de tous ceux que
linjustice dérange et pour qui la justice et la paix au service des petits et des
pauvres est une exigence vitale. Il suffit simplement de se lever et de se mettre en
marche
Cest ainsi que lamour de Dieu sinscrira dans le monde
car lamour seul peut transfigurer la vie.
(1) Sophonie. So 3,14
(2) Genèse. Gn 1,27
(3) SFS, Traité de lAmour de Dieu. Livre II, chapitre 2. La Pléiade,
NRF, Paris, 1969, p. 415.
(4) Luc. Lc 1,38
(5) OEA VII,458
(6) OEA IX,352-353
(7) François de Sales, Prophète de lAmour, La tradition Vivante, CIF,
Epinay sur Seine, 1982, p. 33
(8) SFS, Lettres damitié spirituelle, Bibliothèque Européenne, DDB,
Paris, p. 169
(9) OEA XIII,97
(10) François de Sales, Prophète de lAmour, La tradition Vivante, CIF, Epinay sur
Seine, 1982, p. 19
(11) OEA IX,212
(12) OEA XXVI,270
Aujourd'hui notre regard se porte sur Jésus, chemin, vérité et
vie. L'icône du Christ qui a été préparée devant le chur nous rappelle qu'il
est au centre de notre foi chrétienne. Etre chrétien, c'est être disciple du Christ qui
nous révèle l'amour infini du Père. Le prophète Michée, comme bien d'autres
prophètes, a annoncé sa venue, nous venons de l'entendre.
" Et toi, Bethléem, le moindre des clans de Juda, c'est de
toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël. " (1)
Parole et Sagesse de Dieu, Dieu a établi son Fils de toute éternité,
avant la création de la terre. Et c'est par Marie, par son oui d'amour et d'abandon, que
l'enfant-Dieu surgit dans l'histoire humaine, au cur même de la nuit des hommes,
pour être lumière de Dieu au cur du monde. Le merveilleux récit de la nativité
de l'évangile de Luc nous rappelle cette naissance dans une mangeoire dans le silence de
la nuit de Bethléem et dans une totale pauvreté. Les seuls témoins en seront les
bergers et les anges qui rendront gloire à Dieu venu apporter aux hommes la paix pour les
hommes qu'il aime.
Cette naissance s'inscrit dans l'histoire d'amour que Dieu a
désiré tisser avec les hommes depuis la création.
" Tout ce que Dieu a fait, écrit François de Sales, est
destiné au salut des hommes et des Anges. " Et il l'a fait selon " l'ordre de
sa providence. " (2)
" Entre toutes les créatures que Dieu, cette souveraine
toute-puissance, pouvait produire, il trouva bon de choisir la même humanité qui fut
jointe à la Personne de Dieu le Fils, auquel il destina cet honneur incomparable de
l'union personnelle à sa divine Majesté, afin qu'éternellement, ce Fils jouît par
excellence de sa gloire infinie. " (3)
Cet amour infini, Dieu le partage éternellement avec son Fils, dans
l'Esprit. Entre eux tout est amour, un amour tel qu'il doit être toujours partagé. C'est
à cet honneur indicible de partager l'amour de Dieu que les hommes et les anges sont
invités. Le propre de celui qui aime est en effet de se donner, et le propre de celui qui
aime infiniment, c'est à dire Dieu, est de se communiquer sans mesure.
" Dieu, continue François de Sales, cette suprême Providence, disposa de ne pas
retenir sa bonté en la seule Personne de ce Fils bien-aimé, mais de la répandre en sa
faveur sur d'autres créatures ; et parmi cette innumérable quantité de choses qu'il
pourrait produire, Dieu fit choix de créer les hommes et les Anges, comme pour tenir
compagnie à son Fils, participer à ses grâces et à sa gloire et l'adorer et louer
éternellement. " (3)
Nous sommes ici au cur du mystère de l'amour gratuit de Dieu pour l'homme, qui donne à notre humanité d'être si précieuse dans le cur de Dieu. La pensée de François de Sales s'origine dans cet amour. Il invite toujours à voir en Dieu un Dieu d'Amour, loin de toute considération dogmatique et morale. Aimer Dieu est avant tout l'élan du cur, celui de Dieu et celui de l'homme qui se rencontrent à l'invitation de Dieu. Notre foi est une foi en un Dieu Amour. Le cur qui veut aimer Dieu ne doit être attaché qu'à l'amour de Dieu.
Le point de jonction, la rencontre entre Dieu et l'homme, se fait en
Jésus, par son Incarnation. François de Sales insiste sur ce " christocentrisme.
" (4) Le Pape Paul VI pour la quatrième centenaire de la naissance de François de
Sales, en 1967, qu'il qualifie de " Perle de la Savoie " (5) souligne
que François nous propose à juste titre un " superhumanisme christocentrique "
(5) Rien de ce qui existe n'aurait pu exister si Jésus Christ ne devait pas " naître
" un jour parmi les hommes. Ce qui veut dire que tout ce qui existe porte la marque
originelle et originale de Jésus, le Verbe fait chair. Jésus est vraiment Seigneur de
l'Univers, le " Premier-né de toute créature " (6) comme le dit saint
Paul. Il a été le premier conçu dans l'amour de Dieu quand il a voulu créer le monde
et tout ce qui a été fait avant qu'il ne vienne assumer sa présence historique parmi
nous, présence qui a toujours été voulu par Dieu pour que nous l'accueillions. C'est en
ce sens qu'il nous faut toujours lire et comprendre l'Ancien Testament, la Première
Alliance.
Nous savons cependant quel accueil par les siens a reçu Jésus, mais cela ne change rien
à la volonté du Créateur. Bien plus la tragédie de la mort de Jésus est devenue
l'Eucharistie de la Résurrection, la haine des hommes, loin de décourager Dieu, n'a fait
qu'exciter sa tendresse et sa miséricorde envers l'homme : Jésus aime ses ennemis ! Il
aime l'homme jusque dans son geste de haine ! Jusqu'à dire à son Père :
" Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. " (7)
Et c'est parce que le Père éternel ne peut pas regarder un homme
sans y reconnaître son propre Fils qu'il aime de tout son amour de Dieu ; comment
pourrait-il lui vouloir du mal ? Son amour sera plus fort que tout, il saura bien un jour
vaincre la résistance de la liberté humaine qui a été faussée, il attendra. Cette
attente soutenue et toujours la même, inlassable et vive, devient en Jésus ressuscité
son action actuelle, constante et pleine de tendresse. Quand l'homme s'en aperçoit, il
n'en croit pas son cur. Oui, Jésus est vraiment venu au cur de notre
humanité pour nous révéler le cur de Dieu, cet amour infini et inlassable dont il
ne cesse de nous combler toujours chaque jour par son Esprit.
Le monde est devenu christique ! Le théologien-poète Teilhard de
Chardin en a tracé les grandes lignes. Rien de notre monde n'est ignoré par le Fils fait
chair dans notre chair. Son Incarnation transfigure dès aujourd'hui la création et
l'homme dont cette création est la demeure.
La terre, le travail de l'homme, ses joies, ses souffrances, ses
espoirs et ses peines, sont ce pain et ce vin que nous offrons dans chaque eucharistie,
dons de Dieu même, devenus par Jésus création nouvelle et nourriture et boisson pour
notre vie.
Chaque eucharistie renouvelle l'Incarnation de Jésus au cur du
monde et de l'homme, et devient action de grâce au Dieu d'Amour. Et c'est là que nous
rencontrons Dieu. Car rien de notre condition humaine n'a échappé à la vie humaine du
Christ. Il l'a habitée personnellement. Jésus a parcouru tous nos chemins humains,
semant l'amour de Dieu autour de lui auprès des petits, des pauvres, des paumés, des
marginaux, des exclus de l'humanité, tous ceux qui n'ont souvent rien sauf un cur
gros d'amour, de tendresse et de passion pour tous les hommes.
Jésus nous fait alors quitter l'esclavage de tous nos sabbats, ces
principes et valeurs qui nous enchaînent trop souvent à tout ce qui est en " isme
", dogmatisme, idéologisme, moralisme, matérialisme, formalisme, etc. Il nous
invite à enraciner dans notre expérience humaine l'amour infini de ce Père qui nous
aime. Cet amour est inscrit au cur de nos curs et fait de chacun de nous un
homme ou une femme libre, digne d'amour et capable d'aimer. Cet amour regarde et accueille
en l'autre sa dignité et sa liberté, sa soif d'être, de vivre et d'aimer, sa capacité
à devenir à son tour amour, car il est image et ressemblance de Dieu.
Toute la vie de Marie a été marquée par l'Incarnation dans sa
propre chair du Fils de Dieu. Mère, elle est devenue disciple, façonnée par l'amour de
Dieu, pouvant alors porter dans tout ce qu'elle vivait le message d'amour de son Fils.
" L'on est accoutumé de dire que telle est la vie, elle est
la mort, écrit François de Sales : de quelle mort pensez-vous donc que mourut la Sainte
Vierge, sinon de la mort d'amour ? O c'est une chose indubitable qu'elle mourut d'amour.
Elle a toujours été la Mère de la belle dilection (charité) ; l'on ne remarque point
de ravissements ni d'extases en sa vie, parce que ses ravissements ont été continuels :
elle a aimé d'un amour toujours fort, toujours ardent, mais tranquille, mais accompagné
d'une grande paix. Si bien que cet amour allait sans cesse croissant, cet accroissement ne
se faisait point par secousses ni élans, mais, comme un doux fleuve, elle allait toujours
coulant, et presque imperceptiblement, du coté de cette union tant désirée de son âme
avec la divine bonté. " (8)
Et François de Sales alors de relire la vie de Marie en insistant sur
la simplicité de cette vie donnée à Dieu et aux hommes :
" Voyez votre Abbesse, comme il l'appelle quelquefois, partout où elle va. En sa
chambre de Nazareth : elle exerce
sa candeur, désirant d'être enseignée en
interrogeant, sa démission, son humilité, se disant servante. Voyez-la en Bethléem :
elle exerce une vie simple de pauvreté ; elle écoute les bergers comme si ç'eussent
été de grands docteurs. Voyez-la avec les Rois ; elle ne s'empresse point à leur faire
des harangues. Voyez-la en la purification : elle va pour obéir à la coutume
ecclésiastique. En allant et revenant d'Egypte, elle obéit simplement à saint Joseph.
Elle ne croit pas de perdre le temps d'aller visiter sa cousine sainte Elisabeth, par
office d'une charitable civilité. Elle cherche Notre Seigneur, non pas en se
réjouissant, mais en pleurant. Elle a compassion de la pauvreté et confusion de ceux qui
l'ont invitée aux noces, leur procurant leurs nécessités. Elle est au pied de la Croix,
humblement humble, basse, vertueuse, et vertueusement basse. " (9)
C'est surtout la mort de Marie qui enflamme le cur de François
de Sales :
" Je considérais au soir, selon la faiblesse de mes yeux, cette Reine mourante
d'un dernier accès d'une fièvre plus suave que toute santé, qui est la fièvre d'amour,
laquelle, desséchant son cur, enfin l'enflamme, l'embrase et le consomme, de sorte
qu'il exhale son saint esprit, lequel s'en va droit entre les mains de son Fils. "
(10)
Marie vivait intérieurement l'Incarnation de Jésus. Elle avait
compris que toute vie était désormais imprégnée par le Christ qui ouvre à chacun le
chemin vers le Royaume.
C'est ce regard d'Incarnation que nous devons porter sur notre vie et
sur le monde. Nous sommes trop imprégnés aujourd'hui par les dérèglements de notre
monde dont les mass-médias donnent trop souvent une image négative. Nos informations
regorgent trop de guerres, de haines, de comportements humains déviants, de l'étalement
de la folie des puissants et de la possession des riches.
Il nous faut comme Marie apprendre à porter un autre regard sur l'homme et sur le monde et à rechercher les signes aujourd'hui de l'Incarnation qui se continue. Elle se poursuit à travers la vie discrète et cachée de beaucoup d'hommes et de femmes dont on ne parle pas mais qui, par leur vie et leur action témoignent inlassablement du Christ, icône de l'amour vivant du Père. Des milliers de jeunes sont partis cet été dans des pays en voie de développement pour des actions humanitaires, des milliers d'hommes et de femmes sont partie prenante d'actions humanitaires dans de nombreux domaines, des milliers d'hommes et de femmes ont les portes de leurs curs et de leurs maisons ouvertes aux autres, aux pauvres, aux exclus, des milliers d'hommes et de femmes, chaque jour, prennent le temps de faire une halte pour Dieu dans la prière et la contemplation.
Oui, l'Incarnation aujourd'hui continue à travers chacun de nous, car nous savons que, par sa Résurrection, Jésus nous a ouvert les portes de la vie. Vivons alors dès aujourd'hui en ressuscités, incarnant à notre tour, par notre témoignage de vie et d'amour, la vie même de celui qui chair dans notre chair vient combler l'attente de nos curs et ne cesse de nous dire : n'ayez pas peur, ouvrez votre cur, je suis le chemin, la vérité et la vie.
(1) Michée - Mi 5,1
(2) SFS, Traité de l'Amour de Dieu. Livre II, chapitre 4. La Pléiade, NRF, Paris, 1969,
p. 420.
(3) Id. p. 421
(4) François de Sales, Prophète de l'Amour, La tradition Vivante, CIF, Epinay sur Seine,
1982, p. 17
(5) PAUL VI, " Lettre apostolique Sabaudiae Gemma, Perle de la Savoie, à l'occasion
du 4ème centenaire 1567-1967 de la naissance de saint François de Sales ", DC n°
1489, 3 mars 1967, col. 395-398.
(6) Colossiens - Col 1,15
(7) Luc - Lc 23,34
(8) OEA - IX,186
(9) OEA - XIV,109-110
(10) OEA - XVII,270
Chaque fois que nous nous trouvons en face dévénements comme ceux qui ont été vécus en cette fin de journée, nous nous sentons interpellés dans notre cur et au fond même de notre humanité. Et nous nous posons beaucoup de questions. Est-ce que notre monde serait-il devenu fou ? Quest-ce que réellement notre humanité ? Et nous nous tournons alors vers Dieu avec ces questions, ces interrogations. Nous attendons simplement dabord dessayer de comprendre et surtout dessayer de trouver dans notre vie, cet espace despérance. Qui nous permet chaque jour davancer et de dépasser les événements aussi tragiques soient-ils qui viennent percuter notre vie.
Nous venons dentendre lévangile de la nativité, de la naissance de Jésus, avec les anges. Jésus qui naît au cur de la vie des hommes, qui naît dans une mangeoire, comme un exclu, et dont les seuls qui viennent le voir, ladorer, sont les bergers et les anges dans la nuit. Jésus est venu dans la nuit de notre humanité, cette nuit que nous semblons retrouver aujourdhui. Mais en même temps, il est venu apporter quelque chose, installer une espérance, apporter un amour qui nous dépasse. Il est venu simplement au cur de notre onde, nous délivrer un message sur cette humanité dans laquelle nous sommes plongés. Ce message est celui de ces amour de Dieu pour lhumanité, malgré tout ce que cette humanité au fil des ans, vit dans toutes ces dimensions depuis que son histoire damour avec Dieu a rencontré des obstacles et des difficultés. Et Jésus vient justement, par son incarnation nous poser à nouveau un pari sur lamour et sur lhomme et redonner une dimension despérance à tout ce que nous vivons. François de Sales nous invite toujours à regarde dans lhumanité ce qui fait son origine et sa beauté.
Il y a un regard sur lhomme que nous apporte Jésus parce quil est venu partager notre existence et notre vie de tout les jours. Il sest incarné à la fois dans nos joies et nos peines, dans nos difficultés, il sest incarné dans notre monde et sème dans ce monde, à sa manière, discrète, cachée, comme un levain, cet amour que Dieu veut que nous partagions. Il faut alors à lhomme faire ce chemin pour découvrir Au cur de lui-même et au cur du monde, cet amour infini, mais il ne peut le découvrir que sil autant reçoit, accueille, ce message de Jésus-Christ. Et nous savons combien même parmi les siens, Jésus na pas été écouté et entendu, et que ce message sest longtemps perdu sur la croix. Ce message damour est dépassé par lamour même que Dieu a pour lhomme, un amour infini. Jésus aime tous les hommes, jusquau bout, il ne sest pas arrêté à la fatalité de la haine, où des difficultés, il a simplement dit, juste avant de mourir : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce quils font. » Ce cri damour est celui que Dieu adresse à notre humanité, encore aujourdhui. Quand lhomme saperçoit alors de cet amour, il nen croit pas son cur.
Jésus est venu dans la nuit de notre humanité pour nous révéler le coeur de Dieu, de cet amour infini, inlassable, dont il ne cesse de nous combler chaque jour. Le monde, comme le dira Teilhard de Chardin est devenu alors christique, cest à dire, habité entièrement par le Christ. Rien de notre monde, malgré ses déchirures et tous les événements, nest ignoré par le Christ parce quil est devenu chair en notre chair et que son incarnation, même si aujourdhui nous nen mesurons pas encore totalement la finitude, son incarnation transfigure cette création où lhomme a sa demeure.
La terre, le travail de lhomme, ses joies, ses souffrances, ses espoirs, ses peines, deviennent alors ce pain et ce vin que nous offrons dans chaque eucharistie, don de Dieu-même qui deviennent, par Jésus, création nouvelle, nourriture et boisson pour notre vie. Chaque eucharistie renouvelle lincarnation de Jésus au cur du monde et de lhomme et devient alors une action de grâce pour lamour quil nous donne. Cest là que nous rencontrons Dieu, parce que Jésus a parcouru tous nos chemins humains, semant lamour autour de lui, auprès des petits, des pauvres, des exclus de lhumanité, tous ceux qui nont souvent rien sauf un cur gros damour, de tendresse et de passion pour les hommes. Jésus nous fait alors quitter tout lesclavage de ce quon pourrait appeler nos sabbats, tout ce qui nous enchaîne trop souvent et nous en avons lexemple aujourdhui, à ce qui est en « isme », le dogmatisme, lidéologisme, le fondamentalisme, le formalisme, etc Il nous invite à enraciner dans notre expérience humaine, lamour infini de ce Père qui nous aime. Cet amour est inscrit au cur de notre de notre cur et fait de chacun de nous, une homme et une femme libre, digne damour et capable daimer. Cet amour alors, et cest celui que nous sommes invités à vivre à la suite du Christ, comme chrétiens, cet amour regarde et accueille en lautre, sa dignité et sa liberté, sa soif dêtre, de vivre et daimer, sa capacité à devenir à son tour, amour, car il est image et ressemblance de Dieu. Et cest cet amour que nous sommes invités à vivre, chaque jour là ou nous sommes, qui est la seule réponse à tout ce que lhumanité vit de négatif dans son existence.
Marie vivait intérieurement cette incarnation de Jésus. Elle avait compris que toute vie est désormais imprégnée par le Christ qui ouvre à chacun le chemin vers le Royaume. Cest ce regard dincarnation que nous devons porter sur notre vie et sur le monde. Il nous faut comme Marie, apprendre à porter un autre regard sur lhomme et sur le monde, et à rechercher les signes aujourdhui de lIncarnation qui se continue malgré tout ce que nous pouvons vivre. Et cette incarnation se continue et cest là que nous devons la découvrir, à travers la vie discrète et cachée de beaucoup dhommes et de femmes, dont on ne parle pas mais qui par leur vie et leur action témoignent inlassablement du Christ, image de lamour vivant du Père. Des milliers de jeunes par exemple partent chaque année dans les pays en voie de développement pour des actions humanitaires, des milliers dhommes et de femmes font partie dassociations qui sont là pour défendre, pour promouvoir, la dignité de lhomme. Des milliers dhommes et de femmes ouvrent les portes de leur cur, de leur maison, aux autres, aux pauvres, aux exclus, des milliers dhommes et de femmes chaque jour prennent le temps de faire une halte pour Dieu dans la prière et la contemplation. Cest là lespérance de lamour que nous devons vivre, dans cette incarnation qui se continue tous les jours et qui construit à sa manière le Royaume de Dieu, loin de tout ce qui est déchéance de lhumanité.
Lincarnation continue aujourdhui au travers de chacun de nous car nous savons quà travers sa mort et sa résurrection, Jésus nous a ouvert les portes de la vie. Nous devons alors vivre en ressuscité, incarnant à notre tour, par notre témoignage de vie et damour, la vie même de celui qui chair dans notre chair, vient combler lattente de nos curs. Il ne cesse pas de nous dire : « Nayez pas peur ! Ouvrez votre cur à lamour ! Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ! » Amen
Dans cette chapelle, nous sommes comme les Apôtres, réunis autour
de Marie pour prier et louer le Seigneur. Les Actes des Apôtres que nous avons lus
relatent sobrement le fait.
" D'un seul cur, ils (les apôtres) participaient
fidèlement à la prière, avec quelques femmes, dont Marie, mère de Jésus, et avec ses
frères. " (1)
Thérèse Chappuis, de Soyhières, avant d'entrer à la Visitation de Fribourg et à plusieurs reprises au début de sa vie religieuse, est venue prier et se recueillir ici. Léonie Aviat, Mère Françoise de Sales, fondatrice des Oblates de saint François de Sales, qui sera canonisée à Rome, le 25 novembre prochain, est aussi venue ici confier au Seigneur sa jeune congrégation et la communauté des Oblates venue s'installer à Soyhières dans la maison natale de Thérèse Chappuis, la Bonne Mère, qui, à Troyes, avait guidé ses pas vers la vie religieuse à l'école de François de Sales. C'est le rappel de la prière de Léonie, ici même, qui a été symbolisée par le cierge posé près de l'ambon. Ce cierge nous rappelle que toute prière est adressée au Seigneur. Mais c'est très souvent vers et par Marie que les chrétiens se tournent pour prier le Dieu d'amour, sachant qu'elle saura porter vers son Fils et vers Dieu leurs louanges et leurs demandes.
Marie est le prototype même de la créature réussie dans et par le plan de Dieu, nous devons donc nous attacher à elle comme à une médiatrice auprès du seul médiateur entre Dieu et l'homme, Jésus-Christ. La prière à Marie est depuis le début de l'Eglise une des réalités de la prière du peuple chrétien puisque Marie est l'avocate de l'homme, créature de Dieu, dans son plan d'amour pour les hommes. Ayant donné l'humanité à Dieu, elle lui porte notre condition humaine.
Mais la prière que nous faisons par Marie, Marie elle-même nous
l'enseigne à travers le Magnificat. Et certainement c'est à partir de cette prière que
Marie vivait tous les événements de la vie de son Fils qu'elle portait dans son
cur, comme nous venons de l'écouter dans l'évangile de Luc.
" Marie, cependant, retenait tous ces événements et les
méditait dans son cur. " (2)
C'est sur cette prière de Marie que je vous invite à méditer
aujourd'hui. Nous pourrons y puiser pour alimenter notre propre prière et inscrire encore
plus en nos curs la présence du Christ qui, par son Esprit, nous conduit à chaque
instant sur le chemin de l'amour du Père.
La prière de Marie est d'abord une louange confiante :
" Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon
Sauveur. " (3)
Comment ne pas reconnaître avec Marie dans nos vies ce Dieu d'amour
qui vient dilater nos curs de sa présence et de sa vie, lui qui nous a aimés le
premier et qui veut partager avec nous sa propre divinité. Toute prière, celle de Jésus
comme celle de Marie, commence par une louange, c'est à dire l'accueil et la
reconnaissance de ce Dieu d'amour nous proposant gratuitement et librement de l'aimer.
Nous ne pouvons que le louer et lui rendre grâces pour tant d'amour !
La vraie prière est celle qui laisse d'abord et avant tout la place au
Seigneur. La louange invite au silence du cur. Le cur ainsi joyeux et apaisé
peut entendre la parole même du Seigneur. Il ouvre alors la porte de notre cur, le
dilate de son amour et comble tous nos désirs.
Mais faut-il encore que nous y soyons-prêts ? Il faut d'abord se tenir
comme un serviteur inutile, comme une servante, dans l'humilité et l'accueil du don de
Dieu. Marie nous y invite :
" Il s'est penché sur son humble servante. " (3)
Savoir reconnaître qui nous sommes ! se tenir humblement devant Lui.
Toute prière demande que nous commencions par avoir un cur d'enfant, libre et
disponible, confiant et humble. Nous, chrétiens, avons alors besoin de reconnaître notre
misère et notre péché.
" L'homme est la fleur de la misère " (4) dit
François de Sales, et il ajoute : " Nous sommes des roseaux qui nous laissons
emporter à toutes nos humeurs exposées aux orages et aux tempêtes " (5) "
chétifs roseaux, mais roseaux d'or. " (6)
Se reconnaissant humble servante, Marie peut alors reconnaître
l'action de Dieu en elle, et lui rendre grâces pour tant de bienfaits.
" désormais tous les âges me diront bienheureuses. Le
Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! " (3)
Il est vrai qu'il nous est souvent difficile de reconnaître l'action
de Dieu en nous, d'abord, comme le dit l'adage populaire, parce que nous sommes toujours
aveugles en nos propres affaires, mais aussi parce que nous avons toujours peur d'être
gagnés par l'orgueil ou l'autosuffisance. C'est toujours une question de mesure. Etre
humble c'est aussi savoir reconnaître les dons reçus par Dieu, les bienfaits de sa
grâce dans notre vie.
" Il faut avoir patience " dit encore François de
Sales " et prier Dieu qu'Il nous fasse tous humbles, afin que, comme vaisseaux
très profonds, nous soyons capables de recevoir ses grâces en abondance. " (7)
La prière de Marie continue sur un autre registre, celui de l'action de Dieu en faveur
des hommes. Elle rend grâces à Dieu pour tout ce que son amour réalise à travers
l'humanité et sur les hommes qui répondent à son amour. On rejoint ici les demandes du "
Notre Père " qui nous renvoient au cur même de notre foi.
" Son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. " (3)
Notre prière n'est jamais fermée sur elle-même. Elle se vérifie
toujours par la qualité de notre charité et de l'accueil de nos frères les hommes.
Comme il n'y a pas d'amour sans liberté, il n'y a pas de prière sans vraie charité.
Ceci nous invite à lier étroitement prière et charité. Nous devons essayer de vivre la
prière et la charité comme deux moments d'une unique prière qui doit unifier toute
notre vie. François de Sales parle ici de prière vitale :
" Toutes les actions de ceux qui vivent en attitude d'amour filial vis à vis de
Dieu sont de continuelles prières et cela se nomme oraison vitale. " (8)
Notre prière devient alors action comme toute action devient prière. Tout ceci s'inscrit
dans la longue histoire de l'alliance de Dieu avec l'humanité, depuis Abraham jusqu'à ce
jour où Dieu a donné son Fils à l'humanité. En terminant sa prière, Marie nous
rappelle cette merveilleuse aventure qui a préparé la venue de son Fils et qui a
réconcilié à jamais la race humaine avec son Créateur :
" Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son
amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa race à jamais.
" (3)
Si nous prions Marie, c'est que nous percevons que nous pouvons
joindre nos prières à la sienne. Qui donc, mieux qu'aucune autre créature, peut
comprendre la réalité de l'homme, elle qui a porté dans sa chair l'homme-Dieu ! Qui
donc, mieux qu'aucune autre créature, peut saisir la beauté et la bonté de Dieu, elle
qui par son oui d'amour a porté dans son cur le Dieu-homme !
" Notre Dame porte en son nom la signification d'étoile de mer ou d'étoile
matinière " dit François de Sales dans un sermon de Noël. " L'étoile de
mer c'est l'étoile du pôle vers laquelle tend toujours l'étoile marine
La très
sacrée Vierge est aussi cette étoile matinière qui nous apporte les gracieuses
nouvelles du vrai Soleil " (9)
Dans la spiritualité salésienne, Marie est un chemin privilégié
pour nous conduire vers l'union à Dieu, parce qu'elle tout en son Fils. Toute notre vie
est pour nous unir à Dieu et au prochain, Et l'oraison vitale en est la voie. Léonie
Aviat, en août 1894, écrivait cette prière :
" O mon bon Sauveur, je vous demande la grâce de répondre
bien fidèlement au mouvement intérieur que vous voulez bien me donner, et augmenter en
moi celui de vivre bien abandonnée et bien confiance en votre amour, acceptant sans
retour tout ce que vous voudrez et tout ce que vous permettrez pour moi en particulier, et
pour tout ce qui regarde la communauté, les uvres, les personnes dont vous voulez
que nous nous occupions. " (10)
François de Sales nous a laissé une prière très émouvante
adressée à Marie. Les historiens n'ont pas pu exactement la situer historiquement. Mais
elle est authentique et a été certainement écrite au cours d'un événement décisif de
sa vie. Les maitres-mots de cette prière sont l'abandon dans l'amour et la confiance.
N'est-ce pas ainsi, qu'aujourd'hui comme hier, dans les événements heureux comme
douloureux de nos vies, nous sommes toujours invités à prier et à rencontrer Dieu ?
" Ayez mémoire et souvenance, très douce Vierge, que vous êtes ma Mère et que
je suis votre fils, que vous êtes puissante et que je suis un pauvre homme vil et faible.
Je vous supplie, très douce Mère, que vous me gouverniez et me défendiez dans toutes
mes voies et actions.
Ne dites-pas, gracieuse Vierge, que vous ne pouvez ! car votre
bien-aimé Fils vous a donné tout pouvoir, tant au ciel comme en terre. Ne me dites pas
que vous ne devez : car vous êtes la commune Mère de tous les pauvres humains et
particulièrement la mienne.
Si vous ne pouvez, je vous excuserais, disant : il est vrai qu'elle est
ma mère et qu'elle me chérit comme son fils, mais la pauvrette manque d'avoir et de
pouvoir. Si vous n'êtes pas mère, avec raison je patienterais, disant : elle est bien
assez riche pour m'assister, mais hélas, n'étant pas sa mère, elle ne m'aime pas.
Puis donc, très douce Vierge, que vous êtes ma mère et que vous êtes puissante,
comment vous excuserais-je, si vous ne me soulagez et ne me prêtez votre secours et
assistance ? Vous voyez, ma mère, que vous êtes contrainte d'acquiescer à toutes mes
demandes.
Pour l'honneur et la gloire de votre Fils, acceptez-moi comme votre
enfant - sans avoir égard à mes misères et à mes péchés - Délivrez mon âme et mon
corps de tout mal et me donnez toutes vos vertus, surtout l'humilité.
Enfin, faites-moi présent de tous les dons, biens et grâces qui plaisent à la Sainte
Trinité, Père, Fils et Saint Esprit. Amen. " (11)
(1) Actes - Ac 1,14
(2) Luc - Lc 2,19
(3) Luc - Le Magnificat - Lc 1,46-55
(4) OEA - XII,386
(5) OEA - IX,413
(6) OEA - V,254
(7) OEA - XVII,148-149
(8) OEA - IX,61
(9) OEA - IX,5
(10) Bienheureuse Françoise de Sales Aviat, Coll. Dieu est Amour n° 152, Pierre Téqui,
Paris, 1993, p. 19
(11) OEA - XXVI,427-428
L'Eglise nous invite aujourd'hui à célébrer la Croix glorieuse du
Christ. Nous sommes ici résolument dans une perspective salésienne. Par sa mort et sa
résurrection, Jésus réconcilie par amour le monde avec son Père. Jésus redonne sa vie
à son Père dans un acte d'amour. Cette vie est accueillie par Dieu pour être glorifiée
et nous entraîner dans une même glorification. L'évangéliste Jean, nous l'avons
entendu au début de cette célébration, nous le dit explicitement :
" Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils
unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie
éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde, mais
pour que, par lui, le monde soit sauvé. " (1)
Voici réaffirmée, sans ambiguïté, la mission de Jésus, le Fils
bien-aimé. A travers la Croix nous célébrons une victoire, celle de l'Amour sur le mal,
les ténèbres. Et nous sommes invités à nous convertir à cet amour. Le chrétien ne
peut pas faire l'économie de cette Croix qui est le lieu suprême de l'amour incarné. Il
doit passer par la Croix pour découvrir la vraie Vie.
Le début de cette aventure commence à Cana
où déjà se manifeste l'Amour infini de Dieu. A travers le dialogue à Cana entre Jésus
et Marie nous découvrons le langage de cet Amour. Laissons François de Sales commenter
ce dialogue :
" Lorsque la Sainte Vierge, aux noces de Cana en Galilée, dit à
Notre Seigneur avec tant d'humilité et charité que le vin était failli, il la rejeta,
lui répondant : Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ? Pourquoi te mêles-tu de cela,
qu'en ai-je à faire ? (
) Cette réponse semble bien rude et rigoureuse à ceux qui
n'entendent pas le langage de l'amour. " (2)
Il peut y avoir deux interprétions de la réponse de Jésus.
Aujourd'hui, ceux qui étudient les textes bibliques, l'Ecriture, les
exégètes, interprètent la réponse de Jésus comme une affirmation de sa divinité, sa
réponse manifestant qu'il prend alors ses distances avec la démarche humaine de Marie.
François de Sales, lui, en fait une interprétation spirituelle. Mais
exégètes et maîtres spirituels se retrouvent sur un point essentiel. La réponse de
Jésus à Marie, qui se concrétisera par le miracle de l'eau changée en vin, veut nous
inviter à regarder ici Jésus dans sa divinité. Dans la réponse donnée par Jésus,
Marie est maintenant regardée non plus comme mère mais comme disciple. Jésus manifeste
ainsi qu'il va agir comme Fils de Dieu, comme son envoyé, comme le dit le prophète
Malachie :
" Voici que je vais envoyer mon messager pour qu'il fraye un
chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire. " (3)
François de Sales continue son interprétation spirituelle :
" La Sacrée Vierge, qui savait ce que c'est d'aimer, entendit
bien ce que son Fils voulait dire, car elle était toute faite à son langage. (
)
Elle ne s'étonna donc point de ces paroles par lesquelles il paraissait l'éconduire de
sa demande, mais elle crût qu'il ferait tout ce qu'elle désirait, et pleine de
confiance, elle donna cet ordre aux serviteurs : Faites tout ce qu'il vous dira. Comme si
elle eut voulu signifier : Si vous avez pris garde à la réponse de mon Fils, vous
penserez peut-être qu'elle est bien sévère et qu'il veut m'éconduire ; mais il n'en
est pas ainsi, je sais qu'il veut faire tout ce que je voudrai, ne craignez rien, je suis
assurée qu'il m'exaucera. Ces paroles qui en apparence semblent dures, sont les plus
douces et obligeantes qu'un cur amoureux puisse dire à une âme amoureuse. "
(4)
Et François de conclure :
" Voilà donc comme l'amour a un certain langage que nul ne
peut entendre que ceux qui savent que c'est qu'aimer. " (4)
Ce langage de l'amour passe par la Croix. Quand Marie dit aux
serviteurs " Faites tout ce qu'il vous dira ", elle nous invite
maintenant à tourner résolument notre vie vers son Fils, à nous mettre à l'écoute de
sa parole et de sa vie et à conformer notre propre existence à la sienne. C'est ce que
Marie elle-même fera. Pour Jésus elle est devenue disciple. Quand un jour ses disciples
lui diront :
" Ta mère et tes frères se tiennent dehors et veulent te
voir ", Jésus leur répondra : " Ma mère et mes frères, ce sont ceux
qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. " (5)
Ecouter et mettre en pratique la parole de Dieu. Cette parole de Dieu
incarnée en Jésus est une parole en acte et l'acte suprême de la vie de Jésus est sa
mort en Croix qui ouvre les portes de la Résurrection. Ce chemin de Jésus est le chemin
de tout chrétien.
" Si quelqu'un veut venir à ma suite, dit Jésus, qu'il se
renie lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. Qui veut en effet sauver
sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera. " (6)
Se renier soi-même est la première condition pour partir à la
suite de Jésus. Il s'agit ici de la première démarche fondamentale de tout homme en
quête de Dieu. Se convertir, tourner son cur vers le Seigneur, se libérant de tous
les esclavages qui ne font que nous tourner vers nous-mêmes et non vers Dieu et nos
frères. Cette démarche de conversion, Jésus ne cesse de nous y inviter. Combien de fois
dans l'évangile, quand un homme ou une femme se convertit en reconnaissant en Jésus le
vrai chemin de vie, celui-ci constate alors cette conversion et l'invite alors résolument
à avancer. C'est à travers un acte de foi confiant en Jésus et à travers lui en
l'amour infini de son Père que s'opère toute conversion. Alors
Jésus peut dire : à l'aveugle de Jéricho : " Va, ta foi t'a sauvé. " (7)
ou à la pécheresse pardonnée et aimante : " Ta foi t'a sauvée ; va en paix.
" (8)
ou encore simplement ouvrir ses bras pour accueillir le retour du fils perdu. (9)
François de Sales ne cesse d'inviter à cette dynamique de la
conversion. Il a une telle image de la grandeur de l'homme aimé et créé par Dieu à sa
ressemblance qu'il sait que l'homme, tout homme et tous les hommes sont destinés à la
sainteté. C'est un point fort de sa spiritualité, l'appel universel à la sainteté.
Avec lui, nous découvrons, en le vivant qu'être disciple de Jésus-Christ n'est pas se
charger d'un carcan ou prendre une route exceptionnelle praticable seulement à des êtres
d'élite, en marge des autres. Etre disciple de Jésus-Christ est réaliser en nous, dans
une conversion sans cesse renouvelée, un " être plus " (10) Qu'est-ce que cet "
être plus ", sinon nous laisser modeler intérieurement par le Christ en le
laissant nous habiter pour mieux témoigner de son amour ? Et ceci chacun d'entre nous
peut le réaliser, personne n'en est exclu. Dans le cadre de notre vie ordinaire de chaque
jour, à travers la douceur de l'amitié divine et humaine que nous pouvons expérimenter,
comme à travers la diversité de nos engagements et des évènements, si nous vivons en
nous à chaque instant la prière du cur, qui est toujours un dialogue confiant et
amoureux avec Dieu, cet " être plus " se réalise au cur de notre
cur. C'est tout simplement le chemin de l'intériorité, de la vie spirituelle
intérieure qui permet à l'Esprit d'amour de façonner en nous l'image même du Christ.
Pour cela il faut toujours nous déposséder de nous-mêmes, nous convertir, pour nous
laisser habiter par le Christ. Petit à petit les fruits s'en font sentir concrètement et
évangéliquement. A l'école et à la suite de Jésus, comme il s'est défini lui-même,
nous pouvons devenir doux et humble de cur.
" Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et
moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug, de ma croix, et mettez-vous à mon
école, car je suis doux et humble de cur, et vous trouverez soulagement pour vos
âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. " (11)
La conversion nous conduit tout naturellement à nous charger de la
croix. Nos vies sont quotidiennement parsemées de croix dressées sur nos pas, cette
pesanteur de notre corps, de notre âme et de notre corps qui empêchent l'amour de
jaillir de nos vies. Cette pesanteur s'appelle repli sur soi-même, orgueil, égoïsme,
amour-propre, jouissance, avidité, jalousie, possession, haine, etc. Parce que nous
sommes marqués par le péché, parce que le mal est présent dans le monde, cette
pesanteur est toujours là présente, active, nous entraînant trop souvent là où nous
ne voulons pas. Prendre sa croix est alors avoir la volonté de nous libérer de cette
pesanteur par un travail continuel sur nous-mêmes, que la tradition chrétienne appelle
le combat spirituel. Le combat spirituel fait partie de la vie chrétienne. Il ne s'agit
pas de se battre farouchement et de ferrailler contre le mal, il s 'agit beaucoup plus de
nous laisser pénétrer par l'amour et la charité du Christ qui, dominant alors en nous,
repoussent le mal hors de notre cur. L'option salésienne est de parier résolument
sur l'amour, de faire confiance en Dieu qui nous aime infiniment et qui ne veut que notre
véritable bien. Risquer le pari de l'amour, c'est ce qui peut le plus nous changer
intérieurement et en même temps changer le monde entier. C'est le fondement de ce qu'on
appelle l'optimisme salésien. Rien ne fait aller plus loin que l'Amour authentique, tel
qu'il sort en Jésus du cur de Dieu.
Cet optimisme centré sur l'amour nous fait alors épouser la Croix. La
Croix est le pari fou, total, gratuit de Dieu sur l'amour. La Croix ne se comprend que par
et dans ce don d'amour de Jésus de sa vie pour Celui qui est tout Amour, le Père
éternel. Par la Croix, par Jésus abandonné sur la Croix, se réalise la merveilleuse
réconciliation de Dieu avec toute l'humanité, avec chacun d'entre nous. Nous sommes
redevenus des Vivants et notre vie maintenant est marquée par la Résurrection. Il nous
faut alors vivre en ressuscités, en vivants d'amour, pour démentir ce que Nietzsche
reprochait aux chrétiens. " Comment voulez-vous, disait-il, que je crois en
Dieu, en son Amour, alors que les chrétiens n'ont pas des visages de ressuscités !
" (12)
Avoir un visage de ressuscité, c'est se savoir définitivement
sauvé par l'Amour. Le chemin nous l'avons vu commence par la conversion de notre
cur et de notre vie en devenant doux et humble de cur comme Jésus. Ce chemin
se poursuit dans le quotidien de nos vies dont nous portons chaque croix par amour. C'est
un chemin de dépassement qui demande que concrètement le témoignage de nos actes.
L'amour de Dieu est toujours pure illusion s'il ne se traduit pas dans des gestes concrets
en amour du prochain. La charité est fausse si elle n'est pas justice et vérité. C'est
quand le chrétien se dépasse lui-même en se dévouant pour ses frères que l'uvre
d'amour et de salut se continue. Il s'agit tout simplement de délivrer l'homme de tout ce
qui l'opprime et de l'éveiller à sa dignité de fils de Dieu. Seul l'amour cloué en
croix le réalise encore aujourd'hui à travers nos vies. Nos vies deviennent alors
charité envers nos frères et humilité devant Dieu.
" La charité est le couvert et le toit de tout l'édifice de
la perfection chrétienne, dit François de Sales, et l'humilité en est le fondement, de
sorte qu'elle vient en l'âme avant la charité pour lui préparer le logis. " (13)
C'est parce qu'à Cana, comme depuis toujours, Marie était toute en humilité devant Dieu qu'elle pouvait inviter son fils à étancher la soif des invités au repas de noces. C'est encore aujourd'hui la soif de nos curs que Jésus vient étancher quand l'Esprit nous comble de son amour et que son pain partagé dans l'eucharistie apaise la faim de nos curs. Nous pouvons alors tirer chemin avec Lui.
(1) Jean - Jn 3,16-17
(2) OEA - X,321-322
(3) Malachie - Ml 3,1
(4) OEA - X ,322
(5) Luc - Lc 8,20-21
(6) Matthieu - Mt 16,24-25
(7) Marc - Mc 10,52
(8) Luc - Lc 7,48-50
(9) Luc - Lc 15,11-24
(10) François de Sales, Prophète de l'Amour, La tradition Vivante, CIF, Epinay sur
Seine, 1982, p. 5
(11) Matthieu - Mt 11,28-30
(12) NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra
(13) OEA - IX,226
L'Eglise, en ce jour, nous invite à regarder Marie dans la douleur
de ses souffrances devant la mort de son fils Jésus. Notre-Dame des douleurs, Marie est
toujours associée à la mission de Jésus et au pied de la Croix elle nous aide à porter
nos propres souffrances et celles de l'humanité pour mieux les assumer dans l'espérance
de la résurrection. Cette mission de Marie est affirmée au pied de la Croix quand Jésus
la confie à travers Jean à l'Eglise naissante, c'est à dire à toute l'humanité.
L'évangéliste Jean nous le rapporte en quelques mots dont toute la simplicité souligne
le sens. Il est bon de le réentendre :
" Jésus, voyant sa mère (au pied de la croix) et près d'elle le disciple qu'il
aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : Voici ta mère.
Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. " (1)
Cette mission d'amour de Marie, maintenant au service de l'Eglise, a
commencé dans cette si belle rencontre avec Elisabeth que nous venons d'écouter. Cette
Visitation se fait à deux niveaux. Tout d'abord entre Marie et Elisabeth, deux cris de
joie, de louange, pour la merveille qui se réalise en chacune d'elle. Toutes deux
habitées par l'Esprit leur joie jaillit de leur cur :
Elisabeth accueille Marie par ce cri de reconnaissance :
" Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes
entrailles est béni. Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne
jusqu'à moi ? " (2)
Et Marie, à son tour, chante :
" Magnifique est le Seigneur, mon Sauveur. Il a fait pour moi
de grandes choses en souvenir de sa miséricorde et selon sa promesse. " (3)
Jeune femme, éblouie par le don gratuit de Dieu, bouleversée,
certainement dépassée, Marie enceinte de Dieu " voulut, comme poursuit
François de Sales, aller voir Elisabeth comme étant sa parente et à dessein de la
servir et soulager ; car, la charité n'est point oisive ; elle bouillonne dans les
curs où elle habite et la Très Sainte Vierge en était toute remplie d'autant
qu'elle avait l'amour même en ses entrailles ! " (4)
Rencontre de deux curs totalement donnés à Dieu, dont l'amour
est si fort et si intense qu'aucun ne peut le garder pour lui-même, mais absolument le
porter et l'échanger l'un l'autre. Dans la Visitation se trouve en germe un amour sans
frontière que Marie ne cessera de vivre et de partager.
Mais il y a une autre rencontre, celle des deux enfants, Jean et
Jésus, tous deux dans le sein de leur mère. Elisabeth dit à Marie :
" Lorsque j'ai entendu tes paroles de salutation, l'enfant a
tressailli d'allégresse au-dedans de moi. " (5)
Rencontre entre l'ancienne et la nouvelle alliance, voulant marquer que
Jésus s'inscrit dans la longue histoire de la rencontre entre Dieu et les hommes, depuis
Abraham jusqu'à Jean-Baptiste. Jésus s'inscrit en continuité de cette histoire et le
tressaillement de Jean dans le sein d'Elisabeth symbolise cette attente de tout le peuple
d'Israël de ce Messie qui, maintenant par Marie, vient s'inscrire dans l'histoire de
notre humanité.
Jésus vient nous visiter. La démarche de Marie vers Elisabeth est le
signe concret de cette visite. Comme Dieu nous a aimés le premier, Jésus nous visite le
premier. Il va au devant de nous, il va vers nous. Et vient au cur de notre
cur. Quand l'homme librement l'accueille, l'homme sait alors, comme Jean l'a
ressenti, que Dieu est ce Dieu qui l'aime comme aucun être ne peut aimer. Désormais avec
le Seigneur tout est possible. Tout est devenu Visitation. Pour François de Sales, Dieu a
prédisposé cette attente dans le cur de l'homme.
" Sitôt que l'homme pense un peu attentivement à la
Divinité, il sent une certaine douce émotion du cur qui témoigne que Dieu est
Dieu du cur humain. " (6)
A travers le tressaillement de Jean nous percevons que le Dieu de
Jésus-Christ est joie et consolation pour tout homme : penser à lui ne peut que
déclencher dans le cur de l'homme le plaisir d'un bonheur pressenti et donc réel.
La visitation des hommes est alors d'annoncer cette bonne nouvelle que
tout devient possible avec Jésus-Christ ; mais ce n'est pas seulement l'annoncer en
paroles, c'est le dire par toute sa vie. Dans cet engagement total de l'être, c'est aussi
prouver que l'Evangile, s'il est capable de combler une vie, devient de plus en plus
indispensable si l'on veut que la vie humaine soit encore possible sur cette terre.
François de Sales a fondé un ordre religieux, la Visitation
Sainte-Marie. La seule exigence est d'y vivre tout par amour. Le seul but est de donner à
Dieu des âmes d'oraison et si intérieures qu'elles puissent le servir en esprit et en
vérité. On ne peut visiter l'homme que si intérieurement on accueille l'amour qui nous
visite. Les disciples de François de Sales essaient de vivre à sa suite cette réalité
de la Visitation où il n'y a pas d'autre lien que l'amour de Dieu.
La Visitation est le lieu où l'homme rencontre Dieu à travers ses
frères. C'est là que se réalise l'amour en actes. C'est là qu'aujourd'hui comme hier
des hommes et des femmes rassemblent leurs forces pour répondre aux attentes humaines, la
soif de justice et de vérité, la dignité et le respect de chaque être humain, la
présence auprès des pauvres, des petits, des exclus de toute société humaine.
Pour François de Sales nous devons chercher les sentiers de Dieu en
toute les créatures :
" Plus un chemin est connu et plus nous le hantons, nous
dit-il ; plus nous y connaissons les gens et plus volontiers aussi nous y cheminons et
aussi plus facilement. Mais par tels chemins, nous arrivons plus tard au gîte parce
qu'ayant beaucoup de connaissances, ici, nous parlons à l'un, ici, nous parlons à
l'autre, ici, nous enterons dans la boutique de l'un, là, nous nous arrêtons avec un
ami.
Ce sont autant de voies et de chemins pour trouver Dieu. " (7)
A travers la canonisation prochaine de Léonie Aviat, Mère
Françoise de Sales, c'est cette dimension de la Visitation, centrée sur la contemplation
dans l'action que l'Eglise veut nous faire partager et nous inviter à vivre à notre
tour. Le Directoire spirituel des Oblates et des Oblats de saint François de Sales,
adapté de celui de la Visitation que François de Sales avait donné à Jeanne de Chantal
et aux premières visitandines, commence par ces mots :
" Que toute leur vie et exercices soient pour s'unir à Dieu et au
prochain. " " Le Directoire, écrit une Oblate, n'est autre que la loi de
charité du Christ, l'Evangile en acte. Par les dispositions qu'il suggère à chaque
circonstance, il aide l'âme à prendre en toutes choses le point de vue de Dieu, il
surnaturalise tous les instants de la vie. La fidélité au moment présent et l'attention
à la présence de Dieu deviennent ainsi les plus efficaces moyens d'apostolat. " (8)
Léonie Aviat avait vu comment, à la Visitation de Troyes où elle
était jeune pensionnaire, la Mère Marie de Sales Chappuis et sa communauté vivaient
intensément dans l'esprit de ce Directoire spirituel, tel que le définissait l'aumônier
de ce monastère, le Père Louis Brisson :
" dans l'âme la plus petite, la plus pauvre, saint François de Sales découvre
le don de Dieu si minime qu'il soit et il s'en empare. Il commence par mettre en cette
âme l'amour de Dieu et cet amour, secondé par la bonne volonté, devenant le mobile de
toutes ses actions, il lui fait peu à peu et insensiblement déraciner ses défauts et
acquérir les vertus contraires. " (9)
La Visitation salésienne est cette attention à chaque personnalité
dans le respect des dons qu'elle a reçus de Dieu et en s'effaçant pour laisser Dieu agir
en elle par amour.
C'est de cette façon discrète que Marie a été présente tout au long de sa vie, d'abord avec son Fils jusqu'au pied de la Croix puis ensuite avec la jeune Eglise naissante. La Visitation de Marie est de porter et d'être attentive aux appels, aux aspirations et aux souffrances des hommes. En cette chapelle Notre-Dame du Vorbourg, comme dans tous les lieux mariaux de pèlerinage, ne venons-nous pas pour que Marie nous aide par sa maternelle présence à vivre une visitation intérieure pour accueillir encore plus profondément l'amour de son Fils avant de mieux en témoigner dans notre vie de tous les jours, là où Dieu nous a plantés, nos familles, nos lieux de travail et de vies, nos relations et nos engagements.
L'attente de l'Eglise d'aujourd'hui est que nous soyons des foyers de charité et d'amour au cur de notre monde pour faire entendre la parole de Dieu et par notre témoignage personnel inviter à la vivre. C'est notre mission de chrétiens. Contribuer à ce que le Royaume de Dieu soit aimé, espéré et déjà en uvre dans le cur, les actes et la vie des hommes avec qui nous cheminons chaque jour. Ce qui veut dire que nous soyons attentifs à tout ce qui grandit l'homme, le fait exister dans sa liberté et sa dignité pour qu'en se dépassant son humanité tende chaque jour un peu plus vers la sainteté que lui propose Jésus-Christ. Marie nous invite à cet amour sans frontière qui l'avait jeté sur le chemin pour visiter Elisabeth, sa cousine.
Nous pouvons peut être penser que ce chemin de l'amour n'est pas possible et qu'il relève d'une douce utopie. L'optimisme évangélique reste profondément réaliste en face du monde tel qu'il est. C'est ce qui est merveilleux, car la misère de l'homme, loin de le décourager, devient comme un tremplin qui le jette encore plus fort dans l'amour divin. Cette misère n'est autre que le péché, mais le péché que Dieu, par son Fils, transforme en une grâce inouïe. Dans ce climat de la tendresse infinie de Dieu, vivre les Béatitudes est possible. La pauvreté devient richesse parce que l'homme pauvre en s'identifiant au Christ découvre que la vraie pauvreté est d'être privé de l'amour ; l'homme devient alors mendiant d'amour et peut vivre comme un autre François d'Assise une liberté qu'il n'aurait jamais espéré. François de Sales sait qu'il y a pauvreté et pauvreté. La pauvreté indigente causée par l'égoïsme des riches, il n'a cessé de la combattre. Dans son sillage et à son exemple se sont levés de grands apôtres de la charité comme Vincent de Paul, Dom Bosco et Léonie Aviat.
Un des premiers collaborateurs de l'abbé Pierre, le Père Duvallet,
disait à de jeunes prêtres, salésiens de Don Bosco :
" Dans un monde où l'homme et l'enfant sont broyés,
disséqués, triturés, classés, psychanalysés, où les enfants et les hommes servent de
matières premières et de cobaye, le Seigneur vous a confié une pédagogie où triomphe
le respect de l'enfant, de sa grandeur et de sa faiblesse, de sa dignité de fils de Dieu.
Gardez-la renouvelée, rajeunie, enrichie des découvertes modernes, adaptée à ces
gosses matraquées par le vingtième siècle. " (10)
Cette pédagogie, Don Bosco l'a reçue de François de Sales et a
façonné sa façon d'aimer et d'éduquer la jeunesse.
Notre mission évangélique est bien de faire vivre dans notre
monde, dur, orgueilleux et égoïste, l'Amour humble et doux qui est présence de
Jésus-Christ à la rencontre de tous les hommes et surtout permettre aux petits, aux
simples, aux pauvres d'être riches d'amour, des riches de Dieu.
Ne laissons pas mourir ce feu, ne laissons pas tarir le fleuve d'amour qui coule encore !
Car l'Amour ne dit jamais assez. Avec cet amour vivant dans nos curs partons, nous
aussi, chaque jour, sur le chemin de la visitation de Dieu et des hommes.
(1) Jean - Jn 19,26-27
(2) Luc - Lc 1,42-43
(3) Luc - Lc 1,46-56
(4) OEA - IX,15
(5) Luc - Lc 1,44
(6) SFS, Traité de l'Amour de Dieu. Livre I, chapitre 15. La Pléiade, NRF, Paris, 1969,
p. 395.
(7) OEA - XXVI, 18,20
(8) François de Sales, Prophète de l'Amour, La tradition Vivante, CIF, Epinay sur Seine,
1982, p. 32
(9) Idem. P. 33
(10) Idem. P. 30
Ce récit de la présentation au temple de Jésus, résonne d'une
manière particulière à nos oreilles, aujourd'hui. Il y a d'abord la figure de ce
vieillard, Siméon, toute en attente, comme l'humanité de l'action de Dieu au cur
du monde, et qui, de ses yeux voit ce qu'il attend et ce que toute l'humanité attend
depuis longtemps : Jésus, venu au cur même de notre humanité, nous dire et nous
apporter cet amour infini de ce Père qui nous aime.
Et puis, il y a l'autre parole de Siméon, celle qu'il adresse à Marie
en lui disant que ce Fils qui vient dans le monde, il va provoquer la chute et le
relèvement de beaucoup, et qu'il sera un signe de division. Et Siméon ajoute envers
Marie : " Et toi-même, ton cur sera transpercé par une épée. "
L'humanité est toujours en attente de Dieu, en attente du Seigneur. Et Siméon symbolise
pour nous toute cette attente qui est déjà bien sûr réalisée par la venue du Christ
en notre monde, mais qui, parce que nous sommes encore une humanité dans le temps, qui
continue aujourd'hui dans l'attente de la vie des hommes, jusqu'à cette rencontre
définitive, avec le Seigneur, au jour de cette Résurrection totale de l'humanité, quand
nous partagerons la vie même du règne de Dieu.
Aujourd'hui, notre monde est habité par cette attente, mais cet amour
n'est pas toujours entendu, compris. La parole de Dieu, aujourd'hui, comme hier, une
parole qui est un don, le don de Dieu même, à notre humanité, est une parole qui
souvent divise, oppose. C'est que les hommes entre eux, n'ont pas toujours encore entendu
dans leur cur et dans leur vie l'amour infini que Dieu a pour chacun d'entre eux. Et
Marie a vécu comme un glaive transperçant son cur, cette humanité déchirée
aujourd'hui comme hier. Or, la folie, or, l'inconscience, or tout ce qui fait que les
hommes ne prennent pas en compte ce qu'est réellement leur humanité... Nous avons un peu
vécu ces deux moments cette semaine. Dans notre foi chrétienne, avec l'espérance de
cette attente, nous avons ici prié Marie dans la joie de cette espérance qui habite
déjà notre monde et que les hommes d'aujourd'hui portent en eux. Et en même temps,
comme Marie, un glaive a transpercé notre cur, quand vous avez vu, quand nous avons
vu, des victimes innocentes, être la proie des divisions et des idéologies qui font
partie de notre humanité. Espérance, c'est celle de nos vies, de nos curs
Division, c'est celle qui accompagne les pas de notre humanité, chaque jour, aujourd'hui
comme hier.
Je voudrais terminer cette semaine en méditant plus particulièrement
sur l'espérance chrétienne, cette espérance qui n'est jamais quelque chose d'acquis.
C'est quelque chose que dans notre foi, nous sentons grandir en nous, et qui nous fait
dire que l'amour est toujours plus fort que toute division, l'amour est plus fort que la
mort. L'amour est plus fort que tout ce qui fait que notre humanité, de temps en temps,
n'est pas digne de vivre, véritablement. Et je voudrais vous y inviter en vous montrant
comment même un saint, lui-même, a du découvrir et vivre cette espérance, dans sa vie.
Saint François de Sales, au début de sa vie, quand il était
étudiant à Paris et à Padoue, a eu une crise très importante, à la fois
psychologique, religieuse, spirituelle, il s'est posé une question qui était celle de
l'époque. On parlait à cette époque de la question de la prédestination . Qu'est-ce
que ça veut dire, sinon de se poser la question : " Est-ce que vraiment, je
serai sauvé ? " . " Est-ce que vraiment, je découvrirai Dieu ? "
. " Est-ce que peut-être Dieu m'a destiné depuis toujours à ne pas le
rencontrer, et à vivre privé de son amour ? " Cette question pour saint
François de Sales, qui dès son enfance avait découvert Dieu, avait essayé d'être
fidèle à sa parole, cette question l'a taraudé, elle a envahi son esprit. Elle a
touché son corps jusqu'à ce qu'il en devienne malade, presque à mourir. Il se disait
vraiment : " Est-ce que Dieu m'aime ? " Et il a vu une réponse, celle
de la foi, qui est la réponse de notre espérance. Un jour, il s'est trouvé devant une
église à Paris, Saint Etienne des Bons. Il est rentré dans cette église, et il s'est
mis aux pieds de la Vierge Marie, et là il lui a simplement fait une prière et il a dit
: " Quoi que vous ayez décidé, Seigneur, dans l'éternel décret de votre
prédestination, je vous aimerai Seigneur, au moins en cette vie, s'il ne m'est donné de
vous aimer en la vie éternelle. " Immédiatement, son cur a été
apaisé. Il a senti en lui que dans cet abandon, cet acte total de foi, Dieu était
présent, il percevait son amour, et il pouvait alors vivre de cet amour. C'est de là que
vient son très étonnant optimisme sur l'homme, sur l'humanité, parce qu'il sait que
cette humanité malgré tout ce qu'elle peut traverser, malgré toutes les difficultés
qu'elle peut rencontrer, est maintenant habitée par un amour qui la dépasse, mais à
laquelle elle est destinée, l'amour même du Seigneur.
" Vous aimer en la vie éternelle
" a dit
saint François de Sales. C'est notre désir à nous. C'est le désir de tout homme,
passer par cet amour infini de Dieu pour l'humanité. Ce désir, c'est tout simplement
l'espérance chrétienne. Mais cette espérance chrétienne alors, se construit chaque
jour dans ce que nous vivons au quotidien, et elle demande que nous soyons toujours
attentifs à parcourir ce chemin qui mène au Royaume. C'est celui des enfants de Dieu.
Nous somme toujours habités par cette liberté que le Seigneur a mis
en nous, de vivre, de choisir son amour et d'y répondre librement, comme Marie l'a fait
par son oui d'amour. " La liberté de laquelle je parle, dit François de Sales à
ceux à qui il s'adressait, c'est toujours la liberté des enfants bien-aimés." Et
cette liberté est toujours un désengagement du cur chrétien de toute chose, pour
suivre la volonté de Dieu. Ce désengagement, nous pourrions dire, n'est pas de nous
séparer de tout ce qui nous entoure. Nous partageons, nous des hommes, beaucoup
d'espoirs, des espoirs humains : la santé de nos proches, l'avenir de nos enfants, la
paix entre les peuples, même si elle n'est pas toujours évidente, la sauvegarde de notre
environnement, la cohésion sociale, comme nous l'avons entendu dans cet appel
cuménique qui a été lu dans toutes les églises aujourd'hui, le partage des
richesses, tout ceci est au cur de notre vie de chaque jour et lui donne goût et
saveur.
Notre vie est toujours portée par ces préoccupations toutes
légitimes que nous vivons et qui sont le poids de nous tous. Mais l'espérance
chrétienne ne se réduit pas à ces espoirs humains. Au cur de l'espérance
chrétienne, à travers ces espoirs humains que nous vivons, nous savons qu'il y a un
amour infini qui nous accompagne et qui est avec nous chaque jour. Parce que ce que nous
vivons sur cette terre est un passage, le bateau de notre humanité, c'est celui dans
lequel nous vivons, et il va vers un rivage, il traverse les eaux de ce monde pour
atteindre un autre rivage, celui du Royaume, la paix de Dieu
Mettre notre espérance
en lui, devient en sa seule présence vie éternelle et amour infini. Nous pourrions alors
penser qu'il suffit de garder nos coeurs ouverts vers le ciel, surfant sur les
événements de en notre vie humaine sans nous préoccuper des vagues, du gros temps et
des tempêtes, comme cette semaine, certainement pas.
Quand nous savons mettre en premier ce qui est essentiel, quand nous
sommes habités par cette espérance qui aspire tout notre être comme un aimant vers le
Père qui nous aime, nous sommes prêts alors, chaque jour, à prendre les rames de notre
petite embarcation pour nous guider vers le port, à travers l'océan de ce monde. Ce
guide que nos avons, celui en qui en qui nous mettons notre foi, notre espérance, celui
qui par sa mort et sa résurrection a ouvert les portes de la vie, celui à qui Sur
Léonie Françoise de Sales Aviat a consacré sa vie, ce guide, c'est Jésus, chemin,
vérité, vie. Ce Dieu qui a pris visage d'homme en son Jésus, son Fils bien-aimé et qui
nous fait découvrir le vrai chemin du Royaume. Si nous sommes sauvés une fois pour
toutes par le Christ, nous avons alors chaque jour à prendre son chemin, à conformer
notre vie à la vie même du Christ, dans la prière, dans la charité et l'amour pour nos
frères et dans ce profond optimisme qui nous fait croire toujours que l'humanité peu se
dépasser, peut avancer et peut nous conduire vers l'amour. Si nous le croyons
personnellement, si nous le vivons dans notre vie quotidienne, là où nous sommes, nous
porterons alors du fruit, un fruit qui demeure et qui va donner sens à notre existence.
Regardez cette attente de Siméon qui a toujours été tout en attente
et quand Jésus est venu dans sa vie, elle a comblé son espérance. Nos mains, notre
regard, nos paroles, notre cur, peuvent alors s'ouvrir aux dimensions de notre
humanité, même souffrante. Elle peut nous accueillir nous-mêmes et accueillir chacun de
nos frères dans la réalité de sa vie. Nous savons que notre vie d'hommes et de femmes,
aujourd'hui, comme hier est toujours une vie d'ombres et de lumière, de passion et de
souffrance, d'abandon et d'attachement, de richesse et de pauvreté, d'amour et de haine,
mais aussi de fureur de vivre, comme de peur de mourir.
Mais si nous nous mettons chaque jour en route, à la suite du Christ,
vers Dieu et vers nos frères, alors nous réalisons déjà en Marie, par toute notre vie,
l'espérance de notre foi. Marie nous accompagne chaque jour sur ce chemin. Elle a porté
au cur de sa chair et au fond de son cur, l'espérance de Dieu faite chair en
son Fils. Aujourd'hui encore, elle porte l'espérance de Dieu en chacun de nous, dans
l'Église et dans le monde. Sachons la prier pour découvrir aujourd'hui intimement dans
nos vies cette présence du Christ qui nous fait aimer Dieu et notre monde. Amen.