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Instruction que me donna notre très sainte Reine et Maîtresse.
Instruction que la Reine du ciel me donna.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction de la Reine du ciel.
Instruction que notre divine Maîtresse me donna.
Instruction que la sainte Vierge me donna.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction que la Reine de l'univers vie donna.
LIVRE QUATRIÈME. QUI
CONTIENT LA PERPLEXITÉ DE SAINT JOSEPH CONNAISSANT LA GROSSESSE DE LA
TRÈS-PURE MARIE. — LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. — SA
CIRCONCISION. — L'ADORATION DES ROIS ET LA PRÉSENTATION DE L'ENFANT JÉSUS AU
TEMPLE. — LA FUITE EN ÉGYPTE. — LE MEURTRE DES INNOCENTS ET LE RETOUR A
NAZARETH.
CHAPITRE I.
Saint Joseph découvre la grossesse de son épouse la Vierge Marie, et entre
dans de grandes peines, sachant qu'il n'y avait aucune part.
375. La Princesse du ciel
était dans le cinquième mois de sa grossesse, lorsque son très-chaste époux
Joseph commença d'en découvrir des marques dans la disposition de sa personne
sacrée: car- elle était si bien faite et si bien proportionnée, comme je l'ai
déjà dit, qu'il n'était pas possible que l'on n'y aperçût beaucoup plus
facilement que chez les autres le moindre changement. L'auguste Marie sortant
un jour de son oratoire, saint Joseph la regarda dans le souci où il
188
était,
et reconnut la nouveauté avec une plus grande certitude, sans que sa raison
prit démentir à ses yeux des signes trop visibles (1). L'homme de bien en eut
le coeur pénétré d'une intime douleur, sans pouvoir résister aux pénibles
réflexions qui se pressaient en même temps dans son âme. Il pensait d'abord au
trèschaste mais très-vif et très-sincère amour qu'il portait à sa très-fidèle
épouse, à laquelle il avait dès les premiers jours donné irrévocablement tout
son coeur; les manières agréables, la sainteté sans égale de notre grande Dame
avaient encore resserré les liens qui attachaient saint Joseph à son service.
Et comme dans sa modestie et dans son humble gravité elle était si parfaite et
si ravissante, le saint nourrissait, parmi les soins respectueux dont il
l'entourait, le désir, qui était comme naturel à son amour, de voir son épouse
y correspondre. Le Seigneur 1'ordonnait.de la sorte, afin que le souhait de ce
retour, de cette réciprocité inspirât au saint un plus grand soin de servir et
de respecter notre divine Maîtresse. .
376. Saint Joseph
s'acquittait de cette obligation en très-fidèle époux et comme le gardien du
mystère qui lui était encore caché; et autant il était assidu à servir et à
honorer son épouse, autant son amour était pur, chaste, saint et juste, autant
et plus ardent était le désir qu'il avait qu'elle y répondit; il ne le lui
découvrit pourtant jamais, tant à cause du respect auquel l'humble majesté de
son épouse l'obligeait, que
(1) Matth., I, 18.
189
parce
que son dévouement pour elle ne lui avait certes pas été pénible en voyant sa
sage conduite, sa douce conversation et sa pureté plus qu'angélique. Mais dans
cette occasion embarrassante, où ses yeux étaient témoins d'une nouveauté
qu'il rte pouvait mettre en doute, son âme se trouva partagée dans la
surprise; et, quoiqu'il fût convaincu de la chose, il ne permit pas à son
raisonnement d'aller su delà des apparences (1) : parce que, étant un homme
saint et juste, il suspendit, tout en connaissant l'effet, son jugement sur la
cause; car s'il eût été persuadé que son épouse était coupable, il serait sans
doute mort naturellement de douleur.
377. Il réfléchissait
ensuite à la certitude où il .
était de n'avoir aucune part en cette grossesse, dont il voyait des
marques si évidentes; et il se disait que le déshonneur était par là
inévitable quand cela se saurait. Et cette prévision tourmentait d'autant plus
saint Joseph, qu'il avait l'âme plus noble et plus élevée, et que sa rare
prudence lui faisait mieux apprécier et comme savourer d'avance les amertumes
de l'infamie personnelle qu'il était exposé à subir avec son épouse. La
troisième chose qui torturait le plus le saint époux, c'était la crainte de
trahir son épouse, qui eût été lapidée, aux termes de la loi (2) (qui
infligeait ce châtiment aux adultères), dans le cas où elle eût pu être
convaincue de ce crime. Toutes ces réflexions, comme autant de pointes de fer
aiguës, perçaient le coeur de
(1) Matth., I, 19. — (2) Levit., XX, 10; Deut., XXII, 23.
190
saint
Joseph d'une douleur ou plutôt de mille douleurs réunies, auxquelles il ne
pouvait trouver alors aucun soulagement que dans la conduite irréprochable de
Marie. biais comme tous les signes extérieurs
attestaient le fait le plus étrange, sans que le saint homme sût comment les
expliquer, et sans même qu'il osât communiquer à qui que ce fût le sujet de sa
douloureuse anxiété, il se trouvait comme environné des douleurs de la mort
(1), et il ressentait par sa propre expérience que la jalousie est dure comme
l'enfer (2).
378. II voulait
s'entretenir avec lui-même, mais la douleur paralysait toutes ses facultés. Si
par la pensée il se mettait à discuter les probabilités fournies par les sens,
elles s'évanouissaient toutes comme la glace à l'ardeur du soleil et comme la
fumée au souffle du vent, parce qu'il se souvenait de la sainteté éprouvée de
sa très-sage et très-prudente épouse : s'il tachait de suspendre les
affections de son très-chaste amour, il n'y parvenait pas, parce qu'elle lui
paraissait toujours un objet digne d'être aimé, et, quoique la vérité fût
cachée, elle avait plus de force pour l'attirer, que la fausse apparence de
l'infidélité pour le rebuter. Ce sacré lien ne pouvait pas se rompre, resserré
qu'il était par les noeuds solides de la vérité, de la raison et de la
justice. Il ne jugeait pas à propos de s'ouvrir à sa divine épouse, et il
était d'ailleurs retenu par cette gravité toujours égale et divinement humble
qu'il
(1) Ps., XVII,5. — (2) Cant., VIII, 6.
191
admirait
en elle. Et quoiqu'il vit des marques si évidentes d'une grossesse, il se
disait qu'une conduite aussi pure et aussi simple ne pouvait point aboutir à
un oubli du devoir semblable à celui qu'on eût pu présumer; parce qu'une faute
aussi grande était incompatible avec tant de pureté, d'égalité, de sainteté et
de discrétion, et avec toutes les grâces réunies, dont l'augmentation se
rendait tous les jours plus sensible en l'auguste Marie.
379. Le saint époux adressa
ses peines au tribunal du Seigneur parla voie de l'oraison; et, s’étant mis en
sa présence, il lui dit Dieu éternel et mon Seigneur, mes désirs et mes
gémissements ne sont ce point cachés à votre divine
Majesté(1). Je me trouve a combattu par de violentes agitations qui ont
frappé mon coeur par l'organe de ma vue. Ce coeur, je l'ai donné avec
sécurité à l'épouse que j'ai reçue de votre main (2). Je me suis lié à
sa grande sainteté; mais les signes du changement que je découvre en elle me
jettent dans une perplexité affligeante, et me font craindre que mes
espérances ne soient frustrées. Il n'est personne qui l'ait connue
jusqu'aujourd'hui, qui ait pu douter de sa prudente conduite et de ses
excellentes vertus; mais aussi je ne puis pas nier qu'elle ne soit enceinte.
Ce serait une témérité de penser qu'elle ait été infidèle et qu'elle vous ait
offensé, en voyant en elle une si rare pureté et une sainteté si éminente : il
m'est
(1) Ps. XXXVII, 9. — (2) Prov., XXXI, 11.
192
pourtant
impossible de nier ce que mes yeux m'assurent; mais il ne me le sera pas de
mourir par la force de la douleur, s'il ne se trouve ici quelque mystère
renfermé que je ne saisis point. La raison N la' disculpe, et les sens la
condamnent. Je vois bien qu'elle me cache la cause de sa grossesse: que
dois je faire? Nous nous communiquâmes au commencement les voeux de chasteté
que nous avions faits pour votre gloire; que s'il était possible qu'elle
eût violé votre foi et la mienne, je défendrais votre honneur et
renoncerais au mien pour votre amour. Mais comment pourrait-elle conserver en
tout le reste tant de pureté et de sainteté, si elle eût commis un crime
si énorme? Et comment se fait-il qu'étant si sainte et si prudente, elle
veuille me cacher ce secret? Je suspends mon jugement, et je m'arrête dans
l'ignorance de la cause de ce,que je vois. Je
répands en votre présence mon âme affligée, Dieu d'Abraham, d'Isaac et
de Jacob (1) ! Recevez mes soupirs et mes larmes en sacrifice agréable
et si mes péchés ont mérité votre indignation, ayez égard, Seigneur, à votre
propre clémence, et ne méprisez point les peines de votre serviteur. Je
ne crois pas que Marie vous ait offensé; mais aussi, étant son
époux, je ne puis présumer aucun mystère dont je ne saurais être digne.
Conduisez mon entendement et mon cœur par votre divine lumière,
afin que je connaisse et que j'exécute ce qui sera, plus agréable à
votre bon plaisir. »
(1) Ps. CXLI, 3.
193
389. Saint Joseph persévéra
dans cette oraison, qu'il accompagna de plusieurs autres affections et
demandes : car, bien qu'il lui vint parfois 'en pensée qu'il y avait peut-être
dans la grossesse de la sainte Vierge quelque mystère qu'il ignorait, il ne
pouvait pas s'eh assurer; parce que toutes les raisons qu'il se représentait
dans la grande estime qu'il avait de la sainteté de notre divine Dame ne
furent capables, au plus, que de le persuader qu'elle n'avait point commis de
faute dans sa grossesse : aussi le saint ne crut-il jamais qu'elle pût être la
Mère du Messie. Quelquefois il écartait ses soupçons, mais l'évidence du fait
les ramenait bientôt en plus grand nombre de sorte qu'il en était terriblement
agité; et après avoir été ainsi battu par l'orage de ses pensées, il tombait
souvent dans un pénible calme sans pouvoir se déterminer à croire aucune chose
qui pût dissiper ses doutes, apaiser son coeur, et lui faire rencontrer cette
certitude dont il avait besoin pour régler sa conduite et fixer son esprit.
C'est pour cela que la peine de saint Joseph fut si grande, qu'elle put être
une preuve éclatante de son incomparable prudence et de sa sainteté, et qu'en
la souffrant il mérita que Dieu le rendit capable
de la faveur singulière qu'il lui préparait.
381. Tout ce qui se passait
dans le coeur de saint Joseph était dévoilé à la Princesse du ciel, qui
l'observait à la lumière de la science divine qui l'éclairait. Et quoiqu'elle
fût remplie de tendresse et de compassion pour ce que son époux souffrait,
elle ne lui parlait point du sujet de ses peines; mais elle se contentait
194
de le
servir avec -beaucoup de soumission et d'exactitude. L'homme de Dieu, sans
faire semblant de rien, ne cessait de la regarder avec une sollicitude plus
grande que jamais homme ait pu avoir : et comme notre illustre Reine le
servait à table et s'occupait à d'autres choses domestiques, elle devait
nécessairement alors (bien que sa grossesse ne lui fût aucunement pénible)
prendre certaines précautions et faire certains mouvements qui trahissaient
son état. Saint Joseph, qui était attentif à toutes ces occasions, s'assurait
toujours de plus en plus de la vérité avec une plus grande affliction de son
âme. Et quoiqu'il fût saint et juste, il se laissait pourtant servir et
honorer par la sainte Vierge après qu'il l'eut épousée, conservant eu tout
l'autorité de chef, qu'il savait tempérer par une humilité et une prudence
rares. Car tant qu'il ignora le mystère de son épouse ,
il crut devoir toujours agir en maître, néanmoins avec toute la modération
convenable, à l'exemple des anciens patriarches, dont il ne devait pas
dégénérer, et à qui leurs femmes étaient soumises et obéissantes. Et il eût
fait sagement de gouverner ainsi sa maison si notre divine Dame eût été comme
les autres femmes. Mais quoiqu'elle fût si supérieure à toutes, il n'y en eut
et il n'y en aura jamais aucune aussi obéissante, aussi soumise à son mari que
l'auguste Marie le fut au sien. Elle le servait avec un respect et avec une
promptitude incomparable; et bien qu'elle connût les soucis et les
préoccupations que lui causait sa grossesse, elle ne laissa pas que de vaquer
à toutes les
195
occupations
qui la regardaient, et elle ne songea ni à dissimuler ni à justifier les
opérations qui se passaient dans son sein virginal, parce que les détours, les
artifices, la duplicité étaient contraires à la véracité et à la candeur
angélique qui la distinguaient,, et antipathiques à la grandeur et à la
générosité de son très-noble coeur.
382. La Princesse du ciel
aurait bien pu alléguer pour sa justification la vérité de son innocence
irréprochable et le témoignage de sa cousine Élisabeth et de Zacharie ;
attendu que si saint Joseph l'eût soupçonnée d'une faute, c'était à cette
époque qu'il était le plus naturel de la faire remonter ; ainsi la divine
Marie eût pu par ce moyen, ou par d'autres semblables, se disculper et tirer
saint Joseph de peine, sans découvrir pour cela le mystère. Mais la Maîtresse
de la prudence et de l'humilité ne le voulut pas faire, parce que ces vertus
étaient incompatibles avec les soins qu'elle eût pris de soutenir ses
intérêts, et qu’ elle ne devait pas hasarder
l'explication d'une vérité si mystérieuse sur son propre témoignage. Elle
abandonna le tout avec une grande sagesse. à la
Providence divine. Et quoique la compassion et l'amour qu'elle avait pour son,
époux, la portassent à le consoler et à le rassurer, elle ne le fit ni en se
justifiant ni en cachant sa grossesse; elle se borna à le servir avec des
démonstrations plus vives d'affection, tâchant de lui plaire en toutes choses,
lui demandant ce qu'il voulait, ce gui il désirait qu'elle fit, et lui
prodiguant d'autres marques de soumission et de tendresse.
196
Elle
le servait souvent à genoux, et bien que toutes ces prévenances consolassent
en quelque façon le sain époux , elles augmentaient
néanmoins par un autre endroit ses motifs d'affliction, en lui faisant mieux
sentir combien il devait aimer et estimer celle dont il n'était pas sûr
d'avoir lieu de se plaindre. Notre charitable Reine faisait des prières
continuelles pour lui , afin que le Très- Haut le
regardât et le consolât. Et dans son oraison elle s'abandonnait absolument à
sa divine volonté.
383. Saint Joseph ne
parvenait pas à lui cacher tout à fait son amer chagrin; il était donc bien
souvent pensif, triste, inquiet, et cédant à sa secrète douleur, il parlait
quelquefois à sa divine épouse avec plus de sévérité qu'auparavant; c'était
comme un effet inévitable de la désolation de son coeur, et non point par
indignation ni par vengeance, car il ne connut jamais de pareils sentiments,
comme on le verra dans la suite. — Mais la très-prudente Dame ne changea rien
en ses douces manières, et n'en témoigna aucun ressentiment; au contraire,
elle apportait d'autant plus de soin à soulager son époux. Elle le servait à
table, lui présentait le siège, lui offrait à manger et lui donnait à boire;
et après qu'elle s'était acquittée de tout cela avec une grâce incomparable,
saint Joseph , toujours plus convaincu de la certitude de la grossesse, lui
ordonnait de s'asseoir. Il est sûr que ces circonstances furent de celles qui
exercèrent le plus, non-seulement saint Joseph, mais. Aussi la Princesse du
ciel, et qu'elle y fit paraître
197
avec
éclat sa très-profonde humilité et sa sublime sagesse. Le Seigneur fit que
toutes ses vertus y furent exercées et éprouvées; car non-seulement il ne lui
prescrivit pas de Unir caché le mystère de sa grossesse; mais il ne lui
découvrit même pas sa divine volonté avec autant de clarté que dans les autres
rencontres. Il semblait que Dieu eût remis et confié le tout à la science et
aux vertus célestes de son Élue, en la laissant opérer par elles sans la
favoriser d'aucune lumière spéciale. l.a divine Providence fournissait à là
très-pure Marie et à son très-fidèle époux Joseph l'occasion d'exercer par des
actes héroïques, chacun selon sa portée, les vertus et les dons qu'elle leur
avait départis; elle se plaisait pour ainsi dire à considérer la foi,
l'espérance et l'amour, l'humilité, la patience, la paix et la sérénité de ces
coeurs candides su milieu d'une affliction aussi pénible. Le Seigneur (si nous
pouvons user ici dut langage ordinaire) faisait le sourd pour sa plus grande
gloire, pour donner au monde cet exemple de sainteté et de prudence, et pour
ouïr plus longtemps les douces plaintes de la Vierge-Mère et de son
très-chaste époux, qui lui étaient très-agréables; il voulait qu'ils les
renouvelassent, et différait à leur répondre jusqu'à ce que le moment opportun
fût venu.
199
Instruction que
me
donna notre très sainte Reine et Maîtresse.
384. Ma très-chère fille,
les pensées et les fins du Seigneur sont très-relevées, sa providence envers
les âmes est forte et douce (1), et il est admirable en la conduite de toutes,
surtout en celle de ses amis et de ses élus. Si les hommes parvenaient à
comprendre le soin amoureux que ce Père de miséricorde prend de les diriger et
de les conduire (2), ils s'occuperaient moins d'eux-mêmes et ne se
plongeraient point dans tant de soucis pénibles, inutiles et dangereux, qui
les tourmentent sans cesse et leur font rechercher mille appuis auprès des
autres créatures (3) ; car alors ils s’abandonneraient avec une entière
confiance à sa sagesse et à son amour infini, qui gouverneraient avec une
douceur et une suavité paternelles toutes leurs pensées, leurs paroles et
leurs actions, et veilleraient à leurs plus chers intérêts (4). Je ne veux
pas. que vous ignoriez cette vérité; je veux que
vous sachiez bien que de toute éternité le Seigneur a présente dans son
entendement divin tous les prédestinés qui doivent vivre en différents temps
et âges; et qu'il leur dispose et prépare par la force invincible de sa
sagesse et de sa bonté infinie, tous les dons qui leur
(1) Sap., VIII, 1. — (2) Ps. LXVII., 36. — (3) Matth., VI, 25. — (4) I Petr., V, 7.
199
conviennent,
afin qu'ils arrivent finalement su but due le Très-Haut a marqué.
385. C'est pour cela qu'il
importe. tint à la créature raisonnable de se
laisser conduire par la main du Seigneur, en se conformant entièrement à ses
desseins, parce que les hommes mortels ignorent ses voies et la fin où elles
doivent les faire aboutir (1); ils n'en sauraient avec leur ignorance faire
eux-mêmes le choix, sans une grande témérité et sans un péril évident de leur
perte. Mais s'ils s'abandonnent de tout leur coeur à la providence du
Très-Haut, le reconnaissant pour leur Père, et se reconnaissant eux-mêmes pour
ses enfants et ses ouvrages, sa divine Majesté se constitue leur protecteur,
leur défenseur et leur guide, avec un amour tel. qu'il
veut due le ciel et la terre sachent (2) que c'est un soin qui le regarde de
gouverner lui-même les siens, et de diriger ceux qui se confient en lui et se
livrent entre ses mains. I:t si Dieu était susceptible de quelque peine ou de
quelque jalousie, comme les hommes, il en aurait de voir qu'une autre créature
voulût partager avec lui le soin des âmes, et qu'elles allassent chercher la
moindre des choses dont elles ont besoin en quelque autre que lui, qui veut se
charger lui-même de ce qui les concerne (3). Les mortels ne pourront manquer
de comprendre cette vérité, s’ils considèrent ce que parmi eux-mêmes un père
fait pour ses enfants, un époux pour son épouse, un ami pour
(1) Eccles., VII, 1. — (2) Deut., XXXII,1, etc. —
(3) Sap., XII, 18.
200
un ami,
et un prince pour le favori qu'il aime et qu'il veut honorer. Tout cela n'est
rien en comparaison de l'amour que Dieu a pour les siens, et de ce qu'il veut
et peut faire pour eux.
386. Mais quoique les
hommes croient en général cette vérité, il n'en est aucun qui puisse
pénétrer ,quel
est l'amour divin et quels sont les effets particuliers dans les âmes qui
s'abandonnent avec une entière résignation à la volonté du Seigneur. Ce, que
vous en savez, ma fille, vous ne pourriez vous-même et vous ne devez pas non
plus l'exprimer, mais tâchez de le considérer sans cesse en Dieu. Sa divine
Majesté dit qu'il ne se perdra pas un cheveu, de ses élus (1), parce qu'elle
les a tous comptés (2). C'est lui qui conduit leurs pas à la vie et qui les,
détourne de la mort (3); il surveille leurs actions, il corrige leurs défauts
avec amour (4), prévient leurs désirs (5), va au-devant de leurs besoins et de
leurs peines, les protège dans le danger (6), les caresse dans la paix et dans
le calme (7), les arme pour le combat, les assiste dans les afflictions, les
prémunit contre l'erreur par la sagesse, les sanctifie par sa bonté, et les
fortifie par sa puissance (8); l’être infini à qui personne ne peut résister
ni s'opposer (9), il exécute ce qu'il peut, et il peut tout ce qu'il vent
(10), et il . veut se donner tout entier au juste
qui est en sa
(1) Luc., XXI, 18. — (2) Luc., XII, 7. — (8) Ps. XXXVI, 23. — (4) Prov., III,
12. — (5) Sap., VI, 14. — (6) Sap., VI, 14. —(7)
Cant., VIII, 4. — (8) Ps. XXVI, 3; XC, 15. — (9) Esth., XIII, 9. — (18) Ps.
CXIII, 11.
201
grâce et
qui se confie en lui seul. Ah ! qui pourra,
concevoir le nombre et la grandeur des bienfaits qu'il répand, dans un coeur
disposé de la sorte pour les recevoir ?
387. Si vous voulez, mon
amie, avoir part à ce bonheur, vous devez faire tous vos efforts pour
m'imiter, et travailler dès aujourd'hui à acquérir efficacement une véritable
résignation à la Providence divine. Et si elle vous envoie des tribulations,
des peines, des travaux, recevez-les, embrassez-les avec égalité d'âme, avec
tranquillité d'esprit et avec une patience inébranlable, une foi vive et une
ferme espérance en la bonté du Très-Haut, qui vous donnera toujours ce qui
sera le plus sûr et le plus convenable pour. votre
salut. Gardez-vous bien de faire choix d'aucune chose, car Dieu connaît toutes
les voies que vous devez suivre; confiez-vous en votre Père et Époux céleste,
qui vous protège avec l'amour le plus fidèle. Soyez attentive à toutes mes
oeuvres, puisqu'elles ne vous sont point cachées; et sachez qu'après la
douleur que me causa la vue des maux endurés par mon très-saint Fils, la plus
grande que j'aie ressentie dans toute ma vie a été celle dont m'accablèrent la
tristesse et l'inquiétude de mon époux Joseph, dans la circonstance que vous
racontez.
202
CHAPITRE II. Les soupçons de saint Joseph s'augmentent. — Il se résout à
quitter son épouse, et consulte Dieu à cet égard.
388. Dans la tourmente des
soucis qui agitaient son coeur si droit, saint Joseph tâchait bien souvent de
se procurer par sa prudence un. certain calme, pour
pouvoir respirer mi peu à l'aise après une trop. cruelle
oppression : il réfléchissait donc dans la solitude de son âme et s'efforçait
de révoquer en cloute la grossesse de son épouse. biais
le changement de plus en plus sensible qui se produisait dans l'état de la
sainte Vierge, lui rendait impossible une illusion en dehors de laquelle le
glorieux patriarche semblait n'avoir plus d'heureuse chance à espérer, et
cette chance loi échappait bien vite, puisqu'il passait du doute auquel il
s'attachait à une certitude contraire, de plus en plus forte à mesure que la
grossesse se prononçait davantage. Plus notre divine Princesse approchait de
son terme, plus elle devenait exempte des infirmités habituelles, plus elle
s'embellissait de. grâce, de santé, d'agilité.
Nouveaux motifs d'anxiété pour saint Joseph ! et en
même temps charmes irrésistibles qui attiraient son très-chaste amour, sans
203
qu'il
prit se défendre de1tous ces sentiments qui se disputaient son coeur. Après
toutes ces agitations, il finit par se rendre à l'évidence; et quoique son
esprit se conformât toujours à la volonté de Dieu ,
cela n'empêcha pas que la faiblesse de la chair ressentit l'excessive douleur
de son âme, qui augmenta à un tel point qu'il ne sut plus où trouver de remède
à sa tristesse. Il sentit diminuer ou s'épuiser les forces de son corps, et,
bien qu'il ne frit réellement atteint d'aucune maladie déterminée, il
s'affaiblit et maigrit beaucoup, et sa physionomie trahissait la sombre et
profonde mélancolie qui l'affligeait. Et comme, il la tenait secrète,
sans la communiquer à personne et sans chercher au
dehors aucun soulagement (comme le font ordinairement les autres hommes), il
en résultait que les peines que le saint souffrait étaient naturellement plus
grandes et plus incurables.
389. Le coeur de la
très-pure Marie n'était pas pénétré d'une moindre douleur; mais quoiqu'elle
fût très-grande, sa généreuse magnanimité l'était encore davantage, et par
cette vertu, elle ne tenait presque aucun compte de ses peines, mais elle ne
s'en préoccupait pas moins de celles de sou époux Joseph, de sorte qu’elle
résolut de l'aider en toutes choses plus que jamais et de redoubler les soins
qu'elle prenait de sa santé. Et comme notre très-prudente Reine se faisait une
loi inviolable d'agir en toutes ses actions avec plénitude de sagesse et de
perfection, elle continuait à cacher la vérité du mystère qu'elle n'avait pas
ordre de découvrir, et bien que seule elle eût pu, en
203
le lui
révélant, tranquilliser saint Joseph , elle s'en abstint, pour respecter et
garder, le secret du Roi céleste (1). En ce qui la regardait, elle faisait
tout ce quelle pouvait pour le soulager, s'informait souvent de l'état de sa
santé, et lui demandait ce qu'il désirait qu'elle fit pour son service et pour
la guérison de ce malaise, qui le réduisait à une si grande faiblesse. Elle
l'engageait à se reposer, à se rafraîchir, puisqu'il était juste de subvenir
aux besoins et de réparer les forces du corps, afin de travailler ensuite pour
le Seigneur. Saint Joseph, attentif à tout ce que sa divine épouse faisait,
considérant tant de vertu et tant de discrétion, et sentant les saints effets
de la conversation et de la présence de Marie, se disait; « Est-il possible
qu'une femme aussi vertueuse et en qui la grâce du Seigneur se manifeste avec
tant d'éclat, me mette dans une telle perplexité ) Comment concilier
cette prudence, cette sainteté avec les signes qui me la font paraître
infidèle à Dieu, infidèle à a l'époux qui l'aime si tendrement? Si je veux la
renvoyer on m'éloigner, je perds sa désirable compagnie, toute ma
consolation , ma maison et mon repos. Quel bien
trouverai-je qui lui soit comparable, si je me retire?
et quelle consolation si celle-ci me manque?
Mais tout cela me touche moins que l'in farcie qui peut résulter d'un cas si
malheureux, et que le danger de laisser croire que j'aie été complice de
quelque crime. Cacher le fait est impossible ;
(1) Tob., XII, 7.
205
car le
temps ne le découvrira que trop, quand a bien même je fermerais maintenant mes
yeux et ma bouche. Me reconnaître l'auteur de cette grossesse, serait un
vil mensonge aussi contraire à ma conscience qu'à ma réputation. Je ne puis,
ni m'attribuer la paternité, ni remonter à une cause que j'ignore.
Que ferai-je donc dans un tel embarras? Le parti le moins fâcheux, ce
sera de m'absenter et de quitter ma maison avant le moment de la
délivrance, où je me trouverais plus confus et plus affligé sans savoir quel
conseil suivre, quelle détermination prendre, en voyant chez moi un enfant
qui ne m'appartiendrait pas »
390. La Princesse du ciel,
qui considérait avec une vive douleur la résolution que son époux avait.
prise de la quitter et de partir, s'adressa aux
saints auges de sa garde, et leur dit : « Esprits bienheureux, ministres du
souverain Roi, qui vous a élevés à la félicité dont vous jouissez, et qui par
un ordre de son infinie bonté m'accompagnez, comme ses très-fidèles serviteurs
et mes gardes très-vigilants, je vous prie, mes bons amis, de
représenter à sa divine clémence les afflictions de mon époux Joseph. Suppliez
sa Majesté de le consoler et de le regarder véritablement en Dieu et en Père.
Et vous qui obéissez avec promptitude à toutes ses paroles, écoutez aussi mes
prières; au nom de Celui qui, étant infini, bien voulu s'incarner dans
mou sein; je vous demande, je vous supplie et je vous conjure de tirer au plus
tôt de l'anxiété dans laquelle il gémit le coeur de
206
mon
très-fidèle époux, d'adoucir ses peines et de lui ôter l'envie et la
pensée qu'il a de s'absenter. Les anges qu'elle choisit à cet effet obéirent à
leur Reine, et envoyèrent secrètement au coeur du patriarche, une foule de
saintes inspirations, lui persuadant de nouveau que son épouse Marie était
très-sainte et très-parfaite, et qu'on ne pouvait croire d'elle aucune chose
indigne de sa vertu; que Dieu était incompréhensible dans ses oeuvres et
impénétrable dans ses jugements (1), et qu il était toujours très-fidèle
envers ceux (lui se confient en lui (2), quine méprise et n'abandonne personne
dans l'affliction (3).
391. Ces pieuses réflexions
et d'autres semblables calmaient quelque peu l'esprit agité de saint Joseph,
bien qu'il ne sût par quel ordre elles lui étaient inspirées; mais comme
l'objet de sa tristesse ne diminuait point, il y retombait incontinent, sans
pouvoir s'arrêter, pour se rassurer, à rien de fixe et de certain. C'est
pourquoi il reprit le dessein de partir et de quitter son épouse. Notre divine
Dame. qui pénétra sa pensée, jugea qu'il était
nécessaire de prévenir ce danger, et de prier avec plus d'instance le Seigneur
de l'écarter. Elle s'adressa directement à son très-saint Fils, qu'elle
portait dans son sein virginal, et lui dit avec une intime affection et une
ardente ferveur : « Mon Seigneur et mon souverain Bien, si vous me le
permettez, je parlerai en votre divine présence, quoique je ne sois que cendre
et que poussière (4),
(1) Eccles., XI, 4. — (2) Thren., III, 25. — (3) Ps.
XXXIII, 19.
— (4) Gen., XVIII, 27.
207
et je
vous ferai entendre mes gémissements, qui ne peuvent vous être cachés (1). Il
est juste, mon divin Maître, que je ne néglige point le soulagement de l'époux
que vous m'avez donné de votre main. Je vois dans quelle affliction il se
trouve par une disposition de votre providence; il serait cruel de ma part de
le laisser en cet état. Si j'ai trouvé grâce devant vous, Seigneur (2),
j'oserai bien vous supplier,
par
l'amour qui vous a porté à venir dans le sein de votre servante pour le salut
des hommes (3), de daigner consoler votre serviteur Joseph et de le préparer à
coopérer à l'accomplissement de vos grandes oeuvres. Il ne serait pas séant
que votre servante demeurât sans époux, qui la protégé, l'assiste et la
mette à couvert de la calomnie. Ne permettez pas, mon Seigneur et mon Dieu,
qu'il exécute son des sein et qu'il m'abandonne. »
392. Le Très-Haut répondit
en ces termes à la demande de notre Reine, Ma Colombe et ma Bien Aimée,
je consolerai bientôt mon serviteur Joseph , et
quand je lui aurai déclaré par l'organe de mon ange le mystère qu'il
ignore, vous lui en pourrez parler, et lui direz clairement tout ce que
j'ai opéré en vous, sans désormais vous renfermer à cet égard dans
le silence. Je le remplirai de mon esprit, et le rendrai capable de ce qu'il
doit faire dans ces mystères. Il vous y aidera et vous assistera dans tous les
événements qui vous arriveront. » L'auguste
(1) Ps. XXXVII, 10. — (2)
Exod., XXXIV, 9. — (3) I Joan., IV, 9.
208
Marie,
toute fortifiée et consolée par cette promesse du Seigneur, lui rendit de
très-humbles actions de grâces, de ce qu'il disposait toutes choses avec un
ordre admirable, et avec poids et mesure (1); car outre la consolation que
cette grande Dame ressentit en se trouvant délivrée d'une peine si sensible,
elle comprit combien il était utile pour son. époux
Joseph d'avoir passé par cette tribulation, qui avait éprouvé et comme élargi
son âme à la mesuré. des grandes choses qui lui
devaient être confiées.
393. Cependant saint Joseph
continuait à peser ses doutes. Il avait déjà vécu deux mois dans cette grande
affliction, lorsque, vaincu par la difficulté, il dit ; « Je ne trouve point
de remède plus propre à ma douleur que de m'absenter. J'avoue que mon épouse
est très-parfaite, et je ne,vois rien en elle qui
n'atteste sa sainteté; mais enfin elle est enceinte , et je ne comprends
pas ce mystère. Je ne veux point offenser sa vertu en, la soumettant à
l'application de la loi , mais aussi je ne
dois pas attendre le moment de la délivrance. Je partirai sans différer,
et je m'abandonnerai à la providence du Seigneur, qui prendra soin de moi. »
Il résolut donc de partir la huit suivante; et ayant préparé à cet
effet un habit et quelques bardes qu'il avait pour changer, il fit du tout un
paquet. Il avait reçu un peu d'argent qu'on lui devait de son travail; et avec
cette petite provision il se disposa, à partir ,
vers minuit. Mais tant à
(1) Sap., XI, 21
209
cause de
l'étrangeté du cas que par une pieuse habitude, il se recueillit pour méditer
sur l'importance de son entreprise, et adressant ensuite sa prière au
Seigneur, il lui dit; « Grand Dieu de nos pères Abraham , Isaac et Jacob,
unique et véritable protecteur des pauvres et des affligés, la douleur
dont mon coeur est pénétré n'est point cachée à votre divine
clémence. Vous connaissez aussi, Seigneur, quoique d'ailleurs je ne sois
pas exempt de péché, mon innocence touchant le sujet de ma peine, comme
l'infamie et le danger dont je suis menacé par l'état de mon épouse. Je
ne la crois pas adultère, parce, que je reconnais en elle de
très-grandes vertus et une perfection éminente, mais je vois avec certitude
qu'elle est enceinte. J'en ignore la cause, il est vrai, mais je ne
trouve aucun moyen de calmer mon es prit. Je choisis, comme un moindre mal, de
m'en aller loin d'elle en un endroit où personne ne me connaisse,
et d'achever ma vie dans quelque désert, où je m'abandonnerai à votre
providence. Ne me délaissez pas, Seigneur, car je ne désire que de
m'employer à votre service, pour votre plus grande gloire.
394. Saint Joseph se
prosterna, et fit voeu d'aller offrir au Temple de Jérusalem une partie de la
petite somme qu'il avait pour son voyage; et c'était afin que Dieu garantit
son épouse des calomnies des hommes, et qu'il la préservât de tout mal : si
grande était la droiture de l'homme de Dieu et l'estime qu'il faisait de notre
divine Reine ! Après cette prière il prit un peu
210
de
repos, pour sortir ensuite vers minuit, à l'insu de son épouse : et il lui
arriva en songe ce que je dirai
dans le chapitre suivant. La grande Princesse du ciel (comptant sur la
promesse divine) observait de son oratoire tout ce que faisait et se proposait
saint Joseph , car le Tout-Puissant le lui
découvrait. Et, remplie de tendresse et de compassion à la connaissance du
voeu qu'il avait fait pour elle, et à la vue du peu de hardes et d'argent
qu'il avait préparés, elle fit de nouvelles prières pour lui et rendit des
actions de grâces au Seigneur, le glorifiant dans ses oeuvres, et pour la
sagesse qu'il y déploie au delà de tout ce que les hommes peuvent imaginer ou
espérer.
395. Sa divine Majesté
permit que la très-sainte Vierge et son saint époux fussent réduits à cette
extrémité de douleur intérieure, afin que, outre les mérites qu'ils amassaient
par un si long martyre, le bienfait de la consolation divine fiât en eux et
plus admirable et plus singulier. Et quoique notre
auguste Princesse, soutenue par la foi, espérât toujours fermement que le
Très-Haut remédierait en temps et lieu à toutes leurs peines (ce qui lui,
faisait garder le secret du grand Roi (1), qui ne l'avait point chargée de le
communiquer), elle ne laissa pas que d'être vivement affligée; de la
résolution de saint Joseph : parce qu'elle se représenta les grands
inconvénients auxquels elle serait exposée, une fois seule, sans appui et sans
compagnie qui l'assistât et qui la consolât, selon l'ordre commun
(1) Tob., XII, 7.
211
et
naturel; car on ne doit pas toujours chercher les choses par des voies
miraculeuses et surnaturelles. Mais ces pensées accablantes ne purent
l'empêcher de pratiquer les vertus les plus excellentes, comme celle de la
magnanimité, en supportant les afflictions, les soupçons et les résolutions de
saint Joseph; celle de la prudence, en considérant que le mystère qu'elle
renfermait était grand, et qu'il ne convenait pas qu'elle le découvrit de son
propre mouvement; celle du silence, en se rendant maîtresse de sa langue,
comme une femme forte qui se distinguait entre toutes les autres, sachant
taire ce que tant de raisons humaines l'auraient portée à déclarer; celle de
la patience, en souffrant sans se plaindre, et celle de l'humilité, en ne
dissipant pas les soupçons de son époux. Elle exerça d'une manière admirable
beaucoup d'autres vertus dans cette épreuve, pour nous enseigner à attendre le
remède du Très-Haut dans les plus grandes tribulations.
Instruction que la Reine du ciel me donna.
396. Ma fille,
l'instruction que je vous donne par cette observation du silence dont vous
avez parlé, est que vous la preniez pour règle de votre conduite dans les
faveurs et dans les mystères du Seigneur, en les gardant dans le plus secret
de votre coeur. Et, quoiqu’il
212
vous
semble quelquefois à propos de les déclarer pour~la consolation de quelque
âme, vous ne devez pas vous y décider de vous-même sans avoir d'abord consulté
Dieu, et ensuite celui qui vous dirige, parce que, dans ces matières
spirituelles, il faut ne pas agir d'après l'affection humaine, où les passions
et les inclinations de la créature ont une si grande part; car il est fort à
craindre qu'elles ne fassent prendre pour convenable ce qui est pernicieux, et
pour être du service de Dieu ce qui lui déplaît : ce n'est pas par les yeux de
la chair et du sang que l'on parvient à discerner entre les mouvements
intérieurs ceux qui sont divins et qui naissent de la grâce, d'avec ceux qui
sont humains et produits par les affections désordonnées. Sans doute il y a
entre ces deux effets et leurs causes une distance énorme; néanmoins, si la
créature n'est pas des plus éclairées, et si elle n'est pas entièrement morte
à ses passions, elle ne saurait faire ce discernement, ni séparer ce qui est
pernicieux de ce qui ne l'est pas (1). Et la difficulté est bien plus grande
quand quelque motif temporel et humain s'y trouve ou s'y mêle : parce qu'alors
l'amour-propre et naturel s'avise trop souvent de traiter les choses divines
et spirituelles, et expose l'âme à tomber à chaque pas dans de très-dangereux
précipices.
397. Que cet avis vous
serve pour toute votre vie, de ne déclarer jamais aucune chose sans mon ordre,
si ce n'est à celui qui vous conduit. Et puisque j'ai
(1) I
Cor., II, 14; Jerem., IV, 19.
213
bien
voulu me constituer votre maîtresse, je ne manquerai pas de vous prescrire et
de vous conseiller ce que vous aurez à faire en cela et dans tout le reste,
afin que vous ne vous écartiez point de la volonté de mon très-saint Fils.
Irais prenez bien garde à faire toujours une grande estime des faveurs et des
bienfaits du Très-Haut (1). Regardez-les avec vénération, et préférez le cas
que vous en devez faire et la reconnaissance que vous en devez avoir à toutes
les choses inférieures, surtout à celles qui sont conformes à votre
inclination. La crainte respectueuse que j'eus me fit garder un silence
très-exact, persuadée, comme je devais l'être, que le trésor qui m'avait été
confié était d'un prix inestimable. Et je m'imposai cette discrétion, ce
silence, nonobstant mon état de dépendance naturelle et l'amour que je portais
à saint Joseph, mon époux et mon maître, et malgré la douleur et la compassion
que je ressentais de ses afflictions, dont j'eusse tant voulu le délivrer,
parce que je préférais à tout le bon plaisir dit Seigneur, et que je lui
remettais une cause qu'il s'était réservée à lui seul. Apprenez aussi par là à
ne vous jamais disculper, pour innocente que vous soyez sur, ce qu'on vous
impute. Rendez-vous agréable au Seigneur en vous confiant entièrement à son
amour; abandonnez-lui votre. réputation , et
cependant vainquez par la patience, par l'humilité, par les bienfaits et par
les paroles douces et obligeantes, ceux qui vous offensent.
(1) Eccles., XXXIX, 19 et 20.
214
Je
vous recommande particulièrement de ne jamais juger mal de personne, quand
même les indices les plus clairs viendraient frapper vos yeux; car la parfaite
charité vous apprendra à donner à toutes choses une interprétation prudente et
à excuser les fautes d'autrui. C'est pour cela que Dieu a mis pour modèle mon
époux saint Joseph ; car jamais personne n'eut à la fois de plus justes motifs
de suspicion et plus de discrétion à suspendre son jugement, parce que,
suivant les règles d'une. charité circonspecte et généreuse, on fait acte de
sage réserve et non point de témérité, quand on s'en rapporte, pour
l'appréciation d'un fait dont la culpabilité n'est pas évidente, à des causes
supérieures qu'on ne pénètre pas, plutôt que de juger et que de condamner le
prochain. Je ne vous donne pas ici des instructions particulières pour ceux
qui sont dans l'état du mariage, parce qu'elles ressortent assez de toute
l'histoire de ma vie, et ils en peuvent tous faire leur profit, quoique je
vous les donne maintenant pour votre avancement particulier, que je désire
avec un amour de mère. Écoutez-moi, ma très-chère fille, et mettez en pratique
mes conseils et mes paroles de vie.
CHAPITRE III. L'ange du Seigneur parle â saint Joseph dans un songe, et lui
révèle le mystère de l'Incarnation. — Effets de cette ambassade.
398. Les pointes de la
jalousie entretiennent dans l'Aine de celui qui en est atteint une douleur si
vive, que maintes fois, non-seulement elle trouble son sommeil, mais elle
l'éloigne de ses yeux et lui ôte entièrement le repos. Personne n'en ressentit
si sensiblement les effets que saint Joseph ,
quoique dans la réalité personne n'en eût moins de sujet, s'il l'eût alors
connue. Il était doué d'une science et d'une lumière singulière pour pénétrer
la sainteté et les belles qualités de sa divine épouse, qui étaient
inestimables. Mais cette science et cette lumière fournissaient les raisons
qui l'obligeaient à renoncer à la possession d'un si grand bien; et par
conséquent, plus elles lui faisaient connaître ce qu'il allait perdre, plus
elles augmentaient les douloureux regrets que lui inspirait son départ (1).
C'est pour cela que les peines de saint Joseph surpassèrent tout ce que les
hommes ont souffert d'analogue : car aucun n'eut une plus
(1) Eccles., I, 18.
217
haute
idée de l'objet qu'il perdait, aucun ne put le connaître et l'apprécier comme
le saint patriarche. Mais il faut que nous mettions une grande différence
entre la jalousie et les soupçons de ce fidèle serviteur, et ceux des autres
hommes condamnés à la même épreuve. En effet, la jalousie ajoute à un amour
violent le vif désir de ne pas perdre, mais de conserver ce que l'on aime; et
par une conséquence naturelle, cette affection est suivie de la douleur que
cause la crainte de le perdre et de voir quelqu'un nous l'ôter; c'est cette
douleur ou cette inquiétude que l'on appelle communément jalousie, laquelle
produit en ceux qui ont les passions désordonnées, faute de prudence et des
vertus nécessaires, divers sentiments de colère, de fureur et d'envie contre
la personne aimée elle-même ou contre le rival , qui empêche le retour de
l'amour, qu'il soit bien ou mal ordonné. Alors arrivent comme la tempête les
conjectures hasardées , les soupçons téméraires que
font naître les mêmes passions. Bientôt mille velléités contraires agitent,
l'âme : on veut, on se repent, on aime, on abhorre, et les appétits
concupiscible et irascible sont continuellement aux prises, sans qu'il y ait
ni raison ni prudence pour les maîtriser, parce qu'un mal de ce genre
obscurcit l'entendement, pervertit le sens moral et bannit la prudence.
399. Saint Joseph ne fut
point sujet à ces désordres vicieux; il ne pouvait même pas l'être,
non-seulement à cause de sa sainteté insigne, mais aussi à cause de celle de
son épouse, car il ne connaissait en
217
elle
aucune faute qui pût le porter à la moindre indignation, et il ne lui vint pas
à l'esprit qu'elle eût mis son amour en aucun autre qu'il dût voir avec envie
ou repousser avec colère. La jalousie du saint ne consista qu'en la grandeur
de son amour et en une espèce de doute ou de soupçon portant sur le retour
qu'il avait obtenu de sa très-chaste épouse, parce qu'il ne trouvait pas le
moyen de vaincre ce doute par une raison décisive, comme l'étaient les
apparences qui le causaient. Il ne lui fallut point de plus grande certitude
pour rendre sa douleur si véhémente; car en un gage aussi cher que l'amour
d'une épouse, on ne doit souffrir aucune société, et afin que ces apparences
produisissent une telle jalousie, il suffisait que, taudis que l'amour le plus
pur et le plus ardent remplissait tout le coeur de saint Joseph, il dût voir
la moindre marque d'infidélité et éprouver là crainte de perdre le plus
parfait, le plus beau, le plus agréable objet dont s'occupassent son
entendement et sa volonté. Car quand l'amour a des motifs si justes, les liens
qui retiennent le coeur comme un captif enchaîné, sont d'autant plus forts,
d'autant plus indissolubles, surtout quand il n'y a point dans l'objet aimé
des imperfections capables de les faire rompre par un violent effort. Noire
divine Reine n'en avait aucune, il ne te trouvait rien en elle qui pût
diminuer l'amour de son saint époux; au contraire, tout ce qu'elle avait reçu
de la grâce et de la nature lui fournissent tous les jours de nouveaux sujets
de l'augmenter.
418
400. Après que le saint eut
fait sa prière, il s'endormit dans cette douleur, qui alla jusqu'à la
tristesse, assuré qu'il s'éveillerait à temps pour sortir de sa,maison
à minuit, sans être aperçu, espérait-il, de son épousé. Notre divine Dame
attendait le remède et le demandait incessamment par ses humbles prières,
parce qu'elle savait que, les peines de son époux étant arrivées à leur plus
haut degré, le moment de la miséricorde était proche, où la consolation
descendrait dans ce coeur désolé. Le Très-Haut envoya le saint archange
Gabriel, le chargeant de découvrir par une révélation divine, à saint Joseph
endormi, le mystère de la grossesse de son épouse Marie. Et l'archange
s'acquittant de cette mission, apparut su saint dans un songe, comme le marque
saint Matthieu, et lui déclara dans les termes que cet évangile rapporte (1),
tout le mystère de l'incarnation et de la rédemption. On sera peut-être un peu
surpris, aussi bien que moi, de ce que l'archange ait parlé à saint Joseph
dans un songe, et non point lorsqu'il veillait, puisque le mystère était si
relevé et si difficile à concevoir, surtout dans le trouble extrême où se
trouvait le patriarche, tandis que le même mystère fut révélé à
d'autres , non durant leur sommeil, mais en pleine
veille.
401. Dans ces dispositions
du Seigneur, la raison suprême n'est autre que sa divine volonté, toujours
juste, sainte et parfaite. Je tâcherai pourtant de dire,
(1) Matth., I, 20 et 21.
219
pour
notre instruction , quelques-unes des choses que j'ai apprises à cet égard. La
première est, nue saint Joseph était si prudent, éclairé d'une si céleste
lumière , et pénétré d'une si haute estime pour la
très-sainte Vierge, qu'il ne fut pas nécessaire de recourir à des moyens plus
forts pour le convaincre de sa dignité et des mystères de l'incarnation , car
les inspirations divines s'insinuent aisément dans les coeurs bien disposés.
La seconde est, que son trouble ayant commencé par les sens, à la vue de la
grossesse de son épouse, il était juste qu'ils fussent comme mortifiés et.
privés de la vision angélique, et que la vérité ne
fût point introduite dans l'âme par leur organe, puisqu'ils avaient donné
l'entrée à la tromperie ou su soupçon. Une troisième raison qui a beaucoup de
rapport à celle-là, est parce que saint Joseph, bien qu'il ne commit aucun
péché, souffrit un trouble tel, que ses sens contractèrent une espèce de
souillure (lui les rendit indignes de la vue et de la communication du saint
ange; il fallait par conséquent que l'ambassadeur céleste lui parait dans an
moment où les sens scandalisés auparavant, fussent interdits par la suspension
de leurs opérations; dans la suite, le saint homme étant revenu à soi, se
purifia et se disposa par plusieurs actes, comme je le dirai, à recevoir les
influences du Saint-Esprit, car son trouble les eût écartées.
402. On comprendra par là
pourquoi Dieu parlait aux anciens pères dans des songes, plus souvent qu'il ne
fait maintenant aux fidèles enfants de la loi
220
évangélique,
sous le règne de laquelle ces sortes de révélations sont moins fréquentes que
celles par lesquelles les anges se manifestent davantage. La raison en est
que, dans l'économie divine, les plus grands obstacles qui empêchent que les
âmes n'aient des rapports vraiment familiers avec Dieu et avec ses anges, sont
les péchés, même légers, et voire les simples imperfections. Mais depuis que
le Verbe s'est incarné et qu'il a conversé avec les hommes, les sens se sont
purifiés et nos puissances se purifient tous les jours, étant sanctifiées par
le bon usage des sacrements sensibles, de sorte qu'elles se dégourdissent, se
spiritualisent, s'élèvent et s'habilitent dans leurs opérations à participer
aux influences divines. Et ce privilège sur les anciens, nous le devons au
précieux sang de notre Seigneur Jésus-Christ, en vertu duquel nous sommes
sanctifiés par les sacrements, en y recevant les effets divins de grâces
spéciales, et en quelques-uns le caractère spirituel qui nous distingue et
nous dispose à de plus hautes fins. Mais quand le Seigneur parlait autrefois,
ou qu'il parle maintenant dans des songes, il exclut les opérations des sens
comme incapables ou indignes d'assister aux noces spirituelles de sa
communication intime et de jouir de ses épanchements célestes.
403. On doit aussi inférer
de cette doctrine, que pour recevoir les faveurs secrètes du Seigneur, il faut
non-seulement que les âmes soient exemptes de péché, enrichies de grâce et de
mérites, mais encore qu'elles aient le calme et la tranquillité de la paix,
parce que
221
si cette
république des puissances est agitée comme elle l'était en saint Joseph, elle
n'est pas disposée à recevoir des effets aussi divins et aussi spirituels que
ceux que produisent dans l’âme la visite et les caresses du Seigneur. Et il
n'arrive que trop souvent que ces troubles intérieurs les empêchent, lors même
que la créature gagne les plus grands mérites, comme le faisait l'époux de
notre Reine, par les peines et les tribulations qu'elle supporte: c'est que la
souffrance suppose toujours un travail, une espèce. de
lutte contre les ténèbres, tandis que la jouissance consiste.
à se reposer en paix dans la possession de la
lumière; or, la lumière n'est pas compatible avec la présence des ténèbres,
dit-elle parvenir à les chasser. Ainsi, dans le plus fort du combat des
tentations, que l'on peut comparer avec le sommeil ou avec la nuit, l'on
entend ordinairement la voix du Seigneur par le moyen des anges, comme il
arriva à notre saint, qui entendit et comprit tout ce que disait saint Gabriel
, savoir : qu'il ne craignit point de demeurer avec son épouse Marie, parce
que sa grossesse était l'ouvrage du Saint-Esprit (1); qu'elle enfanterait un
Fils qu'il nommerait Jésus, et qui serait le Sauveur de son peuple (2), et que
dans tout ce mystère serait accomplie la prophétie d'Isaïe qui dit : « Qu'une
vierge concevrait et mettrait au monde un fils qui serait appelé Emmanuel,
c'est-à-dire Dieu avec nous (3). » Saint Joseph ne vit point l'ange sous une
forme sensible,
(1) Matth., I, 20. — (2) Ibid., 21. — (3) Isa., VII, 14.
222
il en
unit seulement la voix au fond de son dîne, et connut le mystère. Des termes
dont l'ambassadeur céleste se servit, on doit conclure que le saint avait
déjà, par la pensée, quitté la très-pure Marie, puisqu'il lui ordonna de la
recevoir sans crainte.
404. Saint Joseph s'éveilla
convaincu du mystère qui lui avait été révélé, et que son épouse était
véritablement Mère de Dieu. Partagé entre la joie de son bonheur et de son
sort inespéré, et de nouveaux regrets de sa conduite, il se prosterna à terre,
et, troublé cette fois par une humble crainte et une joie ineffable, il fit
des actes héroïques d'humilité et de reconnaissance. Il rendit des actions de
grâces à Dieu pour le mystère qu'il lui avait découvert, et l'avoir fait époux
de Celle qu'il avait choisie pour Mère, lui, qui ne méritait pas d'être son
esclave. Par cette révélation et ces actes de vertu, l'esprit du saint
recouvra sa sérénité et se trouva disposé à recevoir de nouveaux effets du
Saint-Esprit. Les doutes et les troubles par lesquels il avait passé servirent
à jeter en lui les fondements d'une plus profonde humilité, nécessaire à celui
à qui l'on confiait la dispensation des plus hauts conseils du Seigneur; et le
souvenir de cet événement fut une leçon qu'il médita durant toute sa vie.
Ayant rendu ses actions de grâces à la divine Majesté, le saint homme commença
à se faire à lui-même des reproches dans sa solitude, et s'écria : « O ma
divine épouse et très-douce colombe, choisie a du Très-Haut pour sa demeure et
pour sa propre Mère, comment cet indigne esclave a-t-il eu la
223
hardiesse
de mettre en doute votre fidélité ? Comment celui qui n'est que cendre et que
poussière a-t-il pu se laisser servir par Celle qui est Reine du ciel et de la
terre, et Maîtresse de toutes les créatures? Comment n'ai-je point baisé la
terre qu'ont touchée vos pieds sacrés? Comment n'ai-je pas songé
uniquement à vous servir à genoux? » Comment oserai-je lever les yeux en votre
présente, demeurer en votre compagnie, et ouvrir la bouche pour vous parler?
Seigneur, faites-moi la grâce de me donner assez de force pour la prier
de me pardonner, inspirez-lui d'user de miséricorde envers moi et de ne point
rejeter, suivant ses mérites, ce serviteur qui reconnaît sa faute. « Hélas !
avec combien de clarté ne devait-elle pas
pénétrer toutes mes pensées, étant remplie de lumière et de grâce, et
renfermant dans son sein le Soleil de justice ! Après avoir été sérieusement
décidé à la quitter, ne serai-je donc pas téméraire quand je paraîtrai
devant elle ? Je connais mon a procédé. grossier et
ma lourde méprise, puisqu'à la vue d'une si grande sainteté j'ai
accueilli d'indignes pensées et des doutes sur la fidélité d'un retour
que je ne méritais pas. Et si votre justice, Seigneur, eût permis pour
me châtier que j'eusse exécuté ma résolution imprudente, quel serait
maintenant mon malheur? Je vous remercierai éternellement, mon Dieu, d'un
bienfait si incomparable. Donnez-moi, Roi tout-puissant, de quoi vous payer
largement la dette de la reconnaissance. Je me présenterai
224
à ma
Princesse, mon épouse, me confiant en la douceur de sa clémence, et, prosterné
à ses pieds, je lui demanderai pardon, afin qu'à cause d'elle, Seigneur, vous
me traitiez avec une indulgence paternelle et me pardonniez mon erreur. »
405. Saint Joseph, s'étant
éveillé, sortit de son pauvre appartement aussi différent de ce qu'il était
avant son sommeil, qu'il se trouvait heureux après son réveil. Et comme la
Reine du ciel se tenait toujours dans la retraite, il n'osa point
l'interrompre dans sa douce contemplation avant qu'elle en sortit d'elle-même
(1). En attendant, l'homme de Dieu délia le petit paquet qu'il avait préparé,
fondant en larmes, et animé de sentiments bien contraires à ceux qui le
dominaient naguère. Et, vouant dès lors toute sa vénération à sa divine
épouse, le saint se mit, tout en pleurant, à arranger la maison, à nettoyer le
sol qu'elle devait toucher de ses pieds sacrés, et à s'occuper d'une foule de
petites choses dont il avait accoutumé de remettre le soin à la sainte Vierge,
lorsqu'il ne connaissait point sa dignité; et il résolut de changer de façons
et de conduite envers elle, en s'appropriant l'office de serviteur pour lui
réserver celui de maîtresse. Dès ce jour-là ils eurent à ce propos
d'admirables disputes, pour savoir lequel des deux devait servir et se montrer
plus humble. Là Princesse de l'univers découvrait toutes les pensées et tons
les mouvements de son époux. Et quand l'heure fut arrivée,
(1) Cant., II, 7.
225
il se
présenta à la chambre de notre divine Dame, qui l'attendait avec la douceur et
la complaisance que je dirai dans le chapitre qui suit.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
406. Ma fille, vous avez
dans et avec toutes les choses qui vous ont été enseignées au présent
chapitre, un doux motif de louer le Seigneur, en connaissant l'ordre admirable
avec lequel, toujours aussi sage que miséricordieux, il ménage à ses
serviteurs et à ses élus tour à tour les afflictions et les consolations (1),
pour les attirer tous à lui avec une plus grande augmentation de mérite et de
gloire. Outre cet avis, je veux que vous en receviez un autre fort important
pour votre conduite et pour l'étroit commerce auquel le Très-Haut vous
appelle. C'est que vous fassiez tous vos efforts pour vous conserver toujours
dans la tranquillité et dans la paix intérieure, sans permettre à aucun
événement de la vie mortelle de vous les ôter ont de les altérer par le plus
léger trouble, profitant, compte d'un exemple et d'une leçon, de ce qui arriva
à mon époux Joseph dans la circonstance que vous venez de raconter. Le
Très-Haut ne veut point que la créature se trouble par la
(1) 1 Reg., II, 6.
226
tribulation,
mais qu'elle mérite; il ne veut point qu'elle s'abatte, mais qu'elle fasse
l'expérience de ce qu'elle peut avec sa grâce. Et, bien que les vents
impétueux des tentations jettent d'ordinaire dans le port d'une plus grande
paix et d'une plus haute connaissance de Dieu, bien qu'on puisse tirer de ce
trouble la connaissance de soi-même et le sujet de son humiliation , il n'en
est pas moins vrai que si l'on ne rentre dans le calme et dans le repos
intérieur, on n'est pas disposé à recevoir les visites, les inspirations et
les caresses du Seigneur, parce que sa divine Majesté ne vient point dans des
tourbillons (1), et qu'on ne saurait apercevoir les rayons de ce suprême
Soleil de justice dans un air peu serein.
407. Si le défaut de cette
tranquillité suffit pour empêcher à. ce point les intimes communications dit
Très-Haut, il est certain que les péchés sont encore de plus grands obstacles
pour arriver à une si haute faveur. Je veux, ma fille, que vous soyez fort
attentive à cet enseignement, et que vous ne supposiez pas avoir le droit de
le soumettre au contrôle de vos facultés. Et, puisque vous avez si souvent
offensé le Seigneur, ayez recours à sa miséricorde, pleurez et purifiez-vous
entièrement, et sachez que vous êtes obligée, sous peine d'être condamnée
comme infidèle, de veiller sur votre âme et de la conserver toujours pure,
chaste et tranquille, comme destinée à servir éternellement de demeure au
Tout-Puissant (2), afin
(1) III Reg., XIX, 11 et 12. — (2) I Cor., III, 16.
227
que son
Maître la possède et y trouve une habitation digne de lui. Il doit régner
entre vos puissances et vos sens un ordre tel, qu'il en résulte, comme de
plusieurs instruments de musique, une très-douce et très-agréable harmonie; et
plus cet accord est parfait, plus il est ü craindre qu'il ne soit troublé par
quelques dissonances : c'est pourquoi il faut garder d'autant plus
soigneusement ses sens, pour les préserver du contact des choses de la terre:
car il suffit malheureusement que l’âme respire l'air infect qui sort des
objets mondains, pour que leur contagion atteigne et frappe les puissances,
même le plus étroitement unies à Dieu. Travaillez donc à vous observer, à vous
surveiller vous- même, pour conserver un empire absolu sur vos puissances et
sur leurs opérations. Et si vous vous apercevez que cet ordre et cette
harmonie sont quelquefois troublés, tâchez d'être attentive à la divine
lumière, pour la recevoir sans altération et sans crainte, et pour agir avec
son secours de la manière la plus pure et la plus parfaite. Je vous donne pour
exemple à ce sujet mon époux saint Joseph, qui crut sans hésitation et sans
défiance ce que l'ange lui dit, exécutant aussitôt avec une prompte obéissance
ce qui lui fut ordonné, par où il mérita d'être élevé à de hautes récompenses
et à une éminente dignité. Et si, n'ayant commis aucun péché en ce qu'il fit,
il s'abaissa avec tant d'humilité, seulement pour s'être troublé dans une
occasion où il avait, du moins en apparence, tant dé motifs d'inquiétude,
considérez combien vous devez reconnaître votre néant et vous confondre avec
228
la
poussière, vous qui n'êtes qu'un pauvre vermisseau, en pleurant vos
négligences et vos péchés, jusqu'à ce que le Très-Haut vous regarde avec les
dispositions d'un père et d'un époux.
CHAPITRE IV. Saint Joseph demande pardon à la très-pure Marie, son épouse, et
notre divine Dame le console avec nue grande prudence.
408. Saint Joseph, qui
avait reconnu soit erreur, attendait que la sainte Vierge son épouse sortit de
son recueillement; et, lorsqu'il crut que l'heure était venue, il ouvrit la
porte de la petite chambre qu'occupait la Mère du Roi céleste; et aussitôt il
se jeta à ses pieds et lui dit avec une humilité et une vénération profonde :
« Puissante Mère véritable du Verbe éternel, voici votre serviteur prosterné
aux pieds de votre clémence. Au nom de Seigneur votre Dieu lui-même, que vous
portez dans votre sein virginal, je vous supplie de me pardonner ma témérité.
Je suis certain, Madame, qu'aucune de mes pensées ne peut être cachée à votre
sagesse et à la lumière divine que vous avez reçue. Je fus bien hardi, lorsque
j'osai former le projet de vous quitter, et
229
je ne
fus pas moins grossier, lorsque je vous traitai jusqu'à présent comme mon
inférieure, au lieu de vous servir comme la Mère de mon Seigneur et de mon
Dieu. Mais aussi vous savez que j'ai fait tout cela par ignorance, parce que
le secret du grand Roi ne m'avait pas été découvert, ni la grandeur de votre
dignité, quoique je révérasse en vous d'autres dons du Très-Haut. Oubliez,
Madame, les ignorances d'une vile créature, qui les ayant reconnues, offre son
coeur et sa vie à votre service. Je ne me lèverai point de vos pieds
sans savoir que je suis dans vos bonnes grâces, que vous m'avez pardonné mon
désordre et accordé votre bienveillance et votre bénédiction. »
409. En entendant les
humbles paroles de son époux Joseph, l'auguste Marie ressentit des impressions
diverses; car, si d'un côté elle se réjouissait vivement dans le Seigneur, de
voir qu'il était informé des mystères de l'incarnation, et qu'il les
confessait et les révérait avec une si haute foi et avec une,humilité si
profonde, de l'autre, elle fut un peu affligée de la résolution qu'il avait
prise de la traiter à l'avenir avec le respect et la soumission qu'il lui
offrait; parce que la très-humble Dame craignit de perdre par ce changement
les occasions d'obéir et de s'abaisser comme servante de son époux. Et comme
quelqu'un qui se trouverait tout à coup dépossédé d'un bijou ou d'un trésor
auquel il attachait un grand prix; ainsi la très-sainte Vierge fut attristée
par l'appréhension qu'elle eut que saint Joseph l'ayant reconnue pour Mère du
230
Seigneur, ne cessât de la traiter en toutes choses comme inférieure. Elle fit
lever son époux, et se prosterna elle-même à ses pieds. Il tâcha de l'en
empêcher, mais inutilement, car elle était invincible en humilité, et dans
cette humble posture, elle dit au saint : « C'est a moi, mon maître et mon
époux, qui dois vous demander pardon des peines et des amertumes que je vous
ai causées; je vous supplie donc, prosternée à vos pieds, d'oublier vos soucis
et la tristesse a qu'ils vous ont donnée, puisque le Très-Haut a exaucé vos
désirs. »
410. Notre divine Dame crut
devoir consoler son époux, et cent plutôt pour cela que pour se disculper,
qu'elle lui dit en continuant son discours: « Je ne pouvais, malgré mon désir
à cet égard, vous a rien confier du mystère caché que le Très-Haut
renfermé en moi, parce que je devais, petite esclave de sa Majesté souveraine,
attendre les ordres de sa volonté toujours sainte, juste et parfaite. Si j'ai
gardé le silence, ce n'est pas que je cessasse de vous considérer
comme mon maure et mon époux. Je suis et serai toujours votre fidèle
servante, et je répondrai dans toutes les occasions à vos justes souhaits et à
vos saintes affections. Mais ce que je vous demande du plus intime de mon
coeur, au nom du Seigneur que j'ai dans mon sein ,
c'est que dans vos rapports et dans vos manières, vous conserviez
le même genre qu'auparavant. Le Seigneur ne m'a pas élevée à la maternité
divine pour être servie ni pour commander pendant cette vie, mais pour être
231
la
servante de tous, et particulièrement la vôtre ; c'est pourquoi je vous dois
obéir en tout. Voilà, mon seigneur, mon rôle; et si vous m'en privez,
vous me priverez en même temps de ma consolation. Il est juste que vous
me le laissiez, puisque le Très-Haut l'a ordonné de la sorte, en m'assurant
vos soins et votre protection, afin que je vive tranquille à l'ombre de votre
nom, et qu'avec votre aide je puisse nourrir le fruit que je porte, mon Dieu
et mon Seigneur. » Par ces paroles et par plusieurs autres pleines de la
plus douce éloquence, l'auguste Marie consola et rassura son saint époux;
ensuite elle se releva pour lui apprendre tout ce qu'il devait savoir. Et
comme notre divine Dame n'était pas seulement remplie du Saint-Esprit, main
qu'elle avait encore dans son sein comme mère, le Verbe divin, dont il procède
aussi bien que du hère, elle éclaira d'une manière merveilleuse l'intelligence
de saint Joseph , qui reçut en ce moment une
abondante effusion des grâces divines. Et l'esprit tout renouvelé et animé
d'une nouvelle ferveur, il lui dit :
411. « Vous êtes bénie, ma
chère Dame, entre a Mates les femmes, heureuse et bienheureuse entre
tontes les nations et tolites les générations. Que le Créateur du ciel
et de la terre soit glorifié par des louanges éternelles, de ce qu'il
vous a regardée du plus haut de son trône royal et choisie pour sa
demeure; il a accompli en vous seule les promesses qu'il a faites à nos
pères et aux prophètes. Que toutes les générations lé bénissent de ce
qu'en aucune
232
autre
créature il ne s'est autant exalté qu'en votre humilité, et de ce
qu'étant le plus vil des a hommes, il m'a choisi par sa divine bonté pour
votre serviteur. » Ces bénédictions et ce langage furent inspirés à saint
Joseph par l'Esprit divin, comme la réponse que fit sainte Élisabeth à la
salutation de notre grande Reine; seulement la lumière et la science que le
saint reçut, furent en quelque façon plus admirables, comme étant en rapport
avec sa dignité et avec son ministère: L'auguste Marie, entendant les paroles
de son bienheureux époux, lui répondit par le cantique du Magnificat, qu'elle
répéta dans les mêmes termes qu'à sainte Élisabeth (1), en y ajoutant
plusieurs nouveaux versets; et pendant qu'elle les disait, elle fut tout
enflammée d'un feu divin, ravie en une très-sublime extase, et élevée de terre
dans un globe d'une brillante lumière qui l'environnait; et elle y fut toute
transformée, comme si elle avait déjà participé aux dons de la gloire.
412. Saint Joseph fut
rempli d'admiration et d'une joie inexprimable à la vue d'un objet si divin;
car il n'avait pas encore vu sa très-sainte épouse élevée a. un si haut degré
de gloire et d'excellence. C'est alors qu'il comprit clairement, entièrement
sa grandeur, parce qu'il découvrit en même temps l'intégrité et la pureté
virginale de la Princesse du ciel, et le mystère de sa dignité; il vit et
reconnut dans son très-chaste sein l'humanité sacrée de l'Enfant-Dieu, et
l'union des
(1) Luc., 1, 45.
233
deux
natures en la personne du Verbe; il l'adora avec une profonde humilité, le
reconnut pour son véritable Rédempteur, et se consacra à son service en
multipliant les actes de l'amour le plus généreux. Le Seigneur le regarda avec
une grande complaisance, et le distingua entre toutes les autres créatures;
car il l'accepta pour son père putatif, et lui en donna le titre; et pour
qu'il pût porter dignement un nom si extraordinaire, il lui départit toute la
plénitude de la science et des dons célestes que la piété chrétienne peut et
doit présumer. Je ne m'arrête point à raconter ce qui m'a été déclaré des
excellences de saint Joseph, parce qu'il faudrait m'étendre au delà des bornes
que m'assigne le plan de cette histoire.
413. Mais si ce fut une
preuve de la magnanimité du glorieux saint Joseph , et une marque
très-évidente de sa sainteté éminente, de ne pas mourir par suite de la
jalousie qu'il eut de sa très-chère épouse, c'est encore un sujet plus digne
d'admiration, de ne le voir pas suffoquer de la joie inespérée dont son âme
fut inondée au moment où toutes ses craintes furent dissipées Dans le premier
fait on découvrit sa sainteté, mais dans le second il reçut un, tel surcroît
de grâces et de dons du Seigneur, que si sa divine Majesté ne lui eût dilaté
le coeur, il eût été incapable de les recevoir et de résister à l'enivrement
des consolations spirituelles. Tout son être fut renouvelé et éclairé, pour
devenir digne de converser avec celle qui était Mère de Dieu aussi bien que
son épouse, et pour dispenser de concert avec elle les choses qui regardaient
l'incarnation
234
et l'entretenement
du Verbe humanisé, comme je le dirai dans la suite. Et afin qu'il fdt plus
apte à sa mission, et qu'il comprit mieux les obligations qu'il avait de
servir sa divine épouse, il lui fut manifesté que tousses dons et bienfaits
qu'il avait reçus de la main du Très-Haut, lui avaient été départis par elle
et pour elle : ceux qui lui furent faits avant que d'être son époux, parce que
le Seigneur l'avait choisi pour cette dignité; et ceux qu'il recevait alors,
parce qu'elle les lui avait obtenus et mérités. Il connut aussi l'incomparable
prudence qui avait réglé ses rapports avec lui, non-seulement quand elle
l'avait servi avec une obéissance si inviolable et avec une humilité si
profonde, mais quand elle l'avait consolé dans son affliction, en lui
procurant la grâce et le secours du Saint-Esprit, et qu'elle avait dissimulé
avec une très-grande discrétion tout ce qui se passait dans son âme; enfin,
quand ensuite elle l'avait calmé, pacifié et animé des dispositions
nécessaires pour bien recevoir les influences de l'Esprit divin. Et comme
notre grande Reine avait été l'instrument dont Dieu s'était servi pour
sanctifier le petit Baptiste et sa mère sainte Élisabeth, de même,elle
fut l'organe par lequel saint Joseph reçut la plénitude de grâce avec une bien
plus grande abondance. Le très-heureux époux comprit tout cela, et il y
répondit comme un très-fidèle et très-reconnaissant serviteur.
414. Les saints
évangélistes n'ont fait aucune mention de ces grands mystères ni de beaucoup
d'antres qui arrimèrent à notre Reine et il son saint époux
235
Joseph, non-seulement parée que ces deux incomparables modèles d'humilité les
conservèrent toujours dans leurs coeurs sans les communiquer à personne, mais
aussi parce qu'il n'était pas nécessaire d'insérer ces merveilles dans la vie
de notre Seigneur Jésus-Christ qu'ils ont écrite, afin que par sa foi la
nouvelle Eglise et la loi de grâce s'étendissent; outre que la connaissance
aurait pu n'en être pas utile à la gentilité au commencement de sa conversion.
La Providence, toujours admirable dans ses secrets et impénétrables jugements,
se réserva de tirer de ses trésors ces choses qui sont à la fois nouvelles et
anciennes (1), au moment marqué comme le plus propre par sa divine sagesse,
lorsque l'Église avant déjà été fondée et la foi catholique établie, les
fidèles auraient besoin de l'appui et de l'intercession de leur puissante
Reine et Protectrice, afin qu'après avoir appris par une nouvelle lumière
quelle mère tendre, quelle avocate zélée ils ont en elle dans le ciel auprès
de son très-saint Fils, à qui le Père a donné la puissance de juger (2), ils
eussent recours à elle dans leurs nécessités comme à l'unique et sûr refuge
des pécheurs. Pour savoir si l'Église est arrivée à cette triste époque, il ne
faut qu'observer ses larmes et ses tribulations, puisqu'elles n'ont jamais été
plus grandes qu'à présent, où ses propres enfants nourris clans son sein sont
ceux qui l'affligent, la déchirent et dissipent les trésors du sang de son
Époux (3), avec plus
(1) Matth, XIII, 52. — (2) Joan., V, 27. — (3) Hebr., X, 29.
236
de
cruauté que ses ennemis les plus acharnés. Or à quoi songent les plus fidèles,
les plus catholiques et les plus constants enfants dè cette Mère désolée,
quand tant de misères se font sentir, quand le sang répandit de leurs frères,
et surtout le sang de notre souverain Pontife Jésus-Christ (1), profané sous
divers prétextes de justice, crie vengeance jusqu'au ciel? Pourquoi
gardent-ils ce silence? Comment n'invoquent-ils pas, n'appellent-ils pas à
haute voix l'auguste Marie? Comment, dans leur détresse, ne font-ils pas
violence à son coeur par leurs prières? On ne doit pas être surpris si le
remède tarde, puisque nous négligeons de le chercher et de reconnaître cette
divine Dame pour véritablement Mère de Dieu lui-même. J'avoue que cette Cité
mystique renferme de magnifiques mystères (2), et que nous ne pouvons les
annoncer que par une foi vive et constante. Ils sont tels, que la connaissance
complète n'en sera accordée qu'après la résurrection générale, époque où les
saints les connaîtront en Dieu. Mais en attendant, les âmes pieuses et fidèles
doivent admirer la bonté de cette très-aimable et très-amoureuse Reine, qui a
bien voulu se servir d'un aussi vil instrument que moi pour leur en révéler
quelques-uns; et mes faiblesses et oies lâchetés sont si grandes, qu'il n'y a
que le commandement maintes fois réitéré de la Mère de la charité qui puisse
encourager mes efforts.
(1) Hebr., XII, 24. — (2) Ps., LXXXVI, 2.
237
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
415. Ma fille, c'est dans
le désir que je vous 'exprime de vous voir orner votre vie sur le miroir de la
mienne, et régler fidèlement toute votre conduite sur mes actions, que je vous
découvre dans cette histoire non-seulement les mystères que vous
rapportez , mais tant d'autres que vous ne pouvez
faire connaître parce qu'ils doivent tous demeurer gravés dans le plus intime
de votre coeur. Ainsi, pour m'acquitter de l'office de maîtresse; je vous
renouvelle le souvenir de la leçon qui vous doit apprendre la science de la
vie éternelle. Soyez prompte à exécuter ce qui vous est ordonné, comme une
obéissante et diligente disciple. Que l'humble empressement de mon époux
Joseph, sa docilité et l'estime qu'il fit de la lumière et de la doctrine
divine, vous servent maintenant d'exemple. Considérez que le Très-Haut voulant
trouver son coeur préparé et bien disposé à accomplir avec zèle sa très-sainte
volonté, le changea et le réforma entièrement par cette plénitude de grâce
dont il avait besoin pour le ministère auquel sa divine Majesté le destinait.
Or faites en sorte que la connaissance de vos péchés serve à vous humilier
avec soumission, et non pas à empêcher le Seigneur, sous prétexte de votre peu
de mérite, de se servir de vous en ce qu'il voudra.
416. Je veux à cette
occasion vous manifester les
238
justes
plaintes et le courroux du Très-Haut contre les mortels, afin que par la
divine lumière vous en compreniez mieux la raison à la vue de l'humilité et de
la douceur que j'eus envers mon époux Joseph. Ces plaintes du Seigneur, que
j'exprime aussi de mon côté, sont fondées sur la monstrueuse perversité qui
porte les hommes à se traiter sans charité et sans humilité; et eu cela
concourent trois péchés qui détournent beaucoup le Très-Haut et moi d'user de
miséricorde envers eux. Le premier est, que les hommes, sachant qu'ils sont
tous enfants d'un Père qui est aux cieux (1), ouvrage de ses mains, formés
d'une même nature, entretenus par ses largesses, vivifiés par sa providence
(2), et nourris à une même table de ses divins mystères et de ses augustes
sacrements, et spécialement du propre corps et du sang précieux de
Jésus-Christ, ne laissent pas d'oublier et de ravaler toutes ces choses à la
vue du moindre intérêt temporel : comme si cela suffisait pour leur faire
perdre la raison, ils se troublent, s'échauffent, se livrent à la discorde, à
la rancune, aux trahisons et aux murmures, et parfois i1 des vengeances
inhumaines et à de mortelles inimitiés les uns contre les autres. Le second
est, que si, surpris par la fragilité d'une nature immortifiée et par la
tentation du démon, ils tombent dans quelqu'une de ces fautes, ils ne tâchent
pas aussitôt de rien relever et de se réconcilier entre eux, comme des frères
qui vivent
(1) Act., XVII, 26. — (2) Matth., VI, 45, etc.; Ps. CXXVII, 3.
239
sous les
yeux. du juste Juge; su lieu d'avoir en Dieu un
Père plein de clémence, ils ne demandent qu'un juge sévère et rigoureux de
leurs péchés (1), puisque la haine et la vengeance sont ce qui irrite le plus
sa justice. Le troisième qui excite toute son indignation e•t , que parfois
quand quelqu'un veut se réconcilier avec son frère , celui qui se croit
offensé le rejette et exige une satisfaction plus ample que celle qu'il sait
être capable de satisfaire le Seigneur, et même que celle dont il veut
lui-même se servir pour apaiser sa divine Majesté (2); car tous veulent que,
contrits et humiliés, ce Dieu qu'ils ont bien plus grièvement offensé les
reçoive dans ses bras et leur pardonne; et cependant eux qui ne sont que
cendre et poussière prétendent se venger de leur frère, et ne se' donnent
point pour satisfaits de ce dont le souverain Maître se contente pour leur
pardonner.
117. De tous les péchés que
les enfants de l'Église commettent, il n'en est point de plus abominables que
ceux-là aux yeux du Très-Haut; c'est ce que lui-même vous a fait connaître par
la force qu'il a donnée aux prescriptions de sa divine loi, en ordonnant à
l'homme de pardonner à son frère, quand même il pêcherait contre lui
soixante-dix fois sept fois (3), et les offenses dussent-elles se renouveler
chaque jour, il suffit, dit le Seigneur, que le coupable exprime son repentir
pour que le frère offensé lui pardonne autant de fois, sans en limiter le
nombre (4) ; et il réserve un
(1) Matth., XVIII, 35. — (2) Ibid., 32 et 33. — (3)
Ibid., 22. — (4) Luc., XVII, 4.
240
châtiment
effroyable à celui qui, manquera à cette obligation, parce qu'il scandalise
les autres, comme on le peut inférer de la menace faite par le Seigneur
lui-même. « Malheur, dit-il, à celui par qui le scandale arrive (1) !
il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât une
meule de moulin au cou, et qu'on le jetât au fond de la mer (2), » n
signifiant par là combien la réparation de ces péchés est difficile, puisque
celui qui ils aurait commis serait en un aussi grand danger que ce malheureux
qui tomberait dans la mer avec une si lourde masse attachée au cou. Il marqué
aussi la punition que le scandaleux subira dans l'abîme des peines éternelles;
et c'est pour cela que les fidèles suivront un salutaire conseil, s'ils aiment
mieux s'arracher les yeux, et se couper les mains (3), puisque mon très saint
Fils a parlé en ces termes, plutôt que de scandaliser les petits par ces
péchés ;
418. O ma très-chère fille!
avec combien de larmes de sang devez-vous pleurer
la laideur et les dommages de ce péché ! C'est- lui qui attriste le
Saint-esprit (4), qui donne de superbes triomphes au démon, qui change les,créatures
raisonnables en monstres, et qui efface en elles l'image de leur Père céleste.
Quoi de plus étrange, de plus vilain et de plus horrible que de voir un homme
de terre, destiné à la corruption et aux vers, s'élever contre un de ses
semblables avec tant de furie et d'orgueil (5) ?
(1) Matth., XVIII, 7. — (2) Luc., XVII, 2. — (3) Matth., XVIII, 8 et 9 — (4)
Ephes., IV, 80. — (5) Matth., V.
241
Vous
ne trouverez point d'expressions assez fortes pour inspirer aux mortels toute
l'horreur que mérite une pareille méchanceté, et pour leur persuader de se
garder de la colère du Seigneur (1). Quant à vous, ma fille, préservez votre
coeur de ce malheur déplorable, et gravez-y profondément les leçons si
salutaires que je vous recommande de suivre. Et n'allez pas croire qu'il
puisse n'y avoir qu'une faute légère à offenser et à scandaliser son prochain,
car tous ces péchés sont grands en la présence de Dieu. Mettez une forte garde
à votre bouche, à toutes vos puissances et à tous vos sens (2), pour observer
exactement la charité envers les ouvrages du Très-Haut. Donnez cette
satisfaction à celle qui veut que vous acquériez dans une vertu si excellente
la haute perfection dont je vous fais à vous une obligation rigoureuse, de ne
penser, de ne dire et de ne faire jamais rien qui puisse offenser votre
prochain, ni de permettre, pour quelque raison que ce soit, que vos
inférieures, ni même aucune autre personne, si cela peut dépendre de vous, le
fassent en votre présence. Faites de sérieuses réflexions, ma très-chère
fille, sur ce que je vous demande, parce que vous y trouverez la science la
plus divine et la moins connue des mortels. Que mon humilité et ma douceur
servent de remède à vos passions et d'exemple qui vous anime; regardez-les
comme un effet de l'amour sincère que je portais, non-seulement à mon époux,
mais à tous
(1) Matth., III, 7. — (2) Ps. CXL, 3 et 4.
242
les
enfants de mon Seigneur et de mon Père céleste, parce que je savais à quel
haut prix ils ont été achetés et rachetés (1). Apprenez à vos religieuses avec
vérité, fidélité et charité, que, bien que tous ceux qui n'accomplissent pas
ce commandement que mon Fils appela sien et nouveau, offensent grièvement sa
divine Majesté, son indignation est sans comparaison plus grande contre les
religieux qui le transgressent. Tandis qu'ils sont plus strictement obligés de
se montrer les enfants parfaits du l'ère (2) qui leur a enseigné cette vertu,
il s'en trouve beaucoup qui la détruisent, comme les mondains, mais en se
rendant bien plus odieux aux yeux du Seigneur.
CHAPITRE V. Saint Joseph prend la résolution de servir en tout la sainte
Vierge avec un très-grand respect. — Ce que fit notre auguste Reine, et
plusieurs autres détails relatifs à leur manière d'agir entre eux.
419. Le très-fidèle époux
Joseph ayant appris la dignité de son épouse, l'auguste Marie, et le mystère
de l'incarnation , conçut une si haute estime pour
(1) 1 Petr., I, 18; I Cor., VI, 20. — (2) Joan., IV, 12, 13, 34;
Matth., V, 48.
243
elle,
qu'il en devint un nouvel homme, quoiqu'il eût toujours été très-saint et
très-parfait : de sorte qu'il résolut de changer de.
manières et de redoubler sa vénération envers notre divine Dame, comme
je le dirai dans la suite. Cela était conforme à la sagesse du saint et dû à
l'excellence de son épouse, puisqu'il était serviteur, et elle Maîtresse de
l'univers, ainsi que la divine lumière le montra à saint Joseph. Or, pour
satisfaire le désir qu'il avait d'honorer Celle qu'il reconnaissait pour Mère
de Dieu, quand se trouvant seul avec elle il lui parlait, ou passait devant
elle, il pliait le genou, et il ne voulait pas souffrir qu'elle le servit, ni
qu'elle se mêlât du ménage, ni qu'elle s'occupât à d'autres humbles offices,
comme à balayer la maison, à laver la vaisselle, et à d'autres choses
semblables, parce que le bienheureux époux les voulait toutes faire lui-même,
pour ne pas déroger à la dignité de notre Reine.
420. Mais la divine Dame,
qui était la plus humble d'entre les humbles, et qui ne pouvait être surpassée
en humilité, disposa les choses de façon à toujours remporter la palme de
toutes les vertus. Elle pria saint Joseph de ne lui point rendre cet honneur,
que de plier le genou en sa présence, lui alléguant que, bien que cette
vénération fût due au Seigneur qu'elle portait dans sou sein, néanmoins,
pendant qu il y restait et qu'il ne se manifestait point, on ne pouvait
distinguer dans cette action la personne de Jésus-Christ de la sienne. C'est
pourquoi le saint s'accommoda aux désirs de la Reine du ciel, ne rendant ce
244
culte au
Seigneur, qu'elle avait dans son sein virginal, et à elle comme à sa Mère, et
toujours dans une juste proportion, que lorsqu'elle ne s'en apercevait pas.
Ils eurent d'humbles disputes touchant plusieurs autres actions et sur la
pratique des oeuvres serviles. Car saint Joseph ne savait pas se résoudre à
consentir que notre aimable Maîtresse les fit; et
c'est pour cela qu'il tâchait de la prévenir. Elle en agissait de même de son
côté, faisant tout son possible pour le devancer. Mais comme le saint avait le
temps de vaquer à une foule de petits soins pendant qu'elle était retirée dans
son oratoire, il frustrait les désirs continuels qu'elle avait de travailler
comme la servante chargée de s'acquitter de toute la besogne de sa maison.
Notre divine Dame, trompée dans ses calculs, adressa ses humbles plaintes au
Seigneur, et le pria d'obliger effectivement son époux à ne point l'empêcher
d'exercer l'humilité autant qu'elle le désirait. Et, comme cette vertu est si
puissante au tribunal divin, où elle a toujours ses entrées libres, il n'est
point de prières inefficaces quand elle les accompagne, parce qu'elle suit
pour les élever, et pour incliner l'être immuable de Dieu à la clémence (1).
Le Seigneur exauça cette demande, et ordonna que l'ange gardien du bienheureux
époux lui parlât intérieurement et lui dit ce qui suit : « Ne frustrez point
les humbles désirs de Celle qui est au-dessus de toutes les créatures du ciel
et de la terre. En ce qui regarde les choses extérieures,
(1) Eccles., XXXV, 21.
245
permettez
qu'elle vous serve,, et conservez toujours dans votre intérieur un
souverain respect pour elle; et rendez en tout temps et en tout lieu le
culte que vous devez au Verbe humanisé, qui a voulu, comme sa divine
Mère, venir pour servir, et non pour être servi (1), afin d'enseigner au
monde la science de la vie et l'excellence de l'humilité (2). Vous
pouvez pourtant l'aider dans quelques détails, honorant toujours en elle
le Maître de l'univers. »
421. Par cette instruction
et ce commandement du Très-Haut, saint Joseph permit les humbles exercices de
notre divine Princesse; et ils eurent ainsi tous deux occasion d'offrir à Dieu
un sacrifice agréable de leur volonté, la très-pure Marie en pratiquant
toujours la plus profonde humilité et l'obéissance la plus fidèle envers son
époux dans tous les actes de vertu, qu'elle exerçait avec une perfection
sublime, sans en omettre aucun qui fût en son pouvoir, et saint Joseph en se
soumettant à l'ordre du Très-Haut avec une juste et sainte confusion qu'il
avait de se voir soigner et servir par Celle qu'il reconnaissait pour
Maîtresse de l'univers et Mère du Créateur. Le prudent saint se dédommageait
ainsi de ne pouvoir exercer l'humilité dans les autres actes qu'il cédait à
son épouse : en effet, cela l'humiliait davantage, l'obligeait de s'abîmer
dans le mépris de lui-même, et augmentait la crainte révérentielle avec
laquelle il regardait l'auguste Marie, et
(1) Matth., XX, 28. — (2) Matth., XI, 29.
en elle
le Seigneur qu'elle portait dans son très-chaste sein, où il l'adorait et lui
rendait honneur et gloire. Quelquefois l'Enfant-Dieu humanisé se manifestait à
lui d'une manière admirable, en récompense de sa sainteté et de sa crainte
respectueuse, ou pour lui eu donner un plus grand motif; il le voyait dans le
sein de sa très-pure Mère comme à travers un cristal lumineux. Notre
incomparable Reine s'entretenait plus familièrement avec son bienheureux époux
des mystères de l'incarnation, parce qu'elle ne mettait plus la même réserve
dans ses discours, depuis que le saint avait été informé des secrets divins de
l'union hypostatique des deux natures divine et humaine dans le sein virginal
de son épouse.
422. Il n'est aucune langue
humaine qui puisse exprimer les entretiens célestes que la sainte Vierge et
son bienheureux époux avaient ensemble. J'en dirai pourtant quelque chose,
comme je saurai , dans les chapitres suivants. Mais
qui pourra raconter les effets que causait dans le très-doux et très-dévot
coeur de ce saint, non-seulement de se voir l'époux de Celle qui était la
véritable Mère de son Créateur, mais aussi de recevoir ses services comme si
elle eut é!é une simple servante, tandis qu'il la considérait élevée en
sainteté et en dignité au-dessus de tous les séraphins; et inférieure à Dieu
seul? Et si la droite du Tout-Puissant enrichit de tant de bénédictions la
maison et la personne d'Obédédom pour avoir gardé quelques mois sous sa tente
l'arche figurative de l'ancien
247
Testament (1), de quelles
bénédictions ne devait-elle pas combler saint Joseph, à qui sa divine Majesté
avait confié l'Arche véritable et le Législateur même qui y était renfermé! Le
bonheur et la fidélité de ce saint furent incomparables, non-seulement parce
qu'il avait dans sa maison l'Arche vivante. et
véritable du nouveau Testament, l'autel, le sacrifice et le temple, car tout
cela lui fut confié, mais parce qu'il le garda dignement, comme un serviteur
prudent et fidèle (2). Aussi le même Seigneur le constitua-t-il sur sa
famille, afin qu'il en eût sain pendant le temps convenable, comme un
très-fidèle dispensateur. Que toutes les nations le reconnaissent, le
hérissent et publient ses louanges (3), puisque le Très-Haut n'a tait à
l'endroit d'aucune ce qu'il fît envers ce glorieux saint. Pour moi, qui ne
suis qu'un petit vermisseau, à la vue de mystères si augustes, j'exalte de
toutes mes forces le Seigneur non Dieu, et, malgré mon indignité, je confesse
et proclame qu'il est saint, juste, miséricordieux, sage et admirable dans la
disposition de toutes ses grandes oeuvres.
423. La pauvre mais
heureuse maison de Joseph ne consistait guère qu'en trois chambres, où les
deux saints époux faisaient leur plus ordinaire demeure, car ils n'eurent ni
serviteur ni servante. Saint Joseph dormait dans l'une; il travaillait dans
l'autre, et y tenait les outils de son métier de charpentier : et la troisième
était habituellement occupée par la Reine
(1) I Paral., XIII, 14. — (2) Matth., XXIV, 45.
— (3) Ps. CXLVII, 20.
248
du ciel,
qui y couchait dans un petit lit que le saint avait fait : ils prirent ces
arrangements dès le commencement de leur mariage et de leur installation dans
la maison. Le saint époux allait rarement voir son auguste épouse et maîtresse
avant qu'il eût appris sa dignité, parce qu'il vaquait à son travail pendant
qu'elle demeurait dans sa retraite, à moins que quelque
;affaire, pressante ne l'obligeât de la consulter. Mais après qu'il eut
découvert la cause de son bonheur, le saint,homme se montrait,beaucoup plus
assidu ; et, pour renouveler sa consolation, il allait très-souvent visiter
notre auguste Princesse dans sa petite chambre, ,et lui faire offre de ses
services. Il ne l'abordait pourtant, jamais qu'avec une extrême humilité et
une crainte respectueuse, et avant de lui adresser la parole il observait en
silence à quoi elle s'occupait; maintes fois il la voyait ravie en extase,
élevée de terre et entourée d'une lumière éblouissante : d'autres fois il la
trouvait en compagnie de ses anges, avec lesquels elle avait de divins
entretiens, et souvent prosternée les bras en croix et conversant avec le
Seigneur. Le très-heureux époux eut part à toutes ces faveurs. Mais, quand
notre divine Dame était dans cet état où dans ces occupations, il n'osait que
la regarder avec un très-profond respect : et il méritait d'ouïr quelquefois
la très-douce harmonie du concert céleste que les Anges donnaient à leur
Reine, et de respirer une odeur de parfums exquis qui le fortifiait et le
remplissait entièrement de joie et de consolation spirituelle.
249
424. Les deux saints époux
vivaient seuls dans leur maison, n'y ayant, comme je l'ai dit, aucun
serviteur, non-seulement à cause de leur profonde humilité, mais aussi parce
qu'il était convenable qu'il n'y eût point de témoins de tant de merveilles
sensibles qui se passaient entre eux, et dont ceux du dehors ne devaient avoir
aucune connaissance. La Princesse du ciel ne sortait pas non plus de sa
maison, si ce n'est qu'elle y fût obligée par quelque occasion pressante qui
regardait le service de Dieu et le bien du prochain ; car, s'ils avaient
besoin de quelque chose du dehors , cette heureuse
femme qui servit saint Joseph, ai-je déjà dit, pendant que la sainte Vierge
séjourna chez Zacharie, prenait le soin de le leur porter. Et elle reçut une
si bonne récompense de ses services, que non-seulement elle fut sainte et
parfaite, mais que toute sa famille ressentit les favorables effets de la
protection de la Reine de l'univers, qui veilla sur elle d'une manière
spéciale, et s'empressa même, comme voisine, de soigner cette femme dans
plusieurs maladies, et la combla enfin, elle et tous ceux de sa maison, des
bénédictions du ciel.
425. Saint Joseph ne vit
jamais dormir sa très-sainte épouse, il ne sut pas même par expérience si elle
dormait, quoiqu'il la priât souvent de prendre quelque repos, surtout au temps
de sa divine grossesse. Le lieu où elle le prenait était le petit lit que j'ai
dit avoir été fait des mains de saint Joseph lui-même; il était couvert de
deux couvertures entre lesquelles
250
elle se
mettait pour se livrer quelques instants à un saint sommeil. Son vêtement de
dessous était une tunique ou chemise de toile
semblable au coton, d'un tissu plus doux que les simples étoffes ordinaires.
Elle ne quitta jamais cette tunique après qu'elle fut sortie du Temple. Elle
la conserva toujours sans qu'elle s'usât ni se salit, et sans qu'aucune
personne la vit. Saint Joseph lui-même ne sut point si elle la portait, parce
qu'il ne vit que l'habillement extérieur que tout le monde pouvait voir. Cet
habillement était de couleur de cendre, comme je l'ai dit; et la grande Reine
du ciel ne changeait quelquefois que celui-là, et les voiles dont elle se
servait pour se couvrir la tète; ce n'était pas qu'ils fussent salis, mais
c'était pour empêcher qu'on ne s'aperçût, comme ils étaient visibles à tous,
qu'elle les conservait toujours dans le même état. Car elle ne salit jamais
rien de ce qu'elle portait sur son corps si pur et si virginal, parce qu'elle
ne suait point, et qu'elle n'était pas sujette aux incommodités que souffrent
les autres enfants d'Adam dans leurs corps souillés par le péché. Il semblait
que son extrême pureté contribuât à donner à ses ouvrages manuels quelque
chose de plus propre et de plus achevé. Elle s'occupait avec le même soin des
habits et clos autres effets nécessaires à son époux. Elle s'astreignait dans
ses repas à une petite ration qu'elle prenait tous les jours avec saint
Joseph; mais elle ne mangea jamais de viande, quoique le saint en mangeât , et
qu'elle-même la lui apprêtât Elle se nourrissait de fruit, de poisson, de
251
pain
ordinaire et de quelques herbes cuites; mais c'était avec poids et mesure ,
n'en prenant que ce qu'il fallait absolument pour soutenir la nature et pour
entretenir la chaleur vitale, sans s'accorder jamais un superflu qui aurait pu
l'exposer au danger de l'intempérance ; elle observait la même sobriété dans
son boire, quoique ses actes de ferveur lui causassent une certaine chaleur
plus que naturelle. Elle suivit toujours la même règle dans ees repas quant à
la quantité, bien qu'elle les modifiât quant à la qualité, selon les diverses
circonstances où elle se trouva dans le cours de sa très-sainte vie, comme je
le dirai plus loin.
426. La très-pure Marie fut
en toutes choses d'une perfection consommée, sans qu'il lui manquât aucune
grâce, et cette perfection qu'elle possédait dans toute la plénitude possible,
caractérisait toutes ses actions tant naturelles que surnaturelles. La grâce
ne manque qu'à mes paroles pour expliquer ces merveilles, car je n'en saurais
jamais être satisfaite, voyant combien elles sont au-dessous de ce que je
connais, et beaucoup plus par conséquent au-dessous de ce qu'un objet si
sublime renferme en lui-même. Mon insuffisance me jette dans des appréhensions
continuelles, et je me plains toujours de la faiblesse de mes termes. Je
crains d'être plus hardie que je ne dois en poursuivant ce qui est si
au-dessus de mes forces; mais celles de l'obéissance m'emportent avec je ne
sais quelle douce violence qui anime ma timidité, excite mon peu de courage,
et me fait regarder avec quelque
252
consolation
la grandeur de l'ouvrage ét la bassesse de mon langage. J'agis par obéissance,
et c'est dans cette voie que tant de biens me viennent à la rencontre. Ceci me
servira d'excuse.
Instruction de la Reine du ciel.
Ma fille, je veux que vous
soyez fort exacte ee fort diligente en l'école de l'humilité, comme vous
l'enseigneront tous les événements qui se sont passés dans ma vie; vous en
devez faire le premier et le dernier de vos soins, si vous voulez vous
préparer aux caresses du Seigneur, vous assurer ses faveurs et jouir des
trésors de la lumière cachée aux superbes (1); parce qu'aucune créature ne
saurait recevoir de si grandes richesses, si elle ne peut présenter l'humilité
comme un fidèle garant. Je veux que tous vos efforts ne tendent qu'à vous
humilier toujours de plus en plus dans votre propre estime , comme dans celle
des autres et dans les actions extérieures, prenant bien garde à ce que vous
faites, pour n'agir que suivant l'opinion que vous devez concevoir de
vous-même. Ce vous doit être une instruction et un sujet de confusion, aussi
bien qu'à toutes les âmes qui ont le Seigneur pour Père et pour
Époux , de voir que la présomption et
(1) Matth., XI, 25.
263
l'orgueil
ont plus de pouvoir sur les enfants de la sagesse humaine que l'humilité et la
véritable science n'en ont sur les enfants de lumière. Considérez les
empressements, le zèle, l'activité infatigables des hommes ambitieux et
superbes. Observez leurs démarches pour parvenir dans le monde, leurs
prétentions insatiables quoique vaines, comme ils agissent selon ce qu'ils
présument faussement d'eux-mêmes, comme ils s'estiment ce qu'ils ne sont pas,
et tout en n'étant pas ce qu'ils se flattent d'être, ils n'en travaillent pas
moins à acquérir les biens qu'ils ne méritent pas, quoiqu'ils ne soient que
terrestres et périssables. Or ce sera une très-grande honte et un
très-sensible affront pour les élus, de voir que le, mensonge a plus de
pouvoir sur les enfants de perdition que la vérité n'en a sur eux (1), et que
le nombre de gens su mondé qui veulent, au service du Dieu leur Créateur,
rivaliser avec ceux qui servent la vanité, soit si restreint, qu'encore que
tous soient appelés, il n'y a que peu d'élus (2).
428. Tàchez donc, ma fille,
d'acquérir cette science, et d'y gagner la palme sur les enfants de ténèbres;
et pour vous opposer à leur orgueil, remarquez ce que j'ai fait pour le
vaincre dans le monde par l'industrie de l'humilité. Le Seigneur veut, et moi
aussi, que vous en appreniez tous les secrets et toute la sagesse. Ne perdez
jamais l'occasion de pratiquer les choses humbles, ne permettez pas non plus
que personne
(1) Luc., XVI, 8. — (2) Matth., XX, 16.
254
vous les
enlève, et si les occasions de vous humilier vous manquent ou se présentent
trop rarement, cherchez-les, et demandez à Dieu qu'il vous les donne; car sa
divine Majesté se plait à voir cette sollicitude et cette ardeur pour ce qui
lui est si agréable. Quand ce ne serait que pour cette seule complaisance,
volts devriez, en qualité de fille de sa maison et d'épouse, montrer le plus
vif empressement à répondre à ses désirs ; et afin que vous appreniez encore
de l'ambition humaine à ne pas être ici négligente, remarquez les Fatigues
qu'une femme économe s'impose pour accroître les biens et arrondir la fortune
de sa famille; elle ne laisse aucune occasion de bénéfice ; rien ne lui
colite, et si elle perd la moindre bagatelle, on croirait quelle va défaillir
de douleur. Voilà ce qu'enseigne la cupidité mondaine, et il n'est pas juste
que la sagesse du ciel soit plus stérile à cause de la négligence de ceux qui
la possèdent. Ainsi je veux que l'on ne trouve en vous ni paresse, ni lenteur,
ni oubli, en une affaire qui vous importe si grandement; je veux que vous ne
perdiez aucune occasion de vous humilier, et de travailler à la gloire du
Seigneur; il faut au contraire que vous les recherchiez toutes, et que vous
vous en prévaliez comme une fille et une épouse très-fidèle, afin que, suivant
votre désir, vous trouviez grâce devant le Seigneur et devant moi.
(1) Luc., IV, 8.
CHAPITRE VI. Quelques entretiens de l'auguste Marie et de saint Joseph sur les
choses divines, et quelques autres événements admirables.
429. Avant que saint Joseph
frit informé du mystère de l'incarnation, la Princesse du ciel avait coutume
de lui faire, aux moments les plus convenables, la lecture des saintes
Écritures, surtout des psaumes de David et des autres prophéties; elle les lui
expliquait comme une très-sage maîtresse, et le saint époux, qui était aussi
capable de cette sagesse, lui adressait une foule de questions; et les divines
ré. panses que son épouse lui faisait le
pénétraient à la fois d'admiration et de consolation; de sorte que torts deux
louaient et bénissaient tour à tour le Seigneur. Mais après que l'ineffable
secret eut été révélé au bienheureux époux, notre pleine lui parlait comme à
celui qui était choisi pour être le coadjuteur des rouvres et des mystères
admirables de notre rédemption; ainsi ils scrutaient et commentaient plus
clairement dans leurs entretiens tontes les prophéties et les oracles divins
qui concernaient la conception du Verbe par une mère vierge, sa naissance, son
éducation et sa très-sainte vie. Notre auguste Maîtresse expliquait
266
tout,
et ils discouraient sur ce qu'ils devraient faire quand arriverait le jour si
désiré auquel l'enfant naîtrait, qu'elle l'aurait entre ses bras, qu'elle le
nourrirait de son lait virginal, et qu'entre tous les mortels le saint époux
participerait à ce bonheur souverain. C'était sur la mort et sur la passion,
et sur ce qu'Isaïe et Jérémie en ont écrit (1), qu'elle s'étendait le moins,
'parce que la très-prudente Reine ne voulait point affliger son époux, qui
était d'un naturel fort sensible, en lui en donnant une plus grande
connaissance que celle qu'il pouvait avoir puisée dans les conférences
auxquelles se livraient les anciens sur la venue du Messie et sur ce qui lui
devait arriver. La très-prudente Vierge voulait aussi attendre que le Seigneur
parlât à son serviteur, ou qu'il lui déclarât à elle-même sa sainte volonté.
430. Le très-fidèle et
très-heureux époux s'enflammait d'amour au milieu de ces doux entretiens, et,
versant des larmes de joie, il disait à sa divine épouse : « Est-il bien
possible, illustre Dame, que je voie mon Dieu et mon Rédempteur entre vos
très-chastes bras? Que je l'y adore? Que j'entende sa douce voix? Que je
le touche? Que mes yeux voient sa divine face? Que je puisse consacrer
la sueur de mon front à son service et à son entretien? Qu'il demeure
avec nous? Que nous mangions à sa table? Que nous parlions
et conversions avec lui? D'où me viendra ce bonheur, que personne n'a jamais
pu mériter?
257
Oh !
combien je regrette d'être si pauvre ! Que n'ai-je
de riches palais pour le recevoir, et beaucoup de trésors
à fui offrir ! » Alors notre auguste Reine lui répondait : « Mon époux
et mon maître , il est juste que votre tendre sollicitude embrasse autant que
possible tout ce qui peut regarder le service de votre Créateur; mais ce grand
Dieu notre Seigneur ne veut point venir au monde par la voie des richesses,
d'une pompe et d'une majesté temporelles : car il n'a besoin d'aucune de ces
choses-là (1), et ce n'est pas pour elles qu'il descendra du ciel sur la
terre. Il ne vient que pour remédier aux désordres du monde, et acheminer les
hommes dans les droits sentiers de la vie éternelle (2); et cela se doit faire
par le moyen de l'humilité et de la pauvreté; il y veut naître, vivre et
mourir pour bannir de leur coeur cet orgueil , ces
convoitises grossières qui s'opposent à leur félicité. C'est pourquoi
il a choisi notre humble et pauvre maison, et ne veut pas que nous soyons
riches des biens apparents; trompeurs et passagers, qui ne sont que vanité et
affliction d'esprit (3), qui appesantissent et obscurcissent
l'entendement, et l'empêchent de connaître et de pénétrer la véritable lumière. »
431. Le saint priait
souvent la sainte Vierge de lui enseigner la nature et l'essence des vertus,
surtout de l'amour de Dieu, pour savoir comment i1 devait se comporter envers
le Très-Haut humanisé, et pour
(1) Ps. XV, 2. — (2) Joan., X, 10. — (3) Eccles., I, 14.
258
n'être
point rejeté comme serviteur inutile et incapable de le servir. La Reine et la
maîtresse des vertus condescendait à ces demandes, et détaillait à son époux
leurs propriétés et la manière de les pratiquer dans toute la plénitude de la
perfection. Néanmoins elle se comportait dans ses instructions avec une
discrétion si rare et une humilité si profonde, qu'elle ne paraissait point
maîtresse de son époux, quoiqu'elle le fût de toutes les créatures : au
contraire, elle les donnait en forme d'entretiens, ou en parlant avec le
Seigneur, et quelquefois eu interrogeant elle-même le saint et en l'éclairant
par ses questions. Ainsi elle mettait toujours à l'abri son incomparable
humilité, sans qu'on eût pu trouver en notre très-prudente Dame la moindre
apparence qui lui fût contraire. Quand le saint était forcé de se livrer au
travail corporel, ils l'accompagnaient soit de ces entretiens, soit de la
lecture des livres sacrés. Et, quoique la compassion que notre très aimable
Dame lui témoignait, avec une réservé admirable de le voir se fatiguer au
travail, eût pu le soulager, elle ajoutait à ce soulagement la doctrine
céleste, que l'heureux époux écoutait avec une attention telle, qu'il
travaillait plus avec les vertus qu'avec les mains. Ainsi la très-douce
colombe le soutenait par cette divine nourriture, avec la prudence de la
vierge la plus sage, lui montrant les fruits salutaires qu'on peut tirer des
occupations matérielles. Et comme elle se croyait indigne d'être entretenue
par le labeur de son époux, elle ne cessait de s'humilier en considérant ce
dont elle était redevable
259
aux
sueurs de saint Joseph, et qu'elle recevait comme une grande aumône et une
pure faveur. — Elle s'en croyait autant obligée que si elle eût été la plus
inutile de toutes les créatures. Et, bien qu'elle ne pût pas aider le saint
dans les ouvrages de son métier, parce qu'il ne s'accordait point avec la
faiblesse de son sexe, et beaucoup moins avec la modestie et la dignité de
notre divine Reine, néanmoins elle le servait comme une simple servante en
tout ce qui n'était point incompatible avec cette modestie; et il est certain
que son très-humble et très-noble coeur n'aurait pu s'empêcher de témoigner en
cela la reconnaissance qu'elle croyait devoir à saint Joseph.
432. Entre plusieurs choses
sensibles et miraculeuses que saint Joseph vit dans le temps qu'il demeura
avec l'auguste Marie, il arriva un jour, pendant sa grossesse, qui un grand
nombre d'oiseaux de différentes espèces vinrent récréer la Reine et Maîtresse
des créatures, et, voltigeant autour d'elle comme pour lui faire un choeur de
musique, ils se mirent à chanter avec une admirable mélodie, comme ils avaient
fait, autrefois; et leurs chants étaient toujours miraculeux, aussi bien que
leurs visites à notre divine Dame. Saint Joseph n'avait pas encore vu cette
merveille; et, en étant ravi d'admiration de joie, il dit à sa très-sainte
épouse : « Est-i1 possible, illustre Dame, que les créatures irraisonnables
s'acquittent mieux de leurs obligations que moi ? Il est juste que si elles
vous a reconnaissent , vous servent et vous
honorent en ce qu'elles peuvent, vous me permettiez de m'acquitter
260
ce que
je vous dois en justice. » Mais la très-prudente Vierge lui répondit : « Mon
époux et mon maître, le Créateur de l'univers nous donne en ce que ces petits
oiseaux font un motif efficace pour que nous, qui le connaissons, fassions
tous nos efforts pour employer dignement toutes nos forces et toutes nos
puissances à sa louange, comme eux, qui viennent le reconnaître dans mon sein
: pour moi, je ne suis qu'une simple créature; l'honneur ne m'est point dû,
ainsi il n'est pas juste que je le reçoive ; mais je dois tâcher de porter
toutes les créatures à louer le Très-Haut de ce qu'il a regardé sa servante,
et qu'il m'a enrichie par les trésors de sa divinité (1).
633. II arrivait aussi
souvent que notre divine Dame et son saint époux se trouvassent dépourvus du
nécessaire, parce qu'ils étaient très-libéraux envers les pauvres, et qu'ils
ne partageaient point les soucis des enfants de ce siècle, pour s'occuper
d'avance de leurs besoins avec les précautions et les inquiétudes d'une
convoitise méfiante (2). Le Seigneur ne voulait point que la foi et la
patience de sa très-sainte Mère et de saint Joseph fussent oisives. L'auguste
Marie trouvait d'ailleurs dans ce dénuement une consolation ineffable,
non-seulement à cause de la pauvreté, mais aussi à cause de sa prodigieuse
humilité, qui la portait à se croire indigne des aliments nécessaires à la
vie; il lui semblait qu'il était très-juste qu'elle seule
(1) Luc, 1, 48. — (5) Matth., VI, 25.
261
en fût
privée comme celle qui ne les méritait pas : et en faisant cette confession
elle bénissait le Seigneur dans sa pauvreté, et se bornait à demander au
Très-Haut de pourvoir aux besoins de sou époux , qu'elle estimait seul digne
de cette grâce, comme saint et juste, et de lui donner le secours qu'il
attendait de sa main libérale. Le Tout-Puissant n'oubliait pas ses pauvres
dans leur détresse (1) : car en leur ménageant l'occasion d'augmenter leur
mérite et d'exercer les vertus, il leur accordait aussi leur nourriture dans
le temps le, plus propre (2). C'est et que sa divine Providence disposait par
des voies différentes. Quelquefois elle inspirait à leurs voisins et à ceux
qui les connaissaient, de les secourir de quelque honnête présent. Le plus
souvent sainte Élisabeth leur envoyait des provisions de sa maison; car après
le séjour qu'y fit la Reine du ciel, la très-dévote cousine ne négligea jamais
de les assister de temps en temps de quelques-uns de ses bienfaits, auxquels
l'humble Princesse répondait toujours en lui offrant des ouvrages de ses
mains. Notre aimable Maîtresse usait aussi en certaines circonstances qu'elle
jugeait convenable, à la plus grande gloire du Très-Haut, du pouvoir qu'elle
avait sur toutes les créatures; ainsi elle commandait aux oiseaux de lui
apporter des poissons ou des fruits, et ils lui obéissaient sur-le-champ :
quelquefois même ils lui apportaient dans leur bec du pain qu'ils avaient pris
à l'endroit désigné par le Seigneur. Et le bienheureux époux était maintes
fois témoin de tout cela.
(1) Ps. LXXIII, 22 — (2) CXLIV, 16.
262
434. En d'autres
circonstances, ils étaient aussi secourus d'une manière admirable par le
ministère des saints anges; et avant que de raconter un des nombreux miracles
qui arrivèrent par leur moyen à l'auguste Marie et à son époux, il faut
admettre que la noblesse de cœur, la foi et la libéralité du saint étaient si
grandes, que son âme ne put jamais être atteinte de la moindre apparence
d'avarice ni de souci de l'avenir. Et, bien qu'ils s'appliquassent tous deux
au travail, ils ne demandaient jamais et ne voulaient même pas fixer le prix
de leurs ouvrages; car les faisant non par intérêt, mais par obéissance, et
pour exercer la charité envers ceux qui en avaient besoin, ils s'en
rapportaient à eux pour la rémunération; et ce qu'ils en recevaient, ils
l'acceptaient comme une aumône gratuite plutôt due comme le paiement d'un
salaire. Telle était la sainteté et telle la perfection que saint Joseph
apprenait à récole du ciel, qu'il avait dans sa maison. Et comme avec un
pareil système, il arrivait qu'on ne récompensait pas leur travail, ils se
trouvaient bien souvent dans une si grande nécessité, qu'ils n'avaient rien à
manger à l'heure du repas, jusqu'à ce que Dieu y pourvût. Il arriva donc un
jour que l'heure ordinaire étant passée, ils se trouvèrent sans aucune
nourriture; et pendant qu'ils prolongeaient très-tard leur oraison pour
remercier le Seigneur de cette affliction, en attendant qu'il
ouvrit sa main toute-puissante (1), les saints
anges leur préparèrent
263
à
manger, leur couvrirent la table, et ils y mirent quelques fruits, du pain
très-délicat et des poissons, et surtout une espèce de conserve d'un goût
exquis et d'une vertu admirable. Bientôt ces esprits bienheureux appelèrent,
les uns leur Reine, et les autres saint Joseph, qui, étant sortis de leur
retraite, reconnurent le bienfait qu'ils recevaient du ciel, et en rendirent,
avec des larmes de joie et de ferveur, des actions de grâces au Très-Haut;
puis ils mangèrent, et après le repas ils lui adressèrent de sublimes
cantiques de louanges.
435. L'auguste Marie et son
époux étaient fort accoutumés à beaucoup d'autres merveilles de cette nature;
car comme ils étaient seuls, sans qu'il y eût dans leur maison des témoins à
qui il fallût les cacher, le Seigneur eu était très-libéral envers eux, qu'il
avait établis les dispensateurs du plus grand prodige que son puissant bras
eût jamais opéré. Il faut ici remarquer que, quand je dis que notre divine
Dame entonnait des cantiques de louanges, ou seule, ou avec saint Joseph, ou
avec les anges, on doit toujours entendre qu'ils étaient nouveaux, comme ceux
que firent Anne, mère de Samuel, Moïse, Ézéchias et plusieurs autres prophètes
(1), après avoir reçu quelque grand bienfait de la main du Seigneur. Et si
l'on eût écrit ceux que la Reine du ciel composa, on en aurait pu faire un
gros volume que le monde admirerait d'une manière inexprimable.
(1) I Reg., II, 1; Deut., XXXII, 1; Exod., XV, 2; Isa., XII, XXXVIII, 10.
265
Instruction que notre divine Maîtresse me donna.
436. Ma très-aimée fille,
je veux que. la science du Seigneur se renouvelle
sans cesse en vous et qu'elle devienne éloquente dans votre bouche, afin que
vous connaissiez et que vous fassiez. connaître aux
mortels les dangereuses illusions où les plonge l'amour du mensonge, et les
jugements erronés qu'il leur fait porter sur les choses temporelles et
sensibles (1). Qui est-ce parmi les hommes qui n'échappe
à l'universelle fascination d'une cupidité sans bornes (2)? Ils placent
communément leur confiance en l'or et en leurs biens temporels (3), et ils
consacrent à les accroître tous les. efforts dont
sont capables les forces humaines, de sorte qu'ils usent dans un vain labeur
la vie et le temps qui leur ont été donnés pour mériter la félicité et le
repos éternel. Et ils s'enfoncent dans le labyrinthe de cette activité
inquiète, comme s'ils ne connaissaient point Dieu ni sa divine Providence;
parce qu'ils oublient de lui demander ce qu'ils désirent, et même ils ne le
souhaitent pas d'une manière qui les porte à le lui demander, et à l'attendre
de sa main libérale. Ainsi ils perdent tout, parce qu'ils cherchent tout avec
une fausse prévoyance dans le mensonge et dans les illusions où ils se
flattent de trouver la réalisation
(1) Ps., IV, 3. — (2) Sap., IV, 12. — (3) Baruch., III, 17, 18.
265
de leurs
désirs terrestres (1). Cette cupidité aveugle est la racine de tous les maux
(2); car pour punir; le Seigneur, indigné d'une telle perversité, permet que
les mortels s'abandonnent à la servitude honteuse de l'avarice, et que leur
entendement s'y obscurcisse (3), que leur volonté s'y endurcisse de plus en
plus. Et bientôt, pour aggraver le châtiment, le Très-Haut en détourne ses
regards comme d'objets odieux, et leur refuse sa protection paternelle:
dernier malheur qui puisse arriver dans la vie humaine!
437. Il est vrai que
personne ne peut se dérober à la vue du Seigneur (4), mais quand les
transgresseurs et les ennemis de sa loi provoquent sa colère, il en éloigne de
telle sorte ses regards. favorables et les
attentions de sa providence, qu'il les laisse tomber sous la tyrannie de leurs
propres désirs (5). Dès lors ils n'éprouvent plus les effets de la sollicitude
paternelle avec laquelle le Seigneur s'occupe de ceux qui mettent toute leur
confiance en lui. Ceux qui la mettent en leur propre habileté et dans les
trésors qu'ils palpent et qu'ils comptent, recueillent le fruit de ce qu'ils
espéraient (6). Mais autant l'Être divin et son pouvoir infini sont distants
de la bassesse et de l'impuissance des mortels, autant les effets de la
cupidité humaine sont éloignés de ceux de la providence du Très-Haut, qui se
constitue l'appui et le protecteur des humbles qui se confient en lui; car sa
divine Majesté les
(1) Ps. XLVIII, 7. — (2) I Tim., VI, 10. — (3) Ps. XLVIII, 13. — (4) Ps. CXXXVIII, 6, etc. — (5) Ps. LXXX, 11. — (6) Ps. XLVIII, 6.
266
regarde
avec amour et les caresse, elle se plait avec eux, elle les porte dans son
sein, elle est attentive à tous leurs désirs et à toutes leurs peines (1).
Nous étions, mon saint époux Joseph et moi, fort pauvres, et nous nous
trouvions souvent dans des nécessités pressantes; aucune néanmoins ne put
introduire dans nos coeurs le poison de l'avarice et de la cupidité. Nous ne
cherchions que la gloire du Très-Haut, nous abandonnant pour le reste aux
soins de son très-fidèle amour. Et il se complut singulièrement, dans cet
abandon, comme vous venez de l'apprendre et de l'écrire, puisqu'il secourait
notre pauvreté de tant de diverses manières, jusqu'à commander aux esprits
angéliques qui forment sa cour, de nous pourvoir et. de
bous préparer à manger.
438. Je ne veux pas dire
par là que les hommes doivent se laisser aller à l'oisiveté et à la
négligence; au contraire il est juste qu'ils travaillent tous, et l'inaction
est aussi un vice fort blâmable. Mais il faut éviter l'excès dans le repos
comme dans les affaires; la créature ne doit pas mettre sa confiance en sa
propre industrie (2), il ne faut pas que celle-ci étouffe ni empêche l'amour
divin (3); on doit se contenter du nécessaire (4), et être persuadé que la
providence du Créateur ne manquera pas d'y pourvoir : que s’il tarde
quelquefois d'envoyer son secours, on ne doit ni s'affliger ni se décourager
(5). Celui qui est dans l'abondance
(1) Ps. XVII, 21; XXXII, 18; XC, 15. — (2) Ps.
XLVIII, 7. — (3) Luc., VIII,
14. — (4) Prov., XXX, 8. — (5) Eccles., II, 11.
267
ne doit
pas non plus compter sur elle (1), et se livrer à l'oisiveté, oubliant qu'il
est homme sujet à la peine du travail (2). Ainsi il faut attribuer à Dieu
l'abondance aussi bien que la pauvreté (3), pour en user saintement et à la
gloire du Créateur et Conservateur de l'univers. Si les hommes se conduisaient
par cette science, l'assistance du Seigneur, qui est le Père véritable, ne
manquerait à aucun, et la nécessité ne serait pas au pauvre ni la prospérité
au riche une pierre d'achoppement et de scandale. Pour vous, ma fille, je veux
que vous mettiez cette doctrine en pratique; et, bien qu'en vous l'enseignant
je l'enseigne à tous , vous devez particulièrement l'inculquer à vos
inférieures, afin qu'elles ne se troublent ni ne se découragent dans les
nécessités qu'elles endureront, et qu'elles ne prennent des soucis désordonnés
touchant leur nourriture et leur vêtement (4), mais au contraire qu'elles se
confient dans le Très-Haut et s'abandonnent à sa providence; car si elles
répondent à son amour, je les assure que ce dont elles auront besoin ne leur
manquera jamais. Avertissez-les aussi de s'entretenir toujours de choses
saintes et divines (5), qui soient à la louange et à la gloire du Seigneur,
selon la doctrine de ses docteurs, de ses Écritures et des saints livres, afin
que leur conversation soit dans le ciel (6) avec le Tout-Puissant, avec moi,
qui suis leur Mère et leur Supérieure, et avec les esprits angéliques, qui
elles doivent imiter en l'amour.
(1) Eccles., XXXI, 8. — (2) Job., V, 7. — (3) Eccles., XI, 14. — (4) Matth.,
VI, 25. — (5) I Petr., I, 15. — (6) Philip., III, 20.
268
CHAPITRE VII. La très-pure Marie prépare les langes de l’enfant-Dieu avec un
très-ardent désir de le voir bientôt naître.
439. La divine grossesse de
la Mère du Verbe éternel la très-pure Marie était déjà fort avancée, et pour
agir en tout avec la plénitude de la prudence céleste, quoiqu'elle sût qu'il
fallait indispensablement préparer les langes, et les autres choses
nécessaires pour l'enfantement si désiré, elle ne voulut rien entreprendre
sans la volonté et sans l'ordre du Seigneur, et de son saint époux, afin de
remplir en tout les devoirs d'une très obéissante et très-fidèle servante.
Elle eût pu se déterminer d'elle-même en ce qui regardait uniquement l'office
de mère, et de mère seule de, son très-saint fils, à la formation duquel
aucune autre créature n'avait pris part; elle ne le fit pourtant pas, mais
elle consulta son saint époux Joseph, et lui dit : «Cher Seigneur, il
est temps de disposer les choses nécessaires pour la naissance de mon
très-saint Fils. Et quoique sa divine Majesté veuille être traitée comme
les enfants des hommes, en s'abaissant à souffrir les peines qu'ils ont
méritées, il n'en est pas moins juste que nous témoignions, en le
servant et en
269
entourant
son enfance de tous les soins possibles, que nous le reconnaissons pour
notre Dieu, notre Roi et notre Seigneur véritable. Si vous le permettez, je
commencerai à préparer les langes pour le recevoir. J'ai une toile de lin
filée de ma main, qui servira pour les premiers; vous, digne époux, ayez
soin, je vous prie, de chercher pour les autres une étoffe de
laine bien souple, bien douce et d'une couleur foncée; car dans la suite
je lui ferai une tunique sans couture , mais
tissue, qui lui conviendra. Et afin que nous réussissions en tout,
faisons une prière particulière, et demandons à sa divine Majesté de
nous gouverner, de nous conduire et de nous manifester sa très-sainte
volonté, de manière que nous agissions selon ce qui lui sera le plus
agréable. »
440. « Épouse vénérée,
répondit saint Joseph, s'il m'était possible de donner le plus pur
sang de mon coeur pour témoigner mon zèle à mon Seigneur et à mon Dieu, et
pour faire ce que vous commandez, je m'estimerais fort heureux de le
verger au milieu des tourments les plus atroces; à défaut de quoi je voudrais
avoir de grandes richesses et des brocards à vous offrir dans cette cira
constance. Décidez ce qui sera convenable, car je veux vous obéir en tout
comme votre serviteur. » Ils se mirent en oraison, et le Très-Haut leur
répondit à chacun en particulier par une même voix, en renouvelant la science
et les instructions que notre auguste Princesse avait déjà reçues plusieurs
fois, car sa divine Majesté répéta à la très-pure Marie
210
et à son
saint époux Joseph : « Je suis descendu du ciel sur la terre pour élever
l'humilité et abaisser l'orgueil, pour honorer la pauvreté et mépriser
les richesses, pour détruire la vanité , établir la vérité, et faire
comprendre la valeur des peines de la vie. C'est pourquoi je veux qu'à
l'extérieur vous me traitiez en l'humanité dont je me suis revêtu, comme si
j'étais votre commun enfant; et intérieurement vous me reconnaîtrez pour Fils
de mon Père éternel et Dieu véritable, avec la vénération et l'amour qui
me sont dus comme Homme Dieu. »
441. L'auguste Marie et
Joseph ayant été confirmés par cette voix divine en la sagesse avec laquelle
ils devaient agir dans les soins qu'ils prendraient de l'Enfant-Dieu ,
résolurent de l'honorer, comme le véritable Être infini, du culte le plus
élevé et le plue parfait que l'on ait jamais vu entre les liures créatures, et
de le traiter en même temps aux yeux du monde connue s'il était leur commun
enfant, puisque les hommes le regarderaient comme tel, et dise telle était la
volonté dit Seigneur lui-même. Ils exécutèrent celte résolution et ce
commandement d'une manière si accomplie, que le ciel en fut dans l'admiration.
Je m'étendrai davantage sur ce sujet dans la suite. ils
convinrent aussi que dans leur humble sphère et leur pauvre condition, il
fallait qu'ils rendissent tous leurs services à l'Enfant-Dieu, sans faire
autant que possible ni trop ni peu, afin que le secret du grand Roi fût caché
sous le voile de l'humble
271
pauvreté
(1), et que l'ardent amour qu'ils lui portaient ne fût point frustré des
témoignages qu'ils pourraient lui donner. Ensuite saint Joseph ayant reçu le
paiement de quelques-uns de ses ouvrages, alla acheter deux pièces de laine,
comme sa divine épouse lui avait dit, l'une blanche et l'autre qui
s'approchait plus du violet que du gris: et ce fut la meilleure étoffe qu'il
pût trouver. Notre divine Reine en coupa des langes pour son très-saint Fils,
et de la toile qu'elle avait filée et tissue elle fit les petites chemises et
les bandes du maillot propres à l'envelopper. Cette toile était fort fine,
digne des mains qui l'avaient fabriquée; elle la commença dès le jour qu'elle
entra dans sa maison avec saint Joseph, se proposant d'aller l'offrir an
Temple. Et quoique ce bon désir n'eût fait place qu'à un meilleur, elle porta
néanmoins au saint Temple de Jérusalem l'offrande de ce qui en resta après
qu'elle eut achevé les petites hardes de l'Enfant-Dieu. La sainte Vierge les
fit, les cousit , les arrangea toutes de ses
propres mains, se tenant toujours à genoux , et avec des larmes d'une dévotion
sans égale. Saint Joseph prépara toutes les fleurs et herbes aromatiques qu'il
put trouver, et d'autres ingrédients; dont la différente Mère fit une eau de
senteur plus exquise que les parfums angéliques. Et après en avoir arrosé les
langes consacrés à l'Hostie (2) et su sacrifice qu'elle attendait, elle les
plia et les mit soigneusement dans un coffre , dans
lequel
(1) Tob., XII, 7. — (2) Ephes., V, 2.
272
elle les
emporta plus tard à Bethléem, comme je le dirai en son lieu.
442. On ne doit pas
considérer toutes ces oeuvres de la Princesse du ciel à travers la lettre
morte de mon récit; on ne doit pas les peser ainsi dépouillées de leur mérite,
mais richement parées de leur beauté spirituelle ,
et remplies au delà de toute mesure de la plus haute perfection que,
l'entendement humain puisse concevoir ; car, Mère de la sagesse, Mère et Reine
de toutes les vertus, elle traitait avec magnificece tous les ouvrages de la
sagesse divine (1). Elle offrait, le sacrifice de la nouvelle dédicace (2) et
du Temple du Dieu vivant en la très-sainte humanité de.
son Fils, qui devait bientôt naître. Elle connaissait, mieux que tout
le reste des créatures la hauteur incompréhensible du mystère de l'incarnation
et,de la venue de Dieu sur la terre; et elle
redisait plusieurs fois,, non par incrédulité, mais par admiration, avec un
ardent amour et une profonde vénération, ce que Salomon disait en bâtissant le
Temple : « Quoi, sera-t-il possible que Dieu habite avec les hommes sur
la terre? Si tout le ciel et les cieux des cieux ne sont pas assez spacieux
pour le recevoir, combien moins le sera cette habitation de l'humanité qui a
été construite dans mon sein (3) ! » Mais si ce Temple, qui n'était que le
trône où Dieu s'asseyait pour y entendre les prières qu'on lui adressait, fut
bâti et dédié avec tant d'éclat et une telle profusion d'or,
(1) Ps. XCV, 6. — (2) II Machab., II, 9 . — (3) II
Paral., VI, 18.
273
d'argent,
de trésors et de sacrifices (1), que ne devait pas faire la Mère du véritable
Salomon dans la construction et la dédicace du Temple vivant où habitait
corporellement, dans toute la plénitude de son essence, le Dieu éternel et
infini (2) ! Tout ce que figuraient ces sacrifices et ces trésors innombrables
prodigués dans le Temple matériel, (auguste Marie l'accomplit, non en
entassant l'or, l'argent et les étoffes précieuses (car alors Dieu ne
demandait plus ces offrandes), mais en multipliant les actes des vertus les
plus héroïques, et en accumulant les richesses de la grâce et des dons du
Très-Haut, dont la possession lui inspirait mille hymnes de louange. Elle
offrait des holocaustes qu'elle tirait de son coeur tout embrasé du divin
amour; elle prenait des Écritures saintes les hymnes, les psaumes et les
cantiques, qu'elle appliquait à ce mystère, en y ajoutant plusieurs autres.
Elle réalisait véritablement, quoique d'une manière mystique, les figures
anciennes, par l'exercice des vertus, et par tous ses actes intérieurs et
extérieurs. Elle appelait et conviait toutes les créatures à louer Dieu, à
rendre honneur et gloire à leur Créateur, à attendre Celui qui les devait
sanctifier par sa venue. Et saint Joseph, le plus fortuné des époux, l'imitait
en plusieurs de ces oeuvres.
443. Aucune langue, aucune
intelligence humaine ou créée ne saurait exprimer les sublimes mérites que la
Princesse du ciel acquérait par ces actes et ces exercices,
(1) III Reg., VI, VII et VIII. — (2) Colos., II, 9.
274
ni la
grande complaisance que le Seigneur y prenait. Si le moindre degré de grâce
qu'une créature, telle qti elle soit, reçoit par un acte de vertu qu'elle
exerce, vaut plus que tout l'univers, qui pourra estimer la valeur de la grâce
que recevait Celle qui ne surpassa pas seulement les anciens
sacrifices , les offrandes , les holocaustes et
tous les mérites des hommes, mais nième ceux des plus hauts séraphins,
auxquels elle était si supérieure? Les affections amoureuses que notre divine
Dame formait dans l'attente de son Fils et de son Dieu, quelle aspirait à
recevoir entre ses bras, à nourrir de sou propre lait, à entretenir, à
soigner, à servir, et qu'elle adorait fait homme de sa propre chair et de sou
sang, étaient si ardentes, qu'elle se serait consumée dans ce très-doux
embrasement d'amour si elle n'eût pas été fortifiée par un secours miraculeux.
Et elle aurait perdu plusieurs fois la vie, si son très-saint Fils ne la lui
eût conservée; car elle le regardait d'ordinaire dans son sein virginal, et
par la lumière divine elle voyait son humanité unie à la divinité, tous les
actes intérieurs de son âme très-sainte, son adorable corps, les prières qu’il
faisait pour elle, pour saint Joseph, pour tout le genre humain, et
particulièrement pour les prédestinés. Elle connaissait tous ces mystères et
beaucoup d'autres; et, renfermant dans son sein le feu brûlant qui éclaire
sans consumer (1), elle s'enflammait de plus en plus du désir de l'imiter et
de le louer.
(1) Exod., III, 2.
275
444. Abîmée dans cet
incendie du divin amour, elle disait quelquefois à son très-saint Fils : «
Mon doux bien-aimé, Créateur de l'univers, quand est-ce que mes yeux jouiront
de la lumière de votre divine face? Quand mes bras consacrés deviendront-ils
l'autel de l'hostie que votre Père éternel attend? Quand baiserai je, comme
votre servante, la terre qu'auront foulée vos pieds sacrés? Quand
obtiendrai-je comme Mère le baiser que mon âme désire, afin de participer par
votre divin souffle à votre propre esprit (1)? Lumière inaccessible que vous
êtes, Dieu véritable de Dieu véritable, lumière de la lumière (2), quand vous
manifesterez-vous aux mortels, après tant de siècles qui vous ont cachée à
notre vue (3)? Quand est-ce que les enfants d'Adam, esclaves par leurs
péchés, connaîtront leur Rédempteur, verront leur salut, et trouveront parmi
eux leur Naître, leur frère et leur père véritable (4)? O lumière et vertu de
mon âme! mon bien-aimé pour qui je vis en mourant!
Enfant de mes entrailles, comment fera-t-elle l'office de Mère, celle qui ne
sait pas faire celui de servante et qui n'en mérite pas le titre? Comment vous
pourrai-je traiter dignement, moi qui ne suis qu'un pauvre ver de terre?
Comment vous servirai-je, vous qui êtes la sainteté même et la bonté infinie,
moi qui ne suis que cendre et poussière? Comment oserai-je parler
(1) Cant., I, 1, etc. — (2) Joan., I, 9. — (3) Baruch., III, 38. — (4) I Tim., III, 16; Isa., LII, 10; XXX, 20.
276
en votre
présence, et paraître devant votre divine Majesté? Maître de tout ce que
je suis, qui m'avez choisie, malgré ma petitesse, parmi les autres
filles d'Adam, gouvernez mes actions, dirigez mes désirs et
enflammez mes affections, afin que je fasse en tout ce qui vous sera le
plus agréable. Que ferai-je, mon souverain bien, si vous sortez de mon
sein pour souffrir des affronts et mourir pour le genre humain, si
je ne meurs avec vous et si je ne vous accompagne au sacrifice,
vous qui êtes mon être et ma vie? Faites, Seigneur, que ma vie empêche
la cause qui doit vous ravir la vôtre, puisqu'elles sont si
étroitement unies. Il n'est pas nécessaire que vous mouriez pour
racheter le monde et des milliers de monde : laissez-moi donc mourir pour vous
et endurer vos ignominies, et contentez-vous de sanctifier le monde et
de dissiper les ténèbres des mortels par votre amour et par votre
lumière. Et s'il n'est pas possible de révoquer le décret du Père
éternel, afin que la rédemption soit abondante (1) et que votre extrême
charité soit satisfaite (2), agréez mes affections, et faites que j'aie
part à tous les travaux de votre vie, puisque vous êtes et mon
Fils et mon Seigneur. »
445. La variété de ces
affections et de plusieurs autres actes intérieurs rendait la Reine du ciel
très-agréable et très-belle aux yeux du Prince des éternités (3), qui reposait
dans son sein virginal. Et elle les
(1) Ps. CXXIX, 7. — (2) Ephes., II, 4. — (9) Esther., II, 9.
277
subordonnait toutes aux actions de cette très-sainte humanité déifiée; car la digne
Mère ne cessait de les observer pour les imiter. Il arrivait souvent que l'Enfant-Dieu
se mettait à genoux dans ce sanctuaire pour prier le Père: quelquefois il y
étendait les bras comme voulant s'essayer à la croix. De là (comme il le fait
maintenant du suprême trône du ciel) il regardait et connaissait par la
science de son âme très-sainte tout ce qu'il connaît à cette heure, sans que
pût lui être cachée aucune créature présente, passée, ni future, avec toutes
ses pensées et tous ses mouvements; et il veillait sur toutes en qualité de
Maître et de Rédempteur. Et comme sa divine Mère découvrait tous ces mystères,
et que pour répondre à cette science elle était remplie de grâce et de dons
célestes, elle agissait toujours avec une si haute plénitude de sainteté et de
perfection, que l'éloquence humaine n'a point de paroles pour l’expliquer.
Mais si notre jugement n'est perverti, et si notre coeur n'est devenu aussi
dur et insensible qu'un rocher, il est impossible qu'à la vue et, pour ainsi
dire, su contact de tant de choses qui ne sont pas moins salutaires
qu'admirables, notre âme ne soit pénétrée d'une douleur amoureuse et d'une
humble reconnaissance.
278
Instruction que la sainte Vierge me donna.
446. Je veux, ma fille,
vous convaincre dans ce chapitre de la décence avec laquelle on doit traiter
toutes les choses consacrées au culte divin, et blâmer en même temps
l'irrévérence par laquelle les ministres du Seigneur eux-mêmes l'offensent
dans leur insouciance à cet égard. Qu'ils se gardent bien de mépriser ou
d'oublier la colère du Très-Haut, qu'ils s'attirent par la grossière
incivilité et par la lourde ingratitude avec lesquelles ils traitent les
ornements et les choses sacrées, qu'ils manient d'ordinaire sans la moindre
attention et sans le moindre respect. L'indignation de sa divine Majesté est
beaucoup plus grande contre ceux qui reçoivent les fruits et les gages de son
très-précieux sang, et les prodiguent pour de basses vanités ou pour des
choses profanes et plus repréhensibles encore. Ils recherchent pour leurs
délices et leurs commodités ce qui est le plus précieux et le plus estimable,
et réservent tout ce qu'il y a de plus grossier et de plus vil pour le culte
et l'honneur du Seigneur. Je veux que vous sachiez que quand cela arrive,
surtout à l'endroit des linges qui touchent le corps et le sang de mon
très-saint Fils, tels que les corporaux et les purificatoires, les anges, qui
assistent au très-éminent et très-redoutable sacrifice de la Messe,
détournent, comme saisis de confusion, leur vue de ces sortes de ministres, et
s'étonnent de ce que le Tout-Puissant
279
les
souffre et dissimule si longtemps leur témérité et leur manque de respect.
Sans doute tous les prêtres ne commettent pas cette faute, mais il y en a
pourtant beaucoup, et il s'en trouve à peine quelques-uns qui se distinguent
par leur zèle en ce qui concerne le culte divin, et qui traitent
extérieurement les choses sacrées avec la due révérence; encore en est-il
parmi ceux-ci qui n'agissent pas avec une intention droite et pour s'acquitter
de leur devoir, mais par vanité et pour d'autres fins humaines : de sorte que
ceux qui adorent purement et avec un coeur sincère le Créateur en esprit et en
vérité (1) sont fort rares.
447. Considérez, ma
très-chère fille, ce que nous pouvons sentir, nous qui sommes en la présence
de l’Être incompréhensible du Très-Haut, et qui savons que sa bonté immense a
créé les hommes, afin qu'ils l'adorassent et lui rendissent un juste culte, et
que c'est pour cela qu'il leur a laissé cette loi, fondée sur la nature même,
et qu'il leur a livré gratuitement tout le reste des créatures (2). Cependant
nous voyons avec quelle ingratitude ils répondent aux largesses de leur
Créateur, puisqu'ils lui disputent les mêmes choses qu'ils reçoivent de sa
main libérale; et s'ils en destinent quelques-unes à son honneur et à son
service, ce ne sont que les plus viles et les plus méprisables (3), réservant
pour leurs vanités les plus précieuses et les plus recherchées. On ne fait pas
réflexion
(1) Joan., IV, 24. — (2) Eccles., XVII, 3, 4, 7 et 8. — (3) Malach., I, 8.
280
sur ce
péché, qui n'est pas assez connu; ainsi je veux que non-seulement vous le
pleuriez avec une vive douleur, mais que vous le répariez autant qu'il vous
sera possible, pendant que vous serez supérieure. Donnez toujours le meilleur
au Seigneur, et recommandez à vos religieuses de s'occuper avec simplicité et
dévotion de l'arrangement et de la propreté des ornements sacrés, et d'en
faire non-seulement pour leur couvent, mais encore pour les églises pauvres
qui peuvent en manquer. Qu'elles soient bien sûres que le Seigneur leur
tiendra compte du zèle pieux qu'elles montreront pour le culte divin, qu'il
remédiera à leur pauvreté, et qu'il subviendra comme un père aux besoins du
monastère, qui ne s'appauvrira jamais par là. C'est l'office le plus propre et
le plus légitime des épouses de Jésus-Christ, et elles devraient y employer le
temps qui leur reste, après avoir assisté au choeur et satisfait aux autres
obligations de l'obéissance. Si toutes les religieuses se portaient avec
ardeur à ces occupations si honnêtes, si louables et si agréables à Dieu, il
ne leur manquerait jamais rien, et elles formeraient sur la terre un état
angélique et céleste. Et parce qu'elles refusent de s'appliquer à ce service
du Seigneur, il en est beaucoup qui, privées de l'appui de sa main, se
laissent aller à des légèretés et des distractions si dangereuses, qu'étant
abominables à mes yeux, je ne veux pas que vous les écriviez ni même que vous
y pensiez, si ce n'est pour les pleurer du plus profond de votre coeur, et
pour demander à Dieu la cessation de péchés qui l'offensent
281
et qui
l'irritent plus qu'on ne saurait se l'imaginer.
448. Mais parce que pour
des raisons particulières ma volonté penche à regarder avec amour les
religieuses de votre monastère, je veux que vous les engagiez et les excitiez
en mon nom et de ma part, avec une douce violence, à vivre toujours retirées
et mortes au monde par un oubli constant de tout ce qui s'y trouve; à n'avoir
de commerce que dans le ciel et avec les choses divines (1), et à conserver à
tout prix la paix et la charité inaltérables que vous leur recommandez si
souvent. Et si, m'obéissant sur ce point, elles tâchent de se maintenir en mes
bonnes grâces, je leur promets, avec ma protection continuelle, mon
intercession efficace auprès de mon très-saint Fils, et je me constitue leur
Mère et leur Bienfaitrice, comme je suis la vôtre. A cet effet vous leur
inspirerez toujours pour moi la dévotion spéciale et ,
l'amour qui doivent animer leur coeur; car si de leur côté elles sont fidèles,
elles obtiendront tout ce que vous souhaitez, outre les autres faveurs que je
leur ferai. Et afin qu'elles se portent avec un joyeux empressement aux choses
du culte divin, et qu'elles se chargent volontiers de tout ce qui le regarde,
rappelez-leur ce que je faisais pour le service de mon très-saint Fils et du
Temple. Je veux que vous sachiez que les anges admiraient le zèle, la
vigilante attention et la propreté avec laquelle je m'occupais de toutes les
(1) Philip., III, 20.
282
choses
qui devaient servir à mon Fils et Seigneur. C'est dans cette sollicitude aussi
tendre que respectueuse que je préparais tout ce qui était nécessaire pour son
entretien, sans qu'il me manquât jamais rien (comme certaines personnes le
pensent) pour le couvrir et pour le soigner : toute la suite de cette histoire
vous montrera qu'à cet égard la moindre négligence, la moindre inadvertance
étaient incompatibles avec ma prudence et avec mon amour.
CHAPITRE VIII. On publie l'édit de l'empereur Auguste-César, qui ordonnait le
dénombrement de tous les sujets de son empire, et ce que fit saint Joseph
quand il en eut connaissance.
449. Il était déterminé par
la volonté immuable du Très-Haut que le Fils unique du Père naquit en la ville
de Bethléem, et en vertu de ce divin décret, les anciens prophètes
l'annoncèrent longtemps avant qu'il arrivât (1), parce que la détermination de
la volonté absolue du Seigneur est toujours infaillible, et que le ciel et la
terre passeront avant qu'elle cesse de
(1) Mich., V, 2; Jerem., XXX, 9; Ezech., XXXIV, 22.
283
s’accomplir
(1), puisque personne ne lui peut résister (2). Le Seigneur prépara
l'exécution de ce décret immuable au moyen d'un édit que l'empereur
Auguste-César fit publier dans l'empire, et par lequel (comme le raconte saint
Luc) il ordonnait le dénombrement des habitants de toute la terre (3). Cet
empire s'étendait alors sur la plus grande partie du monde connu des Romains;
et c'est pourquoi ils s'appelaient les maîtres de l'univers, ne faisant pas
grand cas du reste. Ce dénombrement consistait à faire déclarer sujets de
l'empereur tous ceux qui s'y trouvaient, et à lui payer en même temps un
certain tribut, comme au maître naturel en ce qui regarde les choses
temporelles; et pour faire cette reconnaissance ,
chacun allait se faire inscrire sur le registre commun de sa propre ville (4).
Cet édit arriva à Nazareth et à la connaissance de saint Joseph : il retourna
chez lui tout affligé (car il était dehors lorsqu'il en ouit parler) et il
raconta à sa divine épouse cette nouveauté. Mais la très-prudente Vierge lui
répondit : « Il ne faut pas, cher époux, que l'édit de l'empereur do la
terre vous mette dans cette peine, puisque c'est le Maître et le Roi du
ciel et de l'univers qui règle tous les événements de notre vie; sa
providence nous assistera et nous guidera dans toute sorte
d'occasions. Abandonnons-nous avec confiance à sa conduite, nos
espérances ne seront point trompées (5). »
(1) Matth., XXIV, 88. — (2) Esth., XIII, 9. — (3) Luc.,
II, 1. — (4) Ibid. 8. — (5) Eccles., II.
284
450. La sainte Vierge était
versée dans tous les mystères de son très-saint Fils, elle savait de quelle
manière les prophéties s'accompliraient, et que le Fils unique du Père et le
sien devait naître à Bethléem, comme pauvre et étranger. Mais elle n'en
déclara rien à saint Joseph, parce que sans un ordre du Seigneur elle ne
voulait pas découvrir son secret. Tout ce qu'il ne lui était pas commandé de
dire, elle le taisait avec une discrétion admirable, nonobstant son désir de
consoler son très-fidèle époux Joseph , s'abandonnant sans réserve à la divine
conduite, et ne voulant point être prudente à ses propres yeux, contrairement
su conseil du Sage (1). Ensuite ils conférèrent sur ce qu'ils devaient faire,
parce que la grossesse de notre divine Dame étant fort avancée, le moment de
sa délivrance approchait, sur quoi saint Joseph lui dit : « Reine du ciel et
de la terre, il me semble que je ne saurais me dispenser, supposé que le Très
Haut ne vous ait pas ordonné quelque autre chose, d'aller exécuter cet édit de
l'empereur. Et quoiqu'il suffise d'y aller seul, la prescription ne
regardant que les chefs de famille, je n'oserais pas vous quitter ni
m'éloigner de votre service; je ne saurais d'ailleurs vivre sans votre
présence : si je vous laisse je n'aurai pas un moment de repos, et mon coeur
sera dans de continuelles alarmes. Je vois que vos divines couches sont fort
proches, et que je hasarderais trop de vous engager à venir
(1) Prov., III, 7.
285
avec moi
en notre ville de Bethléem, où nous devons accomplir les ordres de l'empereur;
ainsi je crains, tant pour cette raison qu'à cause de ma grande pauvreté, de
vous mettre dans un danger si évident. Si vos couches arrivaient dans le
voyage sans que j'eusse le moyen de subvenir à vos besoins, ce serait pour moi
un sujet d'une affliction mortelle. Ces pensées me désolent : je vous supplie,
illustre Dame, de les exposer su Très-Haut, et de le prier d'ouïr mes désirs,
qui consistent à ne point me séparer de votre compagnie. »
451. La très-humble épouse
obéit à ce que saint Joseph ordonnait; et, quoiqu'elle n'ignorât pas la
volonté divine, elle voulut pourtant profiter de cette occasion pour témoigner
son obéissance et sa soumission. Elle présenta su Seigneur la volonté et les
désirs de son très-fidèle époux; et sa divine Majesté lui répondit : « Ma
Bien-Aimée et ma Colombe, obéissez à mon serviteur Joseph en ce qu'il vous a
proposé et qu'il désire. Accompagnez-le dans le voyage : je serai
avec vous; je vous assisterai et vous protègerai avec un paternel amour dans
les fatigues et dans les tribulations que vous endurerez pour moi;
et, quelque grandes qu'elles doivent être, la puissance de mon bras vous
en fera sortir glorieusement. Vos pas seront beaux et agréables à mes
yeux (1) : ne craignez pas, ma Bien-Aimée, et marchez, car telle est ma
volonté. » Ensuite le Seigneur
(4) Cant., VII, 1.
286
fit, en
présence de la divine Mère, un nouveau commandement aux anges de sa garde de
la servir dans ce voyage avec un soin particulier, selon les solennels et
mystérieux événements qui l'attendaient. Outre les mille anges qui la
gardaient ordinairement, le Seigneur ordonna à neuf mille autres d'assister
leur Reine; de sorte que tous les dix mille ensemble furent chargés de
l'accompagner dès le jour qu'elle se mettrait en chemin. Ils obéirent tous,
comme de très-fidèles ministres du Seigneur, et ils la servirent comme je le
dirai dans la suite. Notre grande Reine fut renouvelée et élevée par une
lumière divine à la connaissance de nouveaux mystères, touchant les maux
qu'elle endurerait après la naissance de l'Enfant-Dieu par la persécution
d'Hérode (1) et plusieurs autres tribulations qui arriveraient. Prête à tout,
elle tint son coeur invincible dans la paix du Seigneur, et lui rendit mille
actions de grâces pour tout ce qu'il opérait et disposait en elle (2).
452. La Princesse du ciel
fit part de cette réponse à saint Joseph, et lui déclara que c'était la
volonté du Très-Haut qu'elle lui obéit et l'accompagnât dans son voyage de
Bethléem. Le saint époux en fut rempli d'une nouvelle joie; et, pour
reconnaître cette grande faveur que la main libérale du Seigneur lui faisait,
il lui en témoigna son humble gratitude. Et s'adressant ensuite à sa divine
épouse, il lui dit : « Chère Dame, a qui êtes la cause de ma joie et de ma
félicité, je ne
(1) Matth., II, 16. — (2) Ps., 2.
287
m'afflige
plus, dans ce voyage, qu'à la pensée des peines que vous y souffrirez, n'ayant
pas assez de ressources pour vous en délivrer ni pour vous mener avec la
commodité que je souhaiterais. Mais nous trouverons des amis et des parents à
Bethléem; j'espère qui ils nous recevront avec charité, et que vous pourrez
vous reposer chez eux de la fatigue de la route, s'il plaît au Très-Haut,
comme votre serviteur le désire. » Il est vrai que l'affection du saint époux
lui inspirait ces suppositions; mais il ignorait alors ce que le Seigneur
avait décidé; et parce qu'il fut trompé dans soit attente, il en conçut
ensuite une douleur d'autant plus amère, comme on le verra en son lieu. La
très-pure Marie ne déclara pas à Joseph ce qui elle prévoyait en Dieu touchant
le mystère de soit divin accouchement, quoiqu'elle sût que la chose ne se
passerait point comme il se le promettait; elle lui dit, au contraire, pour
l'encourager : « Mon époux et mon maître, je suis bien heureuse de voyager en
votre compagnie ; nous marcherons comme les pauvres gens, au nom du Très-Haut,
car sa divine Majesté ne méprise point cette même pauvreté quelle vient
chercher avec tant d'amour. Et, assurés de sa protection dans nos nécessités
et dans nos embarras, mettons en elle notre confiance (1). Il n'est point une
seule de vos inquiétudes, cher époux, que vous ne deviez rejeter sur la
Providence (2). »
(1) Ps. XVII, 31 — (2) Ps. LIV, 23.
288
453. Ils arrêtèrent ensuite
le jour de leur départ, et le saint époux s'empressa d'aller chercher par
Nazareth quelque monture pour porter la Maîtresse du monde: il lui fut
très-difficile d'en trouver une, à cause du grand nombre de personnes qui se
rendaient en de différentes villes pour y faire enregistrer leurs noms,
conformément à l'édit de l'empereur. Mais, à force de démarches et de peines,
il finit par trouver un petit âne, heureux, pourrions-nous dire, entre tous
les animaux irraisonnables, puisque non-seulement il porta la Reine de
l'univers, et avec elle le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, mais
même qu'il assista à la naissance de l'enfant, et rendit à son Créateur le
service que les hommes lui refusèrent (1), comme je le dirai plus loin. Ils
préparèrent le nécessaire pour le voyage, auquel ils employèrent cinq jours;
et la provision des divins voyageurs était il peu près la même que celle dont
ils se munirent lorsqu'ils allèrent chez Zacharie, comme je l'ai dit plus haut
au livre IIIe, chapitre XV, § 196, car ils n'emportaient que du pain, du fruit
et quelques poissons, dont ils faisaient leur plus ordinaire nourriture. Et
comme la très-prudente Vierge savait qu'elle demeurerait longtemps hors de sa
maison, elle ne se contenta point de prendre les langes et les autres effets
qu'elle avait disposés pour ses divines couches, mais elle régla secrètement
les choies de manière qu'elles tendissent toutes à l'accomplissement des fins
du Seigneur et des
(1) Isa., I, 3.
289
événements
qu'elle attendait; puis ils chargèrent une personne de soigner leur maison
jusqu'à leur retour.
454. L'heure de leur départ
arriva; et comme le très-heureux Joseph commençait de traiter avec un nouveau
respect sa divine épouse, il recherchait, comme un serviteur vigilant et
fidèle, les occasions de la servir et de lui plaire; dans ces empressements il
la pria avec les plus vives instances de l'avertir de tout ce qu'elle
désirait, et qu'il pourrait lui-même ne pas deviner, pour sa satisfaction,
pour son soulagement et pour le bon plaisir du Seigneur qu'elle portait dans
son sein virginal. Notre très-humble Reine agréa les saintes affections de son
époux; et, les rapportant à la gloire et au service, de son très-saint Fils,
elle le consola et l'exhorta à ne point se préoccuper des fatigues de la
route, en l'assurant de nouveau que sa divine Majesté regardait tous ses soins
avec complaisance, et qu'elle voulait qu'ils acceptassent avec un coeur égal
et joyeux les incommodités auxquelles leur pauvreté les exposerait dans le
voyage. Avant que de le commencer, la Princesse du ciel se
mit à genoux, et pria saint Joseph de lui donner sa bénédiction. Et
quoique l'homme de bien, considérant. la dignité de
son épouse, voulût à tout prix sen excuser, néanmoins l'humilité toujours
incomparable de l'auguste Marie vainquit ses résistances et l'obligea de la
lui donner. Saint Joseph le fit avec beaucoup de crainte et de vénération;
ensuite il se prosterna lui-même baigné. de larmes,
et la conjura de l'offrir de nouveau à son très-salut Fils, et de lui obtenir
le pardon
290
de ses
fautes et sa divine grâce. Après cette sainte préparation ils partirent pour
Bethléem au plus fort de l'hiver, ce qui rendait le voyage et plus pénible et
plus incommode. Mais la Mère de la vie qui la portait dans son sein, n'était
attentive qu'à ses divins effets, et qu'à ses intimes colloques avec son Fils;
elle ne cessait de le contempler dans ce saint Tabernacle, l'imitant en ses
couvres, lui rendant plus de gloire et lui étant plus agréable que tout le
reste des créatures ensemble.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
455. Ma fille, vous
découvrirez dans tout le cours de ma vie, et dans chacun des chapitres et des
mystères que vous avez écrits et due vous devez écrire, la divine et admirable
providence du Très-Haut et son amour paternel envers moi, sa très-humble
servante. Et quoique l'entendement humain ne soit ici digne de pénétrer ni
capable d'apprécier ces merveilles, qui partent d'une si haute sagesse, il
doit néanmoins faire tous ses efforts pour les
révérer et se disposer à suivre mon exemple, et à participer aux faveurs que
m'accorda le Seigneur. Car les mortels ne doivent pas s'imaginer que Dieu
n'ait voulu se montrer saint, puissant et infiniment bon, qu'eu moi et pour
moi ; il est certain que, si toutes les âmes s'abandonnaient
291
entièrement à sa disposition et à sa conduite, elles connaîtraient bientôt par
expérience cette fidélité, cette ponctualité et cette très-douce efficace avec
lesquelles sa divine Majesté disposait à mon égard toutes les choses qui
regardaient et sa gloire et sou service; elles éprouveraient aussi ces
délicieux effets et ces mouvements divins que je sentais par la soumission
cote j'avais à sa très-sainte volonté; enfin, toutes proportions gardées,
elles ne recevraient pas avec moins d'abondance ses dons, qui sont pour ainsi
dire retenus dans sa divinité , comme dans un océan infini. Et comme, si l'on
ouvrait à la masse des eaux de la mer une issue par laquelle elles pourraient
suivre leur libre cours, elles s'échapperaient avec une impétuosité
invincible, de même la grâce et les bienfaits du Seigneur se répandraient sur
les créatures raisonnables, si, loin de l'empêcher, elles en facilitaient
l'écoulement. Les mortels ignorent cette science, parce qu'ils ne prennent pas
le temps de penser et de réfléchir aux œuvres du Très-Haut.
456. Je
veux , ma fille, que vous les étudiiez et les graviez dans votre coeur,
et je veux aussi que vous appreniez de ce que je faisais à garder le secret de
votre intérieur, et à pratiquer une prompte obéissance et une humble
soumission envers tous, préférant toujours le sentiment d'autrui au vôtre. De
sorte que lorsque vos supérieurs et vos pères spirituels vous commanderont
quelque chose, vous leur devez obéir aveuglément, quand même vous sauriez que
le contraire de ce qu'ils prévoient va arriver; comme je savais
292
moi que
dans le voyage de Bethléem ne se réaliserait pas ce qu'espérait mon saint
époux Joseph. Et si c'est un inférieur ou un égal qui vous commande, exécutez
sans réplique tout ce qui ne sera point péché ou imperfection. Écoutez tout le
monde en silence et avec attention, afin de vous instruire. Vous serez fort
circonspecte dans vos paroles, car c'est en cela que consiste la prudence. Je
vous avertis aussi de nouveau de demander la bénédiction du Seigneur en tout
ce que vous ferez, afin que vous ne vous écartiez point de son bon plaisir. Et
s'il vous est possible, demandez-la également à votre Père spirituel; par
cette conduite, vous ne perdrez pas le grand mérite et la perfection de vos
différentes oeuvres, et vous me donnerez la
satisfaction que je désire devons.
CHAPITRE IX. Le voyage que la très-pure Marie fit de Nazareth à Bethleem, en
la compagnie de saint Joseph et des anges qui l'assistaient.
457. L'auguste Marie et le
glorieux saint Joseph partirent de Nazareth pour Bethléem , aussi seuls que
pauvres et humbles voyageurs aux yeux du monde, sans qu'on leur accordât une
plus grande estime que
293
celle
que l'humilité et la pauvreté peuvent obtenir. Mais, d’admirables secrets du
Très-Haut cachés aux superbes et impénétrables à la prudence de la chair (1) !
ils ne marchaient pas seuls, ni pauvres ni
méprisés; mais avec un cortége magnifique, des richesses inestimables et une
très-grande gloire. Ils étaient le plus digne objet du Père éternel et de son
amour immense, et le plus estimable à ses yeux. Ils portaient avec eux le
trésor du ciel et de la Divinité même (2). Toute la cour céleste les révérait.
Toutes les créatures insensibles reconnaissaient l'Arche vivante et véritable
du Testament, bien mieux que les eaux du Jourdain ne reconnurent celle qui
n'en était que la figure, lorsqu'elles se divisèrent par respect pour lui
frayer un libre passage, et à tous ceux qui la suivaient (3). Ils étaient
accompagnés de dix mille anges, que Dieu lui-même avait désignés comme je l'ai
dit ci-dessus au paragraphe 451, pour servir le Verbe incréé et sa très-sainte
Mère pendant ce voyage. Les bataillons de cette céleste escorte marchaient
sons des formes humaines, visibles pour notre divine Daine, et chaque ange
était plus resplendissant que plusieurs soleils ensemble. Elle avançait au
milieu de tous, bien mieux gardée et défendue que le lit de Salomon ne l'était
par les soixante hommes les plus vaillants d'Israël lorsqu'ils l'entouraient
l'épée au côté (4). Outre ces dix mille anges, il s'en trouvait beaucoup
d'antres qui descendaient
(1) Matth., XXI, 25. — (3) Colos., II, 3. — (3) Jos., III, 16. — (4) Cant.,
III, 7.
294
étaient
du ciel et y remontaient, envoyés par le Père éternel à son Fils humanisé et à
sa très-pure Mère, et chargés par ceux-ci de leurs messages.
458. C'est dans ce royal
appareil, caché aux yeux des mortels, que marchaient l'incomparable Marie et
son saint époux Joseph, sûrs que leurs pieds ne heurteraient point contre la
pierre de la tribulation, parce que le Seigneur avait ordonné à ses anges de
les porterdans leurs mains, et de les garder dans toutes leurs voies (1). Et
ces très-fidèles ministres exécutaient cet ordre, et servaient comme des
sujets très-soumis leur grande Reine, exprimant leur admiration et leur joie à
la vue de tant de mystères, de tant de perfections, de tant de grandeurs et de
tous les trésors de la Divinité réunis dans une simple créature, et cela avec
une si digne et si haute raison d'être, qu'elle surpassait leur propre
intelligence. Ils chantaient des hymnes nouvelles au Seigneur, au souverain.
Roi de gloire (2), qu'ils contemplaient appuyé contre son dossier de fin or
(3); et à la divine Mère, qu'ils considéraient tantôt comme un char
incorruptible et animé, tantôt comme l'épi fertile de la terre promise qui
contenait le grain vivant (4), tantôt comme le riche vaisseau d'un marchand
(5), qui le portait pour le faire naître dans la maison du pain, je veux dire
Bethléem, afin que, mourant sur la terre, il fût multiplié dans le ciel (6).
Le voyage dura cinq jours, car le saint époux ne
(1) Ps. XC, 12. — (2) Ps. XXIII, 10. — (3) Cant., III, 19. — (4) Levit., XXIII,
10. — (5) Prov., XXXI, 14. — (6) Joan., XII, 24.
295
voulut
pas faire de fortes journées à cause de la grossesse de la Mère Vierge.
il n'y eut point de ténèbres pour notre divine
Reine, parce que quand parfois le saint couple cheminait une partie de la
nuit, les anges répandaient une si grande lumière, que si toutes les étoiles
eussent été des soleils, elles n'auraient pas fait un plus beau jour par le
temps le plus serein. A ces heures de la nuit, saint Joseph profitait du
prodige et jouissait aussi de la vue des anges; et alors il se formait un
choeur céleste, où notre auguste Dame et son époux répondaient aux esprits
bienheureux par des cantiques et des hymnes admirables de louange, de sorte
que les champs se changeaient en de nouveaux cieux. La Reine de l'univers
jouit pendant tout le voyage de la vue et de la splendeur de ses ministres et
de ses sujets, ainsi que de leur très-doux entretiens.
459. Le Seigneur mêlait à
ces faveurs et à ces privilèges ineffables quelques embarras, quelques
souffrances qui se présentaient à sa divine Mère dans le voyage. En effet, la
rencontre de tant de gens qui remplissaient les hôtelleries et qui couvraient
la route pour obéir à l'édit de l'empereur, gênait sensiblement l'extrême
modestie de la très-pure Mère et Vierge, et affligeait son époux : pauvres et
timides, ils étaient moins bien reçus que les autres, et exposés à plus
d'incommodités que les plus riches; car le monde, qui ne consulte que les
apparences, partage d'ordinaire ses faveurs injustement et avec acception des
personnes. C'est pourquoi nos saints voyageurs
296
entendaient maints propos désagréables dans les hôtelleries où ils arrivaient
fatigués; quelquefois on les congédiait comme des gens inutiles et méprisables
, ou bien on reléguait la Maîtresse du ciel et de la terre en un recoin de
vestibule; souvent elle ne l'obtenait môme pas, et alors elle et son époux se
retiraient dans des réduits encore plus abjects et plus dédaignés par le
monde; mais quelque misérable que fût le lieu , la troupe des courtisans
célestes s'y trouvait avec leur souverain Roi et leur auguste Reine; elle en
était incontinent environnée comme d'un mur impénétrable : de sorte que la
couche du véritable Salomon était assurée et défendue contre les craintes et
les surprises de la nuit (1). Le très-fidèle époux Joseph, voyant la Maîtresse
de l'univers si bien gardée, se reposait et s'endormait en paix à la prière de
notre charitable Dame, qui tenait beaucoup à ce qu'il se remit un peu de la
fatigue du chemin. Et pendant ce temps-là, elle se livrait à des entretiens
célestes avec les dix mille auges qui l'assistaient.
460. Quoique Salomon ait
renfermé dans les Cantiques de grands mystères de la Reine du ciel sous
diverses métaphores et similitudes, il a parlé néanmoins plus expressément ait
chapitre IIIe de ce qui arriva à la divine Mère pendant la grossesse de son
très-saint Fils, et dans le voyage qu'elle fit pour ses couches sacrées; car
ce fut alors que s'accomplit à la lettre tout ce qui est dit du lit de
Salomon , de son
(1) Cant., III, 7.
297
char, du
dossier de fin or, de la garde qu'il y mit des plus forts et des plus
courageux d'Israël, qui jouissent de la vision divine, et tout le reste que
contient cette prophétie, dont ce que j'ai dit afin d'en marquer le sens, doit
suffire pour tourner toute mon admiration vers le mystère de la sagesse
infinie qui se trouve en ces oeuvres. si dignes de
la vénération de la créature. Or qui d'entre les mortels sera si endurci qu'il
ne s'attendrisse? ou si superbe qu'il ne rougisse
de confusion? ou si préoccupé qu'il ne s'émerveille
à la vue d'un prodige où se rencontrent les extrêmes les plus éloignés? Un
Dieu infini et véritablement caché dans le sein virginal d'une jeune fille
remplie de beauté et de grâce, innocente, pure, agréable et douce, aimable aux
yeux de Dieu et des hommes au delà de tout ce que ce môme Seigneur a créé et
créera jamais! Cette grande Dame, dis-je, avec le trésor de la Divinité,
méprisée, affligée et repoussée par l'ignorance aveugle et le damnable orgueil
des mondains! Et pourtant lors même qu'elle est retirée dans les lieux les
plus abjects, aimée et estimée de la très sainte Trinité, favorisée de ses
caresses, servie, révérée, défendue et protégée parles anges qui forment sa
vigilante garde ! O enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur
appesanti (1) ? Combien fausses sont vos balances
et trompeurs vos jugements (2), comme dit David? Vous estimez les riches, vous
méprisez les pauvres, vous élevez les superbes,
(1) Ps. IV, 3. — (2) Ps. LXI, 10.
298
vous
abattez les humbles, vous rebutez les justes et vous applaudissez à ceux qui
sont pleins de vanité (1). Votre discernement est aveugle et votre raison
dépravée, de sorte que vous vous trouvez déçus dans vos propres désirs.
Ambitieux, qui cherchiez les richesses, et vous êtes trouvés dans la plus
grande pauvreté, n'ayant embrassé que de la fumée, si vous eussiez reçu
l'Arche véritable de Dieu, vous auriez obtenu mille bénédictions de sa main
libérale, comme Obédédom (2); mais parce que vous l'avez méprisée, il est
arrivé à un grand nombre d'entre vous ce qui, arriva à Oza (3), vous avez été
châtiés.
461. Parmi tout cela notre
Dame connaissait et observait la diversité des âmes de tous ceux qui allaient
et qui venaient; elle pénétrait leurs pensées les plus secrètes, l’état de
grâce ou de péché de chacune, et le degré que chacune occupait entre ces
extrémités différentes; elle savait aussi, à l'égard de plusieurs âmes, si
elles étaient prédestinées on réprouvées; si elles persévèreraient,
tomberaient ou se, relèveraient; et toute cette diversité lui donnait occasion
d'exercer des actes héroïques de vertu envers les uns et envers les autres ;
car elle obtenait pour plusieurs la persévérance ; aux uns elle procurait un
secours efficace pour s'élever du péché à la grâce; elle pleurait et invoquait
le Seigneur par des affections intimes pour les autres, et quoiqu'elle ne
priât point avec tant d'efficace pour les réprouvés , elle ressentait
(1) Jacob., II, 2. — (2) II Reg., VI, 11. — (3) Ibid., 7.
299
sentait
une très-vive douleur de leur perte finale. Maintes fois, incomparablement
plus accablée de l'excès de ses peines que de la fatigue de la route, elle
éprouvait une certaine. défaillance corporelle; et
alors les saints anges, remplis d'une éclatante lumière et d'une beauté
céleste, l'appuyaient sur leurs bras, afin qu'elle y prit un peu de repos et
de soulagement. Elle consolait sur la route les malades, les affligés et les
nécessiteux , mais seulement par ses prières, et en
demandant à son très-saint Fils de remédier à leurs maux et de pourvoir à
leurs besoins car dans ce voyage elle se tenait en silence à l'écart, le plus
loin possible de la foule, ne songeant qu'à sa divine grossesse, qui devenait
de plus en plus apparente. Voilà comment la Mère de miséricorde répondait au
mauvais accueil que lui faisaient les mortels.
462. Il arriva aussi
quelquefois, pour une plus grande honte de l'ingratitude humaine, qu'étant
dans la saison la plus rigoureuse, et se présentant aux hôtelleries tout
transis de froid, à cause des neiges et des pluies (car le Seigneur voulut
qu'ils eussent aussi part à cette incommodité), ils étaient obligés de se
retirer jusque dans les sales endroits où se trouvaient les animaux , parce
que les hommes ne leur donnaient pas de meilleur gîte; et, alors les bêtes
suppléaient à leur inhumanité en se reculant par respect pour leur Créateur et
pour sa Mère, qui le portait dans son sein virginal. La Maîtresse des
créatures eût bien pu commander aux vents, à la gelée et à la neige de ne les
point incommoder, mais elle s'en abstenait, pour imiter
300
son
très-saint Fils dans les souffrances avant même qu'il sortit de son
très-chaste sein; elle eut donc à subir assez souvent les intempéries de la
saison durant sa marche. Le fidèle et soigneux époux Joseph ne négligeait
pourtant rien pour l'en mettre à l'abri, et il était plus que secondé par les
anges, et surtout par le prince saint Michel , qui
se tint toujours su côté droit de sa Reine, sans l'abandonner un seul moment
pendant tout ce voyage; et maintes fois il la servait et la soutenait quand
elle se trouvait fatiguée. Et quand telle était la volonté du Seigneur, il la
préservait de la rigueur du temps et recourait à mille moyens pour le service
de notre divine Dame et de Jésus, le fruit béni de ses entrailles.
463. Parmi la diversité de
ces miracles successifs nos voyageurs la très-pure Marie et Joseph arrivèrent
à la ville de Bethléem le cinquième jour de lotir voyage, qui était un samedi,
sur les quatre heures dit soir, temps auquel, dans le solstice d'hiver, le
soleil commence à baisser et la nuit approche. Ils entrèrent clans la ville
pour y chercher un gîte; et ayant parcoure plusieurs rues et demandé
l'hospitalité non seulement dans les hôtelleries, mais dans les maisons de
leurs amis et de leurs proches parents, ils ne furent reçus nulle part, et
dans beaucoup d'endroits ils furent congédiés d'une manière incivile et
méprisante. Notre auguste Reine suivait son époux ,
qui allait de maison en maison et de porte en porte, à travers la cohue formée
par tant de personnes. Et, quoiqu'elle sût que les maisons et les coeurs des
hommes leur seraient
301
fermés,
elle voulut néanmoins, pour obéir à saint Joseph, souffrir cette peine et la
confusion que lui inspirait son extrême pudeur; car il lui était bien plus
sensible, à cause de sa retenue, de son état et de son âge, de circuler au
milieu de cette multitude que de ne pas trouver de logement. Or, continuant
d'aller par la ville, ils rencontrèrent la maison où l'on tenait le registre
commun; et, pour n'être pas obligés d'y retourner, ils se firent inscrire et
payèrent le tribut royal. Débarrassés de cette affaire, ils recommencèrent
leurs recherches et se présentèrent à d'autres auberges. Ils demandèrent
l'hospitalité en plus de cinquante maisons, où ils essuyèrent un dur refus,
tandis que les esprits bienheureux admiraient les très-hauts mystères du
Seigneur, la patience et la mansuétude de sa Mère Vierge, et l'insensibilité
des hommes. Dans ces sentiments ils bénissaient le Tout-Puissant en ses
oeuvres et eu ses mystérieux desseins, comprenant qu'il voulait dès ce jour-là
élever à la plus haute gloire l'humilité et la pauvreté, que les mortels
méprisent.
464. Il était environ neuf
heures du soir lorsque le très fidèle Joseph, le coeur plein d'une amère
douleur, se tourna vers sa très-prudente épouse et lui dit : « Ma très-douce
Dame, je succombe oit ce moment à a la douleur, en voyant que je ne puis
non-seulement vous loger selon vos mérites et comme mon affection me le
faisait désirer, mais au moins vous procurer l'abri et le repos qu'on ne
refuse jamais, ou que bien rarement, aux plus pauvres et aux plus
302
méprisables.
Il y a sans doute ici quelque mystère, pour que le Ciel ait permis que
les coeurs des hommes n'aient point été portés à nous recevoir
dans leurs maisons. Je me souviens, chère épouse, d'avoir vu hors des
murs de la ville une grotte où les pasteurs vont ordinairement se
retirer avec leurs troupeaux. Allons-y, car si par hasard cet endroit
n'est pas occupé, le ciel vous y ménagera l'asile que la terre nous
refuse. » La très-prudente Vierge lui répondit : « Mon époux et mon maître,
que votre coeur si sensible ne s'afflige pas de ce que les ardents
désirs produits par l'affection que vous avez pour le Seigneur ne
s'accomplissent point. Et puisque j'ai le bonheur de le porter dans mon
sein, je vous supplie pour lui-même de lui rendre avec moi des actions
de grâces de ce qu'il lui a plu disposer la chose de la sorte. Le lieu
dont vous me parlez sera fort conforme à mes souhaits. Changez vos
larmes un joie par l'amour et dans la possession de la pauvreté,
qui est le trésor inestimable de mon très saint Fils (1). Il vient du ciel
pour le chercher (2); ainsi il faut que nous le, lui préparions
avec une âme joyeuse; pour moi, c'est là toute ma consolation : ne me
l'enviez donc pas en ce moment. Allons avec plaisir où le Seigneur nous
conduit. » Ensuite les saints anges menèrent les divins époux vers ces lieux,
leur servant do brillants flambeaux; et étant arrivés à la grotte, ils la
trouvèrent inoccupée. Et, remplis
303
d'une
joie céleste, ils louèrent le Seigneur de ce nouveau bienfait, et il arriva ce
que je raconterai au chapitre suivant.
Instruction que la Reine de l'univers vie donna.
465. Ma très-chère fille,
si vous avez un coeur tendre et docile envers le Seigneur, les divins mystères
que vous avez connus et écrits auront le pouvoir d'exciter en vous de douces
et amoureuses affections pour l'auteur de tant de merveilles, en la présence
duquel je veux que dès aujourd'hui vous attachiez un nouveau prix à vous voir
rebutée et méprisée du monde. Et dites-moi, ma bien-aimée, si en échange de
cet oubli et de ce mépris acceptés avec joie, Dieu, jetant sur vous ses
regards favorables, vous accorde la force de son très-doux amour, pourquoi
n'achèterez-vous pas à si bon marché ce qu'on ne doit pas estimer moins que
d'un prix infini? Que recevrez-vous des hommes, quand ils vous applaudiront le
plus? Et que perdrez-vous, si vous méprisez leur approbation? Ne voyez-vous
pas que tout n'est que mensonge et que. vanité (1)?
Cette estime n'est-elle pas une ombre fugitive qui s'évanouit à l'instant
entre les mains de ceux qui prétendent l'attraper (2)? Or, quand
(1) Ps. IV, 8. — (2) Sap., V, 9.
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elle ne
s'évanouirait pas entre les vôtres, que ne devriez-vous pas faire pour vous en
détacher? Considérez combien il vous sera plus facile de la refuser pour
acquérir l'amour de Dieu, le mien et celui de ses anges. Renoncez, ma fille,
généreusement à tout. Et si le monde ne vous méprise pas autant que vous le
devez désirer, méprisez-le vous-même, et tâchez de rester indépendante ,
dégagée et seule, afin que le souverain bien vous accompagne, que vous
receviez avec plénitude les très-heureux effets de son amour, et que vous y
correspondiez avec liberté (1).
466. Mon très-saint Fils
est un si fidèle amant des âmes, qu'il m'a établie Maîtresse et exemplaire
vivant, pour leur apprendre l'amour de l'humilité et le mépris efficace de la
vanité et de l'orgueil. Ce fut aussi par son ordre que sa divine Majesté et
moi, sa très humble servante et sa Mère, ne trouvâmes aucune retraite parmi
les hommes, afin que les âmes, touchée; de cet abandon, consacrent au Seigneur
toutes leurs affections, et le forcent par leur générosité à venir résider en
elles. Il chercha de même la solitude et la pauvreté, non parce qu'il eut
besoin de ces moyens pour pratiquer les vertus au degré le plus parfait, mais
afin d'enseigner aux mortels que c'était le chemin le plus court et le plus
sûr pour arriver aux sublimes hauteurs de l'amour divin et de l'union avec
Dieu.
467. Vous savez bien, ma
chère fille, que vous ôtes continuellement instruite par la lumière céleste,
afin
(1) II Petr., I, 4.
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qu'ayant
oublié tout ce qui est terrestre, vous vous ceigniez de force (1) et vous
animiez à m'imiter, en exprimant en vous-même, autant qu'il vous sera
possible, les actes et les vertus de ma vie que je vous manifeste. C'est le
premier but de la science que je vous enseigne et que-je vous dicte, afin que
vous trouviez en moi cette règle, et que vous vous en serviez pour diriger
votre vie et vos oeuvres, en la manière que j'imitais celles de mon très-doux
Fils. Vous devez Modérer la crainte que ce commandement vous a causée en le
croyant au-dessus de vos forces, et vous encourager en vous rappelant ce que
mon très-saint Fils dit par la bouche de l'évangéliste saint Matthieu (2)
Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Cette volonté du
Très-Haut, que lui-même propose à sa sainte Église, il n'est pas impossible à
ses enfants de la remplir; et si, de leur côté, ils sont bien disposés, cette
grâce, pour acquérir la ressemblance du Père céleste, ne sera refusée à
personne, parce que mon très-saint Fils l'a méritée pour tous. Mais le pesant
oubli des hommes et le peu de cas qu'ils font de leur rédemption empêchent
qu'ils n'en obtiennent efficacement le fruit.
468. J'exige spécialement
de vous cette perfection, ma fille, et je vous y convie par les prescriptions
de la douce loi de l'amour, à laquelle mes instructions aboutissent.
Considérez, avec le secours de la divine lumière; quelles obligations je vous
impose, et tâchez
(1) Prov., XXXI, 17. — (2) Matth., V, 48.
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de vous
en acquitter avec la prudence d'une fille fidèle et diligente, sans vous
laisser arrêter par aucune difficulté ou affliction, et sans omettre un seul
acte de vertu ou de perfection, pour pénible qu'il soit. Vous ne devez pas
vous contenter non plus de vous procurer à vous seule l'amitié du Seigneur et
le salut éternel; mais si vous voulez être parfaite à mon imitation et
accomplir ce qu'enseigne l'Évangile, vous devez travailler au salut des autres
âmes et à l'exaltation du saint nom de mon Fils, et servir d'instrument à sa
puissante main pour les choses fortes qui seront de son bon plaisir et à sa
plus grande gloire.
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