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DE LA MORTALITÉ 1° Causes du fléau; 2° Avantages;
3° Désir du Ciel. La plupart dentre vous, mes frères bien-aimés, possèdent une foi ferme, un jugement solide. Leur âme, attachée â Dieu, ne sémeut pas eu présence des maux de cette vie. Semblable à un rocher, elle résiste aux assauts du monde, aux flots impétueux du siècle, et elle sort de la tentation, éprouvée mais non vaincue. Cependant, il en est parmi vous qui, par suite de la faiblesse de leur caractère, du peu dénergie de leur foi, du charme des choses créées, de la mollesse de leur sexe, et, ce qui est plus grave encore, des erreurs qui obscurcissent la vérité, chancellent dans la voie du salut et ne songent pas à profiter de la grâce divine, qui sommeille dans leurs coeurs. Il ma semblé que je devais madresser à eux en toute franchise. Donc, malgré ma faiblesse, je viens combattre, avec la parole divine, la négligence qui paralyse leur âme trop délicate et leur rappeler, quen qualité de chrétiens, ils doivent être dignes et de Dieu et du Christ. Le soldat du Christ, mes frères bien-aimés, doit dabord se connaître lui-même. Placé dans le camp du Seigneur, il soupire après les biens éternels. Ne vous laissez ni effrayer ni (282) même arrêter par les tempêtes de ce monde: elles ont été prédites par le divin Maître. Avez-vous oublié que, pour instruire son peuple et fortifier son Église contre les maux à. venir, il a annoncé des guerres, des famines, des pestes, des tremblements de terre? Bien plus, afin que ces terribles événements ne vinssent pas nous frapper à limproviste, il en a fixé lépoque, et cest à la fin des temps quils doivent le plus se multiplier. La prophétie saccomplit, et de là. nous pouvons conclure que les autres prédictions saccompliront à leur tour; car le Seigneur a dit : Lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le royaume de Dieu est proche (Luc, XXI.). Oui, mes frères bien-aimés, le royaume de Dieu est proche; le monde passe et nous allons jouir de la vie véritable, du salut, du bonheur éternel, du Paradis que nous avions perdu. Déjà le ciel succède à la terre, la grandeur à. la misère, léternité au néant. Qui donc, en présence de ces biens, se livrera au doute et à lanxiété? qui sabandonnera à la crainte et à la tristesse, sil lui reste encore un rayon de son foi et despérance? On craint la mort quand on ne veut pas aller vers le Christ; on ne veut pas aller vers le Christ quand on désespère de régner avec lui. Il est écrit que le juste vit de la foi. Si vous êtes juste, si vous vivez de la foi, si vous croyez véritablement en Dieu, pourquoi ne pas accueillir avec empressement la voix du Christ qui vous appelle, alors que vous devez régner avec lui et que vous avez foi en ses promesses? Pourquoi ne pas vous féliciter dêtre à labri des atteintes du démon? Siméon, le juste par excellence, accomplit avec une foi pleine et entière les préceptes du Seigneur. Il reçut du Ciel la promesse de ne mourir quaprès avoir vu le Christ. Jésus se présente dans le temple, entre les bras de sa Mère; à cette vue, le vieillard reconnaît le Messie, objet de tant de prophéties; il sait que. sa dernière heure est venue; ivre de joie, il prend lenfant entre ses mains et, sûr (283) daller prendre sa place au royaume céleste, il sécrie : Maintenant Seigneur, vous pouvez laisser partir votre serviteur en paix, car mes yeux ont vu laurore du salut (Luc, II). Il montrait par là. quil nest, pour les serviteurs de Dieu, de paix, de liberté, de tranquillité véritable que, lorsquaprès avoir traversé les tourbillons de ce monde, ils arrivent au port de léternelle sécurité; lorsque, vainqueurs de la mort, ils se revêtent dimmortalité. Là., en effet, se trouvent pour nous la paix, la tranquillité, le repos éternel. La vie de ce monde est-elle autre chose quune lutte perpétuelle avec le démon? Navons-nous pas à. repousser tous les jours ses traits meurtriers? Lavarice, limpureté, la colère, lambition, tels sont les ennemis que nous devons combattre; tous les jours, nous avons à. lutter péniblement contre les vices de la chair et les séductions du siècle. Lâme humaine, assiégée, comme une place forte, par la malice du démon, peut à peine faire face et résister à toutes ses attaques. Si vous terrassez lavarice, limpureté se dresse contre vous; si vous étouffez limpureté, lambition lui succède; si vous méprisez lambition, vous voilà. enflammé de colère, enflé dorgueil, sollicité par la sensualité; vous voilà en butte aux traits de la jalousie et de lenvie, qui brisent parmi nous les liens de la concorde et de lamitié. La malédiction monte à vos lèvres, et pourtant la loi divine la défend; on vous force à jurer, et pourtant ce nest pas permis. Nous avons tant de persécutions à subir, tant de périls à surmonter, et nous nous plaisons à prolonger notre séjour ici bas, au milieu des glaives du démon Ah! qu il serait plus sage dinvoquer le secours de la mort pour hâter notre retour auprès du Christ ! En vérité, nous dit-il, vous pleurerez, vous gémirez et le monde se réjouira; vous serez tristes, mais votre tristesse sera changée en joie. Qui ne désirerait être exempt de tristesse? qui ne se hâterait daccourir à la joie? (285)
Or, le Seigneur nous déclare quand notre tristesse sera changée en joie : Je vous reverrai, dit-il, et votre coeur se réjouira et personne ne vous enlèvera votre joie (Joan., VI.). Puisque notre joie consiste à voir le Christ et quelle ne peut pas exister sans cette vue, quel aveuglement, quelle démence, daimer les chagrins, les peines, les larmes de cette vie, et de ne pas hâter de ses voeux lavènement de ce bonheur que personne ne peut nous ravir! La cause de ce désordre, mes frères bien-aimés, cest le manque de foi. Personne ne croit à la réalité des promesses du Dieu qui est la vérité même, du Dieu dont la parole est éternelle et immuable. Si un homme sérieux et honnête vous faisait une promesse, vous croiriez à sa parole, vous le jugeriez incapable de vous tromper, parce que vous savez quil est sincère dans ses discours et dans ses actes. Voilà que Dieu vous parle, et vous, homme de peu de foi, vous êtes indécis et flottant! Dieu, à votre sortie de ce monde, vous promet limmortalité et léternité bienheureuse, et vous doutez! Cest ne pas connaître Dieu; cest offenser par son incrédulité le Christ, maître des croyants; cest manquer de foi dans lÉglise, qui est le sanctuaire de la foi. Voulez-vous savoir combien il est avantageux de quitter cette vie? Écoutez le Christ qui connaissait si bien nos véritables intérêts. Comme ses disciples étaient attristés, parce quil leur annonçait son prochain départ, il leur dit: Si vous maimiez, vous vous réjouiriez parce que je retourne vers mon Père (Joan., XIV.). Il nous montre par ces paroles que lorsque les êtres qui nous sont chers sortent de ce monde, nous devons en ressentir plus de joie que de douleur. Le grand apôtre se rappelait ces vérités lorsquil écrivait: Le Christ est ma vie, et la mort est un gain pour (287) moi (Philip., I.). Il regardait comme un grand avantage de briser les liens qui lattachaient à la terre, de nêtre plus en butte aux vices et aux exigences de la chair, de sélever au-dessus des tribulations dici-bas, et, libre enfin des embûches du démon, de suivre la voix du Christ qui lappelait au royaume céleste. 1° Mais il en est qui sétonnent de voir que les fidèles tombent aussi bien que les idolâtres sous les coups de la contagion. On se fait donc chrétien pour se mettre à labri des maux de cette vie, pour jouir de toutes les félicités du siècle, et non pour souffrir ici-bas toutes sortes dadversités, en vue de la joie future? Il en est qui sétonnent de voir que la mort nous frappe comme les autres. Mais, dans ce monde, tout nous est commun avec le reste des hommes puisque, selon les lois de la nature, nous avons la même chair. Tant que nous restons sur cette terre, nous appartenons au genre humain par te corps, nous en sommes séparés par lesprit. Ainsi, en attendant que cc corps corruptible revête lincorruptibilité, que cette chair sujette à la mort devienne immortelle et que lEsprit nous conduise à Dieu le Père, toutes les incommodités corporelles, quelles quelles soient, nous sont communes avec les autres hommes. Lorsque la terre nous refuse ses fruits, la, faim népargne personne. Lorsquune ville tombe entre les mains des ennemis, tous les citoyens deviennent captifs. Lorsque limplacable sérénité du Ciel empêche laction des pluies, la sécheresse est la nième pour tous. Quun navire se brise sur les écueils, tous les passagers, sans exception, périront dans un naufrage commun. Il en est de même de toutes les maladies: douleurs des yeux, accès de fièvre, infirmités des membres; elles nous sont communes avec le reste des hommes, parce que nous avons la même chair. Bien plus, si le chrétien a une idée exacte de sa mission sur la terre, il comprendra que ses épreuves doivent être plus (289) nombreuses que celles des autres hommes, parce que ses luttes avec le démon sont plus fréquentes. Cest lavertissement que nous donne lÉcriture : Mon fils, en vous consacrant au service de Dieu, persévérez dans la justice et dans la crainte du Seigneur, et préparez votre âme à la tentation. Et plus loin : Soyez ferme dans la douleur, patient dans lhumiliation, car lor et largent sont éprouvés par le feu, et lhomme dans le creuset de lhumiliation (Eccl., II). Ainsi Job, après la perte de ses biens et la mort de ses enfants, couvert lui-même de plaies et de vers, ne fut pas vaincu mais purifié par lépreuve. Voyez comme lhéroïsme de sa patience éclate au milieu de tant de combats et de douleurs : Je suis sorti nu du sein de ma mère, nu je descendrai dans mon sépulcre. Le Seigneur ma tout donné, il ma tout ôté; il a agi selon sa sagesse que son nom soit béni (Job., I). Son épouse lui disait de proférer, dans sa souffrance, des plaintes et des blasphèmes contre Dieu : Vous parlez comme une femme insensée, lui répondit le patriarche. Si nous avons reçu des biens de la main du Seigneur, pourquoi nen recevrions-nous pas des maux? Ainsi, dans toutes ces choses, Job ne pécha point en paroles contre Dieu. Cest pourquoi le Seigneur lui rend témoignage en ces termes : As-tu remarqué mon serviteur Job? Il nen est point de semblable sur la terre. Cest un homme sans tache, un vrai serviteur de Dieu. Tobie, après tant de bonnes oeuvres, après sêtre attiré par sa miséricorde les éloges de tous ses concitoyens, devient aveugle; il continue à craindre et à bénir Dieu dans ladversité, et la perte de ses forces ne sert quà le rendre plus saint. Son épouse tente aussi de le pervertir : Où sont, dit-elle, tes bonnes oeuvres? Vois ce que tu souffres (Tob., II.). Mais lui, ferme dans la crainte du Seigneur, trouvant dans sa foi assez de force pour (291) faire face à toutes les douleurs, résista aux sollicitations de son épouse et mérita par sa patience de jouir des bénédictions de Dieu. Aussi lange Raphaël le loue en ces termes : Il est honorable de révéler et de publier les oeuvres de Dieu. Lorsque tu priais, ainsi que Sara, lépouse de ton fils, joffrais à Dieu votre prière. Lorsque tu ensevelissais les morts et que tu quittais ton repas à la hâte pour leur rendre ce triste devoir, jétais auprès de toi. Maintenant Dieu menvoie pour te guérir et pour délivrer Sara, lépouse de ton fils. Je suis Raphaël, un des sept anges qui se tiennent et habitent devant la majesté de Dieu (Tob., XII.). 2° Cette patience dans lépreuve a
toujours été la vertu des justes. Les apôtres, guidés par la loi du Seigneur, ont eu
pour règle de ne pas murmurer dans ladversité, mais de supporter avec courage et
patience tous les événements de ce monde. Les Juifs, au contraire, offensaient Dieu par
leurs fréquents murmures, comme latteste le livre des Nombres : Quils
cessent de murmurer contre moi, dit le Seigneur, et ils ne mourront pas. Ne murmurons donc pas., mes frères bien-aimés, mais supportons tout avec courage, car il est écrit: Le sacrifice agréable à Dieu est une âme brisée par la tribulation. Dieu ne rejette pas un coeur contrit et humilié (2). Dans le Deutéronome, Moise, inspiré par lEsprit-Saint, nous donne la même leçon Le Seigneur votre Dieu vous éprouvera en vous envoyant la famine, et votre conduite montrera si vous avez bien ou mal gardé ses préceptes. Il dit encore : Le Seigneur vous éprouve pour savoir si vous laimez de tout votre coeur et de toute votre âme (Deut., XIII.). Abraham fut agréable à. Dieu, parce quil ne craignit pas, pour lui plaire, de sacrifier son fils. Vous qui ne pouvez (293) accepter la perte dun fils, déjà, condamné à la mort par les lois de la nature, que feriez-vous si vous receviez lordre de limmoler? La foi et la crainte de Dieu doivent vous préparer à tous les événements. Quil sagisse de la perte de votre fortune, de la maladie qui vient tourmenter votre corps, de la mort de votre épouse et de vos enfants sur lesquels vous êtes réduits à pleurer, regardez tous ces accidents, non comme des occasions de chute, mais comme des combats. Loin daffaiblir ou de briser la foi du chrétien, ils manifestent, au contraire, son courage dans la lutte : if méprise les maux de cette vie, parce quil compte sur les biens éternels. Sans combat, pas de victoire; mais, après la victoire, la couronne devient la récompense du vainqueur. Le pilote se fait connaître dans la tempête, le soldat dans la bataille. Il serait ridicule de se vanter quand il ny a pas de péril; cest la lutte contre ladversité qui fait ressortir les qualités sérieuses et solides. Larbre dont les racines pénètrent profondément dans le sol résiste au choc des tempêtes; le navire solidement construit est battu par les flots, sans être brisé par eux. Quand on vanne le blé sur laire, les grains forts et pesants résistent à. laction du vent, qui nemporte que la paille inutile. Aussi lapôtre saint Paul, après tous ses naufrages, après ses flagellations, après tous les tourments infligés à. son corps, ne voit dans ces adversités quune épreuve doù sa vertu doit sortir plus pure et plus vraie. Pour réprimer mon orgueil, dit-il, je porte en moi un aiguillon charnel, un ange de Satan qui me donne des soufflets. Trois fois jai prié le Seigneur de men délivrer, et il ma répondu ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans linfirmité (II Corinth., XII.). Ainsi, lorsque nous sommes en face de linfirmité, de la maladie ou dun fléau quelconque, notre vertu reçoit son perfectionnement, et notre foi, ferme dans lépreuve, mérite la couronne. La fournaise, dit lEsprit-Saint, éprouve (295) les vases du potier et la tribulation éprouve les hommes justes (Eccl., XXVII.). Il y a une grande différence entre rions et ceux qui ignorent le Dieu véritable. Ceux-ci, dans ladversité, sabandonnent à. la plainte et au murmure; pour nous, les malheurs dici-bas, loin de nous détourner de la vertu et de la foi, ne font que nous fortifier davantage. Que le désordre qui sintroduit dans nos entrailles épuise nos forces; que ce feu mystérieux qui sallume dans notre sein ulcère notre gorge; quun vomissement continu déchire notre poitrine; que nos yeux sinjectent de sang; que la contagion rende nécessaire pour quelques-uns lamputation des pieds ou de quelque autre membre; quune langueur mortelle, semparant de nos corps épuisés, affaiblisse notre marche, paralyse nos oreilles, obscurcisse nos yeux: ce sont autant de moyens par lesquels notre foi séclaire et se perfectionne. Déployer toutes ses forces contre les atteintes mortelles du fléau, nest-ce pas leffet dune grande âme? se tenir debout, au milieu des ruines du genre humain, alors que ceux qui nespèrent pas en Dieu demeurent prosternés, nest-ce pas le comble de la gloire? Ah ! félicitons-nous de nos disgrâces, sachons en tirer parti, puisquen manifestant notre foi, en souffrant pour le Christ, nous arrivons par la voie étroite à la récompense quil nous destine. Quil craigne de mourir celui qui nest pas régénéré par leau et lesprit, et qui est dévoué davance aux flammes de lenfer. Quil craigne de mourir celui qui est étranger à la croix de Jésus-Christ. Quil craigne de mourir celui qui, après cette mort, aura en partage la mort éternelle. Quil craigne de mourir celui qui, en quittant cette vie, sera tourmenté par les flammes. Quil craigne de mourir celui dont la dernière heure nest différée que pour retarder ses tortures et ses gémissements. Il nen est pas de même des chrétiens: ils meurent sous les coups de la contagion, mais (297) pour eux la mort cest la délivrance. Les Juifs, les idolâtres, les ennemis du Christ, ne voient quun fléau dans la mortalité qui nous afflige; les serviteurs de Dieu la regardent comme lentrée au port du salut. Les justes sont confondus par la mort avec les pécheurs, sans aucune distinction, cest vrai; mais ne croyez pas que leur destinée soit la même. Les justes sont appelés aux joies du Ciel, les méchants aux supplices éternels; la mort ne fait que hâter la récompense des uns et le châtiment des autres. Nous payons dingratitude les, bienfaits de Dieu, frères bien-aimés, parce que nous nen connaissons pas le prix. Voilà. nos jeunes vierges qui quittent ce monde avec toute leur gloire, et qui nont à craindre ni les menaces ni la corruption de lAntéchrist qui va paraître. Voilà nos jeunes gens qui échappent aux périls des passions et qui, sans avoir combattu, reçoivent la couronne dinnocence. Les femmes délicates nont plus à redouter les tourments: une mort rapide les met à labri de la persécution et des mains du bourreau. La peur de la mort, que le fléau tient suspendue sur nos têtes, enflamme les tièdes, ranime les lâches, ramène aux rigueurs de la règle ceux qui sen étaient écartés. Cette crainte salutaire rappelle dans nos rangs les déserteurs, et force les païens à se pénétrer, des enseignements de la foi. Ainsi, tandis que les .vétérans de lÉglise sont appelés au repos, je vois se former une nouvelle armée plus forte que la première; elle marche au combat sans craindre la mort et vient combler les vides que le fléau a faits dans nos rangs. Que vous dirai-je encore, mes frères bien-aimés? Nétait-il pas juste et nécessaire que la contagion, qui paraît si horrible et si lugubre, vînt éprouver nos âmes et manifester notre foi? Oui, il fallait voir si les hommes bien portants viendraient au secours des infirmes ; si les membres de la famille saimaient véritablement entre eux; si les maîtres auraient pitié de leurs serviteurs languissants; si les médecins seraient sensibles aux (299) supplications des malades; si les orgueilleux mettraient un terme à leurs violences; si les avares, en face de la mort, sauraient réprimer leur cupidité insatiable; si les superbes se résigneraient à courber la tête, les pervers à tempérer leur audace; si les riches, voyant mourir leurs héritiers, se résoudraient enfin à faire des largesses aux pauvres. Quand le fléau naurait eu dautre effet que de nous montrer la mort en face, ce serait un grand avantage pour les chrétiens. En affrontant la mort, nous apprenons à désirer le martyre. Ce Spectacle funèbre est pour nous un exercice : notre âme y puise de nouvelles forces et, par le mépris de la mort, elle se prépare à. recevoir la couronne. Mais je prévois une objection. On me dira peut-être ce qui mattriste dans les circonstances présentes, cest que jétais prêt à confesser le nom de Jésus-Christ; je métais dévoué à. la souffrance, de tout mou coeur et de toutes mes forces; me voilà donc privé de la palme du martyre, si je suis surpris par la mort. Je répondrai dabord que le martyre dépend, non de vous, mais de la grâce divine; vous ignorez si vous étiez digne de le recevoir, vous ne pouvez donc pas dire que vous lavez perdu. En second lieu, Dieu scrute les reins et les coeurs; il connaît vos pensées les plus secrètes, il vous voit, il vous loue; il vous approuve. Sil reconnaît que vous étiez préparé au martyre, il récompensera votre courage. Lorsquil offrait à Dieu ses présents, Caïn navait pas encore tué son frère, et pourtant Dieu, qui connaît lavenir, condamna un crime qui nexistait que dans la pensée du coupable. Si Dieu lit dans les mystères de lavenir un projet criminel, pourquoi ne couronnerait-il pas dans ses serviteurs lamour du bien, la résolution de lui rendre témoignage et le désir du martyre? Lâme peut faiblir devant le martyre; mais le martyre aussi peut trahir les désirs de lâme. Tel vous êtes au moment où Dieu vous appelle, tel vous serez jugé par lui; il dit lui-même : Toutes les Églises sauront que cest moi qui sonde les reins et les coeurs (Apoc., II.).
Dieu ne demande pas notre sang, mais notre foi. Abraham, Isaac et Jacob ne périrent pas par le glaive : cependant leur foi et leur sainteté leur donnent la première place parmi les patriarches, et cest auprès deux que se réunissent tous les fidèles qui ont trouvé grâce devant Dieu. Cest la volonté divine et non la nôtre que nous devons accomplir, comme nous lenseigne la prière du Seigneur. Quelle folie! demander laccomplissement de la volonté divine et ne pas obéir à lordre de Dieu, quand il nous rappelle de ce monde! Nous résistons de toutes nos forces; comme des serviteurs opiniâtres, nous arrivons tristes et chagrins en la présence du Maître; cest une nécessité fatale et non la soumission de notre volonté qui nous fait quitter ce monde. Nous allons à Dieu malgré nous: et nous attendons de lui la récompense céleste? Pourquoi demander lavènement du royaume de Dieu, si la captivité de la terre a pour nous tarit de charmes? Pourquoi cette prière, si nous préférons être ici-bas les esclaves du démon que de régner avec le Christ? Dieu a daigné nous manifester les secrets de sa Providence; il nous a montré quil soccupe du salut des siens. Un de nos prêtres, affaibli par la maladie, touchait à. sa dernière heure. Déjà il priait Dieu de le retirer de ce monde, lorsquil vit apparaître un jeune homme rayonnant de gloire et de majesté. Sa taille était élevée, sou visage radieux. Loeil humain ne peut supporter tant déclat, à moins que, sur le point de quitter cette vie, il nacquière une force nouvelle. Le jeune homme frémit et sécria avec indignation : « Vous craignez de souffrir ! vous ne voulez pas quitter cette terre ! Comment dois-je vous traiter? » Ces paroles renferment à la fois un reproche et un avis. Elle sadressent et à ceux qui craignent la .persécution et à ceux qui hésitent sur le seuil du tombeau, pour réprimer en eux les désirs de la terre et pour fixer leur pensée sur lavenir. Le prêtre expirant entendit ces paroles que le messager céleste adressait au peuple chrétien. Elles nétaient pas pour lui, mais (303) pour nous : il ne les entendit que pour les redire. Quavait-il à apprendre, lui qui allait quitter cette vie ? Mais cest nous qui devons profiter de la leçon. En voyant réprimandé de la sorte un prêtre du Seigneur, qui soupirait après la mort, apprenons à connaître nos véritables intérêts. Et moi aussi, le plus petit et le dernier dentre vous, jai souvent reçu des révélations semblables; souvent la grâce divine est venue méclairer; aussi je ne cesse de dire et denseigner publiquement que nous ne devons pas pleurer nos frères lorsque, à la voix du Seigneur, ils sortent de ce monde. Ils ne sont pas perdus pour nous, mais ils nous devancent; ils ne séloignent pas, ils vont nous attendre là-haut. après avoir accompli avec nous leur pèlerinage. Nous devons les regretter, mais non les pleurer. A quoi bon des habits de deuil, quand ils ont revêtu dans le Ciel la robe blanche? Ne prêtons pas le flanc aux .censures des païens : cest avec raison quils nous reprocheraient de pleurer comme à jamais perdues des âmes que nous disons vivantes auprès de Dieu; cest avec raison quils se plaindraient de ne pas trouver ,dans nos actions la foi que nous exprimons par nos paroles. Agir de la sorte ce serait mentir à notre espérance et à notre foi; notre langage serait celui dun comédien. Quimporte que la vertu brille dans nos paroles, si nos actes la démentent? Lapôtre saint Paul condamne ceux qui, à la mort de leurs proches, se livrent à une tristesse excessive : Nous ne voulons pas, mes frères, que vous soyez dans lignorance sur ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne soyez pas contristés, comme ceux qui nont pas despérance. Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, nous croyons aussi que Dieu ressuscitera avec Jésus ceux qui sont morts en lui (I Thess., IV.). Daprès lapôtre, ce sont les hommes sans espérance qui sont contristés par la perte de leurs proches. Mais nous qui vivons (305) despérance, qui croyons en Dieu, qui savons que Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous, nous qui demeurons dans le Christ et qui ressusciterons par lui et. en lui, pourquoi ne voulons-nous pas quitter cette vie, ou bien pourquoi pleurons-nous ceux qui partent, comme sils disparaissaient pour toujours? Et pourtant Jésus nous dit : Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, quoique mort, vivra; et tout homme qui vit et croit en moi ne mourra pas éternellement (Joan., XI.,) Si nous croyons au Christ, ayons foi à. ses promesses, et sûrs déviter la mort, attachons-nous à lui, puisque cest avec lui que devons vivre et régner toujours. Mourir cest passer à limmortalité; on ne peut arriver à la vie éternelle, si on no quitte cette terre. La mort nest donc pas un exil, cest un passage qui nous mène du temps à léternité. Qui ne se hâterait vers un avenir meilleur? qui ne voudrait devenir semblable au Christ et arriver à la dignité de la grâce céleste? Lapôtre saint Paul nous dit : Notre conversation est dans le Ciel. Cest de là que nous attendons Jésus-Christ, notre maître, qui transformera ce corps terrestre en le rendant semblable à son corps glorieux (Philip., III.,). Tels nous serons nous-mêmes, daprès la promesse du Christ. Il veut que nous soyons heureux avec lui dans les demeures éternelles. Mon Père, dit-il, je veux que ceux que vous mavez donnés soient avec moi, et quils voient léclat dont vous mavez environné avant lorigine du monde (Joan., XVII.). Et nous pleurerions, nous gémirions, quand nous marchons vers la demeure du Christ et le royaume céleste ! Ah! plutôt, confiants dans la promesse du Seigneur qui est toute vérité, réjouissons-nous de notre départ et de notre translation. Hénoch, dit la Genèse, plût à Dieu, et il ne parut plus (307) sur la terre, parce que Dieu le transféra dans un séjour meilleur (Gen., V.). Ainsi Dieu récompensa le patriarche, en le délivrant de la corruption dici-bas. LEsprit-Saint nous apprend encore, par la bouche de Salomon, que ceux qui sont agréables à Dieu quittent ce monde plus tôt que les autres, de peur quen y prolongeant leur séjour, ils nen contractent la souillure. il a été enlevé, dit le Livre de la Sagesse, de peur que le mal ne corrompît son intelligence. Son âme était agréable à Dieu, et cest pour cela quil sest empressé de lenlever du milieu de liniquité (Sap., IV.). Les Psaumes nous représentent également lâme dévote sélançant vers Dieu avec les ailes de la foi : Que votre demeure est agréable, Ô Dieu des vertus, je soupire après vous, je me hâte vers vos sacrés parvis (Psal., 83.). Je comprends quil veuille rester longtemps dans le monde; celui qui est aimé du monde, celui qui se laisse prendre aux amorces de la volupté. Mais le monde hait le chrétien: pourquoi donc aimez-vous votre ennemi? Pourquoi ne suivez-vous pas plutôt le Christ qui vous a racheté et qui vous aime? Saint Jean, dans son épître, nous exhorte à ne pas suivre les désirs de la chair : Naimez pas le monde, dit-il, ni ce qui est dans le monde. Si quelquun aime le monde, la charité du Père nest plus en lui; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle. Tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde passera avec sa concupiscence. Mais celui qui fait la volonté de Dieu, vivra éternellement comme Dieu lui-même (I Joan., II.). Donc, mes frères bien-aimés, ranimons notre foi, fortifions notre âme, préparons-nous à accomplir la volonté divine et, bannissant toute crainte de la mort, songeons à limmortalité (309) qui doit la suivre. Que notre conduite s'accorde avec notre croyance: ne pleurons plus la perte de ceux qui nous sont chers et, quand l'heure du départ sonnera pour nous, allons, sans hésitation et sans retard auprès du Dieu qui nous appelle. Telle doit être dans tous les temps la conduite des serviteurs de Dieu, mais surtout à notre époque. Nous voyons, en effet, crouler le monde sous les fléaux qui l'envahissent de toutes parts. Le présent est bien triste ; l'avenir sera plus triste encore; cest donc un avantage pour nous de quitter promptement cette vie. Si vous voyiez les murailles de votre maison chanceler, le toit s'effondrer, l'édifice tout entier (car les édifices périssent aussi de vieillesse), vous menacer d'une ruine prochaine, ne vous hâteriez-vous pas de fuir? Si vous étiez assailli en mer par une violente tempête, si les flots soulevés vous menaçaient d'un naufrage prochain, ne vous hâteriez-vous pas de gagner le port? Mais, regardez donc, le monde chancelle, il tombe; ce n'est plus la vieillesse, c'est la fin des choses: tout annonce une chute imminente; et, lorsque Dieu, par un appel prématuré, vous arrache à tant de ruines, de naufrages, de fléaux de tout genre, vous ne l'en remerciez pas, vous ne vous en félicitez pas! Considérons, mes frères bien-aimés, que nous avons renoncé au monde, et que nous sommes sur la terre comme des étrangers et des voyageurs. Saluons le jour qui assigne à chacun son domicile véritable, le jour qui nous délivre des liens de cette vie pour nous rendre au Paradis et au royaume céleste. Qui donc, vivant sur la terre étrangère, ne se hâterait de revenir vers sa patrie? Quel homme, traversant les mers pour rejoindre sa famille, ne désirerait un vent favorable pour embrasser plus tôt ces êtres si chers? Notre patrie c'est le Ciel: là se trouvent nos ancêtres, c'est-à-dire, les patriarches; pourquoi ne pas nous hâter de jouir de leur vue ? Là nous attendent ceux qui nous sont chers: nos pères, nos frères, nos fils, l'assemblée entière des bienheureux, assurée de son immortalité, mais (311) inquiète de notre salut. Quel bonheur pour eux et pour nous de se rencontrer, de se réunir de nouveau! Quelle volupté dhabiter le royaume céleste sans craindre de mourir et avec la certitude de vivre éternellement! Peut-il exister une félicité plus complète? Là, se trouve lassemblée glorieuse des apôtres, le choeur des prophètes, le peuple innombrable des martyrs victorieux dans les combats et dans la souffrance. Là sont les vierges triomphantes qui ont soumis aux lois de la chasteté le concupiscence de la chair. Là sont les miséricordieux qui ont distribué aux pauvres dabondantes aumônes et qui, selon le précepte du Seigneur, ont transporté leur patrimoine terrestre dans les trésors du Ciel. Hâtons-nous, mes frères, de nous joindre à cette auguste assemblée; souhaitons dêtre bientôt avec eux en présence du Christ. Que cette pensée soit connue de Dieu; que le Christ, notre maître, la trouve gravée dans nos coeurs. Plus nos désirs seront ardents, et plus la récompense quil nous destine sera abondante. |