De l'Ecriture Sainte

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DE L’ÉCRITURE SAINTE.

 

Le docteur Martin Luther parlant une fois de la Bible ou de l'Écriture sainte avec Philippe Mélanchton, avec le docteur Juste Jonas et avec d'autres, dit qu'elle était comme une très-grande et vaste forêt où croissent toutes sortes d'arbres en très-grand nombre et où l'on pouvait cueillir du fruit en abondance; car l'on trouvait dans la Bible : consolation, instruction, édification, 

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admonition et satisfaction ; et il ajouta qu'il n'y avait aucun arbre dans cette forêt qu'il n'eût secoué et dont il n'eût fait tomber un couple de fruits. 

Le docteur Luther dit une fois que la Bible était la parole et le livre de Dieu, et que tout ce qui existe et ce qui est dans le monde est décrit dans le premier livre de Moïse sur la création. Un grand nombre de princes ont tenté de détruire et d'anéantir ce livre; le roi Alexandre le Grand, les souverains de l'Egypte et de Babylone, les monarques de la Perse, de la Grèce et de Rome, les empereurs Jules-César et Auguste ; mais ils n'ont pu accomplir leurs projets, elle Livre est demeuré triomphant et entier, tel qu'il avait été écrit. Qui est-ce qui le conserve, et qui est-ce qui l'a protégé contre de si rudes attaques? Personne sur la terre; mais c'est Dieu môme; et ce n'est pas sans un grand miracle que ce livre a été conservé, car le diable et le monde lui sont très-hostiles. Et je crois que le diable a détruit beaucoup de bons livres que possédait l'Église, tout comme il a tué et mis à mal un grand nombre de saints personnages à l'égard desquels nous sommes aujourd'hui dans l'ignorance; mais il a été forcé de laisser subsister la Bible. Le baptême, le sacrement de l'autel, du véritable corps et du sang de Jésus-Christ, et la prédication nous sont également restés pour nous défendre contre tant de tyrans et de persécuteurs. Homère, Virgile et semblables grands, beaux et utiles livres, sont des livres d'une grande antiquité, mais ils ne sont rien en comparaison de la Bible. 

Le docteur Luther parla un jour des livres apocryphes de l'Écriture (1), et il dit: « L'auteur du livre de l’Ecclésiastique proche 

1 Les protestants rejettent, sous le nom d'écrits apocryphes de l'ancien Testament, les livres et portions de livres ci-après, qui ne sont pas dans l'hébreu, qu'on ne trouve que dans les Septante et que l'Eglise romaine a admises . leur donnant la désignation de deutéro-canoniques : Tobie, Judith, la Sagesse, l'Ecclésiastique, Barritch, les Machabbées, Esther depuis le ch. X, v. 4, jusqu'au ch. XVI, v. 24, Daniel, ch. III, v. 24 à 90, et ch. XIII et XIV. 

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bien la loi, mais il n'est pas un prophète. Ce n'est pas l'ouvrage de Salomon, et les Proverbes aussi, qui portent le nom de ce monarque, ont été recueillis par d'autres. Quant au troisième livre, celui d’Esther, je le jette dans l'Elbe. Le livre de Judith n'est pas une histoire, mais un poème, une composition dans le genre des légendes des saints. Le livre de Tobie estime comédie. Je suis tellement ennemi du second livre des Macchabées et du livre d'Esther, que je voudrais qu'ils ne nous fussent point parvenus. Les discours d'aucun des prophètes n'ont été mis intégralement par écrit; c'est plus tard que leurs disciples et leurs auditeurs ont réuni l'un un discours, l'un un autre, y ajoutant après coup et en formant ainsi la collection. 

Pendant la papauté, la Bible était inconnue aux peuples (1). Le docteur Carlstadt ne commença à lire la Bible que huit ans après avoir été nommé docteur ; cette lecture l'amena, ainsi que le docteur Pierre Lupin, à entreprendre celle des écrits d'Augustin 

Comme l'on parlait un jour de la traduction de la Bible, le docteur Luther dit que 341 ans avant la naissance de Jésus-Christ, les Septante, c'est-à-dire les soixante et dix interprètes, docteurs et scribes de Jérusalem, avaient traduit les cinq livres 

1 La première traduction complète de la Bible en français , œuvre de Jacques Le Fèvre, parut à Anvers en 1530. L'Italie avait déjà la version de Nicolo di Mallermi, mise au jour à Venise en 1471 et plusieurs fois réimprimée dans le quinzième siècle. En espagnol, nous n'avons rien à citer avant la Bible imprimée à Ferarre en 1553 ; mais une traduction limousine avait été exécutée à Valence en 1478. La plus ancienne Bible en langue allemande porte la date de 1477 (Augsbourg), chez A. Sorg. L'ancien Testament, mis en hollandais, sortit en 1477 des presses de Jacob Jacobs, à Delft. On connaît deux bibles bohémiennes, Prague, 1488, et Kuttenberg, 1489 ; mais ce ne fut qu'en 1535 que parut une traduction complète en anglais. On voit cependant que l'assertion de Luther est trop absolue. 

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de Moïse et les Prophètes, de l'hébreu eu grec, du temps du grand-prêtre Eléazar et à la demande du roi d'Egypte, Ptolémée Philadelphe, et ce roi avait dépensé de grosses sommes pour avoir cette traduction (1). Cent vingt-quatre ans après la monde Jésus-Christ, un Juif, nommé Aquila, après avoir embrassé la foi chrétienne, traduisit l'ancien Testament de l'hébreu en grec, du temps de l'empereur Adrien. Cinquante-trois ans après cet Aquila, vivait Théodose, qui a aussi traduit la Bible. Et  Symmaque, trente ans après Théodose, a également accompli la même tâche sous l'empereur Sévère ; et, huit ans après Symmaque, un docteur, dont le nom n'est pas connu, a aussi traduit la Bible, et celle traduction, qui est la cinquième, est celle qui est généralement reçue. 

Saint Jérôme corrigea le travail des Septante et des autres traducteurs, et il fit passer la Bible de l'hébreu en latin, et sa version est encore aujourd'hui en usage dans les Églises. Il a accompli ce qui paraissait impossible à un seul homme, mais il n'aurait point mal fait s'il avait appelé à son aide un ou deux savants personnages, car alors l'Esprit saint se serait manifesté à lui avec plus de force, ainsi que le Seigneur l'a dit dans l'Evangile de saint Matthieu : « Lorsque deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux. » Et un traducteur ne doit pas être seul, car les mots propres et les expressions justes ne s'offriront pas toujours à lui. Les ennemis de la vraie foi se sont toujours opposés à ce que la Bible fût répandue et qu'elle fût mise dans le langage vulgaire, et nous devons rendre de vives actions 

1 Une histoire détaillée des Septante ou des soixante-douze interprètes qui traduisirent la bible en grec, à la demande de Ptolémée Philadelphe, nous est parvenue sous le nom d'Aristée; mais la critique moderne regarde le tout comme une fable imaginée par quelque juif d'Alexandrie. Il est hors de doute que la version des Septante a été faite par parties et à  diverses époques, mais antérieurement à la conquête de l'Egypte par les Romains. 

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de grâces à Dieu de ce que nous avons pu ici même, à Wittemberg, la traduire en langue allemande.

Le docteur Luther dit un jour que la sainte Ecriture était pleine de vertus et de dons spirituels, et que tous les livres des Mens n'enseignaient rien au sujet de la foi, de l'espérance et de la charité; ils ne donnaient aucune notion à cet égard et ils ne concernaient que ce qui est terrestre et ce que la raison peut comprendre, mais il ne fallait y chercher nul motif de confiance et d'espoir en Dieu. Nous n'avons qu'à voir dans le Psautier et dans le livre de Job combien ces deux livres renferment de traits pour nous portera la foi, à la résignation et à la prière. En somme, l’Ecriture sainte est le plus parfait et le meilleur des livres, remit de consolation pour toutes les tribulations; il nous enseigne qu’à cette vie misérable et douloureuse succède une autre vie éternelle.

Il vint une fois chez le docteur Luther le fils d'un docteur renommé, un étudiant actif, zélé et recommandable, qui ne perdait point son temps à éparpiller de çà et de là son application, et qui ne prétendait pas s'élever tout d'un coup aux sommités de la science, mais qui s'en tenait à la base et aux premiers éléments de ses études. C’est-à-dire à ses Institutions du droit, et il les étudiait avec beaucoup d'assiduité. Les convives du docteur Luther lui firent un grand éloge de ce jeune homme et le docteur Luther dit : « Il agit ainsi sans doute d'après les conseils et les recommandations de son père. Lorsqu'il se sera bien rendu maître des principes et du texte de la loi, il ne courra pas risque de commettre d'erreurs. Il en est de môme d'un théologien; il doit posséder parfaitement la base et la source de la foi, c'est-à-dire la sainte Ecriture. C'est ainsi que j'ai confondu et réduit au silence tous mes adversaires, car ils s'occupent peu d'approfondir l'Écriture; ils la parcourent avec négligence et sans se réveiller tout à fait : ils enseignent, ils écrivent, ils parlent suivant ce que leur imagination leur suggère. M'est avis qu'il faut aller chercher l'eau à la source ou a la fontaine, c'est-à-dire s'adonner a la lecture de la Bible. Celui qui en possédera à fond le texte sera un théologien consommé, bien souvent un seul verset, une seul verset, une sentence du texte en apprend plus qu'une foule de gloses et 

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de commentaires qui manquent de force et qui ne nous enfoncent rien dans le cœur. 

«N'abandonnons point la Bible, disait un jour le docteur Luther, mais lisons-la et prêchons-la avec zèle et dans la crainte de Dieu; partout où elle fleurit, prospère et obtient l'attention convenais, tout va bien. Elle est la souveraine et l'impératrice de toutes les sciences et de toutes les facultés.» 

Les choses se maintiendront tant que ceux qui sont encore en vie et qui s'appliquent avec zèle à la parole de Dieu, tant que Philippe Mélanchton et d'autres pieux et savants personnages qui m'ont vu et entendu, seront encore de ce monde; mais après leur mort, et lorsque ce temps-ci sera passé, il y aura une grande décadence. Et nous en avons un exemple dans le livre des Juges. Car il y est dit (ch. II, v. 10) : « Toute cette génération avait été recueillie avec ses pères, puis une autre génération s'était levée après eux qui n'avait point connu l'Eternel, ni les œuvres qu'il avait faites pour Israël. » De même, après la mort des apôtres, il y eut des chutes éclatantes, et même, lorsqu'ils étaient encore en vie, il survint dans l'Eglise, ainsi que saint Paul s'en est plaint, une grande chute parmi les Galates, les Corinthiens et en Asie. Et nous aurons beaucoup à souffrir des sacramentaires, des anabaptistes, des antinomiens et des autres sectaires. 

Le docteur Juste Jonas, étant une fois à table avec le docteur Martin Luther, dit qu'il y avait dans l'Ecriture sainte une sagesse si profonde que personne ne pouvait l'étudier à fond, ni la comprendre entièrement; et le docteur Luther dit alors : « Nous sommes en effet des écoliers, car nous ne saurions prétendre à approfondir complètement un seul verset de l'Ecriture, et nous ne réussissons qu'à en saisir l'A, B, C, et même imparfaitement. 

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C’est ainsi que nous ne saurions nous élever à tout ce que renferme cette ligne d'une épitre de saint Pierre (Ière ép., ch. IV, v. 13) : « Autant que vous participez aux souffrances de Jésus-Christ, réjouissez-vous, afin qu'aussi à la révélation de sa gloire unis soyez remplis de joie. » Saint Pierre veut que nous soyons gais et joyeux dans la tribulation, et que nous baisions, comme des enfants, les verges qui nous frappent. Que pensent de cela ces épicuriens, ces esprits orgueilleux qui méprisent et corrompent l'Ecriture sainte, tout en prétendant qu'ils l'ont étudiée; ces gens qui sont, comme les docteurs S. et M. E., la peste et le poison de la religion, et dont l'aveuglement et la folie sont le fruit de leur défaut d'attention et d'obéissance à la parole de Dieu? Ah ! mon Dieu ! comme nous devrions agir avec tremblement en la sainte présence et nous soumettre à ta parole, la méditant et liens y appliquant de notre mieux ! Nous voyons que les païens eux-mêmes étaient remplis de tant de zèle et d'ardeur pour leur fausse religion, que les jeunes femmes et les matrones ont con sacre leurs cheveux à l'ornement des temples. » 

Le docteur s'étendit beaucoup un autre jour touchant la grande puissance de l'Ecriture sainte, et combien elle était au-dessus de toutes les connaissances des jurisconsultes et des philosophes. Ces dernières étaient choses bonnes et utiles, mais elles étaient mortes et sans vie en comparaison de la Bible. Il fallait la voir avec d'autres yeux que tout autre livre. 

Le docteur Luther dit une autre fois que les enfants du monde croyaient qu'il n'y avait rien de si facile que l'étude de la théologie, mais qu'ils se trompaient beaucoup; et il dit : « Je donnerais tous mes doigts, à l'exception de trois, pour que ce fût aussi aisé qu'ils se l'imaginent. »

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En 1546, le docteur Luther se rendit à Eisleben où il ne passa que deux jours, et il écrivit sur une Lande de papier un passage eu latin qu'il plaça sur sa taule. Le docteur Juste Jouas, surintendant à Halle, qui était alors à Eisleben, a gardé ce papier, et moi, Jean Aurifaber, je l'ai copié. « Personne ne peut bien comprendre les Bucoliques de Virgile, s'il n'a été cinq ans pasteur. Personne ne peut comprendre les Georgiques de Virgile, s'il n'a été cinq ans cultivateur. Personne, à mon avis, ne peu comprendre à fond les Epîtres de Cicéron, s'il n'a clé, durant vingt ans, mêlé aux affaires publiques d'un Etat. Que personne ne se croie en état de comprendre l'Ecriture sainte s'il n'a, durant cent ans, gouverné l'Eglise avec les prophètes, avec Elie et Elisée, saint Jean-Baptiste, avec Jésus-Christ et les apôtres. N'y prétends donc point, mais adore les traces de cette Enéide divine. Nous ne sommes que des mendiants; telle est la vérité. 10 février de l'an 1510. » 

Une autre fois, le docteur Luther dit que les puissants et la docteurs ne comprennent pas la parole de Dieu, mais qu'elle se révèle aux petits et aux humbles, ainsi que le Sauveur en a rendu témoignage dans l'Evangile selon saint Matthieu XI, v. 25,) : « O Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as caché ces choses aux sages et aux entendus, et tu les as révélées aux petits enfants. » Et il ajouta : « Grégoire a eu bien raison de dire que l'Ecriture sainte est un torrent d'eau vive où un éléphant peut nager et qu'un agneau peut passer sans que ses pieds cessent de toucher le fond.» 

Le docteur Juste Jonas parla un jour au docteur Marlin Luther d'un homme noble et puissant du pays de Misnie qui s'appliquait par-dessus toutes choses a ramasser beaucoup d'or et beaucoup d'argent, et qui était tellement livre à son aveuglement, qu'il ne taisait nul cas des cinq livres de Moïse. Ce noble avait une fois répondu au duc Jean-Frédéric, électeur de Saxe, qui l'entretenait longuement de l'Evangile : « Seigneur, l’Evangile ne rapporte 

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porte aucun profit. » Alors le docteur Luther dit : « Y avait-il là du son ? » Et il raconta une fable, comme quoi le lion avait un jour invité tous les animaux à un festin et ils avaient été traités splendidement, et la truie avait été également invitée. Et, lorsqu'elle vit la table couverte des mets les plus recherchés et les plus exquis, elle demanda : « Y a-t-il du son? » Il en est de même, ajouta le docteur, de nos épicuriens. Nous autres prédicateurs, nous leur offrons dans nos églises les mets les plus exquis et les plus inestimables, comme la vie éternelle, la rémission des péchés et la grâce de Dieu ; ils détournent leurs grouins et ne cherchent que des écus : on offrirait à une vache de la muscade, elle aimerait mieux manger de la paille d'avoine. Et ceci rappelle ce que les paroissiens d'un certain curé lui répondirent. Il se nommait Ambroise R., et comme il exhortait ses paroissiens à venir écouter la parole de Dieu, ils lui dirent : «Oui, notre digne curé, si vous faites apporter et défoncer dans l'église une barrique de bière, et si vous nous engagez à venir en prendre, nous irons volontiers vous écouter. » L'Evangile est à Wittemberg comme la pluie qui tombe dans l'eau et qui produit peu de bons effets, mais si cette pluie tombe sur une terre aride et desséchée du soleil, elle la rend fertile. 

Le docteur Luther dit un jour : « La grande ingratitude , le mépris de la parole de Dieu et la méchanceté que je vois régner dans le monde m'épouvantent, et me font craindre que la lumière divine ne cesse bientôt d'éclairer les hommes. Du temps des rois de Juda, Baal est déjà venu obscurcir la clarté de la parole de Dieu, et l'on a eu beaucoup à faire pour arracher son empire du cœur des hommes. Du temps même des apôtres, il y a eu des hérésies, des erreurs et de mauvaises doctrines répandues par de faux frères. Arius vint ensuite, et la parole de Dieu fut couverte de ténèbres, mais les saints Pères, Ambroise, Hilaire, Augustin, Athanase et beaucoup d'autres lui rendirent son éclat. La Grèce et beaucoup d'autres pays ont eu la parole de Dieu , mais elle les a abandonnés. Il est à craindre qu'elle 

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ne quitte l'Allemagne et ne passe en d'autres contrées. J'espère que le jugement dernier n'est pas loin et qu'il ne se fera pas attendre beaucoup d'années. Les ténèbres s'épaississent et les bons serviteurs appliqués aux bonnes œuvres deviennent de plus en plus rares; l'impiété et la licence prévalent dans le monde et nous vivons comme des truies, comme des bêtes sauvages privées de raison. Mais une voix se fera tout à coup entendre : « Voici que l'époux arrive. » La patience de Dieu sera épuisée, il viendra châtier, au dernier jour, le mépris de sa parole. 

Le docteur Luther dit : « Tous les maux qui nous affligeai viennent de ce que l'Ecriture sainte est délaissée ; il y aura bientôt une telle pénurie de prédicateurs et de desservants, qu'il faudra renoncer à entendre la parole de Dieu. Il reste assez de médecins et de jurisconsultes pour mener le monde, mais il faut avoir deux cents ministres dans un pays où un seul jurisconsulte serait suffisant. Quand même il n'y aurait à Erfurth qu'un seul jurisconsulte, ce serait assez. Mais il n'en est pas de même pour les ministres; chaque village et chaque hameau doit avoir le sien. Mon Dieu! l'électeur de Saxe aurait assez de vingt jurisconsultes pour tous ses sujets, mais il lui faut bien dix-huit cents ministres. Nous serons obligés de faire des ministres avec les gens de loi et avec les docteurs en médecine. » 

Le docteur Luther dit un jour que ceux qui ne voulaient point prêter l'oreille à ses instructions tant qu'il était en vie, se réjouiraient aussitôt qu'il serait mort , et il ajouta : « Que chacun songe à récolter tant que la moisson est encore sur pied, ainsi que notre Seigneur l'a recommandé (saint Jean, ch. XII, v. 35). » Et il recommanda la lecture continuelle, et la méditation attentive de l'Ecriture sainte. 

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Une fois on annonça au docteur Luther une fâcheuse nouvelle tandis qu'il était à table ; il dit : « L'Evangile nous annonce toujours d'heureuses nouvelles, étoiles sont certaines, puisqu'elles nous viennent du ciel et que c'est Jésus-Christ, notre sauveur, qui nous les envoie ; autrement il est bien difficile de recevoir d'heureuses nouvelles en ce monde. C'est un bien grand don et une grande grâce que d'être persuadés que Dieu nous a parlé ; si nous en étions pleinement convaincus, nous serions heureux.» 

Quand je suis dans de rudes tribulations, alors j'aime mieux me mêler parmi mes pourceaux que de rester seul et de me trouver dans la solitude. Le cœur humain est comme une meule dans un moulin ; lorsque l'on jette dessus du grain, elle tourne, le brise, le broie et le réduit en farine ; mais s'il n'y a pas de grain pour le moment, la meule tournant toujours s'use et s'amincit, et s'amoindrit elle-même de plus en plus; de même, le cœur d'une créature humaine a besoin d'être occupé ; s'il n'a pas les occupations de son état pour lui donner de l'emploi, le diable vient, il y lance des tribulations , des vexations, des pensées radieuses, et le cœur se consume de mélancolie, tellement qu'il doit sécher d'inanition et périr. Bien des gens se livrent à la perplexité et au chagrin jusqu'à ce qu'ils en meurent, ainsi que l'a dit Syrach. 

Le docteur Luther se plaignit un jour de la multitude des livres, disant qu'il n'y avait ni terme ni mesure dans cette occupation d'écrire, et que chacun voulait s'ériger en auteur, et il dit : « Les uns agissent ainsi par vanité, parce qu'ils veulent devenir célèbres et acquérir un nom. D'autres le font par amour du gain et du lucre, et ils augmentent ainsi le mal. La sainte Bible a été ensevelie et comme enterrée sous tant de commentaires et de livres, que l'on ne fait plus attention au texte. Dans toutes les sciences, les plus habiles sont ceux qui ont fait une lecture approfondie des textes et qui les possèdent complètement. Un bon jurisconsulte doit avoir parfaitement 

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présents les textes de la loi ; mais, de nos jours, l'attention ne s'est portée que sur les interprétations et les gloses. Quand j'étais jeune, je m'attachais beaucoup à la Bible, je la lisais assidûment et je m'en étais rendu le texte si familier, qu'il n'y avait pas un seul verset dont je ne susse où trouver la place. Je lus ensuite les commentateurs, mais je dus y renoncer et les écarter de moi, car j'y trouvais beaucoup de choses que ma conscience ne pouvait approuver et qui étaient contraires à la Bible, et il vaut beaucoup mieux voir avec ses propres yeux qu'avec ceux d'autrui. Je voudrais que tous mes livres fussent enfouis sous terre dans un trou de neuf aunes de profondeur, à cause du mauvais exemple qu'ils donneront, en ce sens que beaucoup de gens voudront m'imiter et qu'ils composeront une foule de livres, dans l'espoir qu'ils deviendront célèbres. Non, le Christ n'est pas mort pour favoriser notre vanité, et afin que nous obtenions de la gloire et de la renommée ; mais il est mort pour que son nom seul soit glorifié. » 

Je crois que les paroles du symbole des apôtres sont l'œuvre du Saint-Esprit; seul il peut énoncer d'aussi grandes choses en termes aussi précis, aussi expressifs, aussi forts. Aucune créature humaine n'aurait pu s'exprimer de la sorte ; dix mille mondes se seraient en vain efforcés d'y réussir. Les termes du symbole doivent donc être l'objet de la plus sérieuse attention. Pour moi, je ne saurais assez les admirer. 

Lorsque j'étais moine, j'étais fort versé dans les significations spirituelles, j'étais fort sur les allégories, il n'y avait en moi que de l'art; mais ensuite, lorsque l’épître aux Romains m'eut un peu mené à la connaissance de Jésus-Christ, je reconnus que toutes les allégories étaient vaines. Avant cette époque, je tournais tout en allégorie, même les besoins les plus humiliants de l'humanité. Mais ensuite je réfléchis sur les faits historiques, 

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je vis combien il était difficile que Gédéon combattit les ennemis de la façon dont l'Ecriture le raconte ; il n'y avait pas là d'allégories, ni de signification spirituelle , mais l'Esprit saint, dans ce passage, dit simplement que la foi a battu, avec trois cents hommes, une si grande multitude d'ennemis. Saint Jérôme et Origène (Dieu leur pardonne) ont été cause de ce que les allégories ont joui d'une si grande estime. mais Origène tout entier ne vaut pas une seule parole de Jésus-Christ. Maintenant j'ai renoncé à toutes ces folies, et ma meilleure méthode est d'interpréter l'Ecriture par le sens naturel ; c'est là qu'il y a vie, force et doctrine ; ailleurs il n'y a qu'absurdité, quelque soit l'éclat dont elle brille parfois. C'est de cette manière que Muntzer envisageait le chapitre de saint Jean : « Si un homme n'est pas né une seconde fois de l'eau, etc. » : l'eau, disait-il, signifie la tribulation ; mais saint Augustin nous a enseigné la règle véritable, c'est que les figures et allégories ne prouvent rien du tout. 

Quelqu'un demandait au docteur Luther son psautier qui était vieux et déchiré, lui promettant de lui en rendre un nouveau ; le docteur s'y refusa, parce qu'il était habitué à son exemplaire ». Il ajouta : « La mémoire locale est fort utile, et j'ai troublé la mienne en traduisant la Bible. C'est un conseil fort sage que de puiser à la source et de lire la Bible avec 

1 Bon nombre de savants, obligés de faire un fréquent usage de livres; partagent la façon devoir, la mante, si l'on veut, de Luther; ils s'accoutument si fortement aux exemplaires des ouvrages dont ils se servent d'habitude, qu'ils ne travailleraient pas aussi bien avec d'autres entièrement identiques, mais qu'ils n'ont pas l'habitude de feuilleter. On cite en ce genre l'obstination du traducteur d'Hérodote, Larcher, qui ne voulut jamais se servir que de volumes lui appartenant. Son collègue Langlès ayant reçu de Londres, à une époque où les communications étaient très-difficiles, le travail du célèbre Rennel sur la géographie de l'historien grec, s'empressa de le porter au vieux savant, le mit à sa disposition. Il fut bien surpris d'entendre Larcher le remercier sèchement et lui dire : « J'ai pour principe de ne jamais travailler avec des livres qui ne sont pas à moi.» 

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assiduité; celui qui possède bien les textes est un bon théologien. Un seul passage de la Bible a plus de vertu que quatre volumes de commentaires. Les Pères ont obtenu une grande autorité, cela a été au détriment de la Bible. » 

Les mots de la langue hébraïque ont une énergie particulière ; il est impossible de s'énoncer ainsi dans une autre langue. Pour bien se faire entendre, il ne faut pas traduire mot à mot, mais rendre le sens et l'idée. Lorsque nous lisons dans le Pentateuque: «ils frappèrent cette ville ; la bouche du glaive», ce sont des hébraïsmes. Nous nous ferons comprendre en disant: Ils dévastèrent cette ville; un glaive acéré. En traduisant Moïse, je voudrais en ôter les hébraïsmes, mais c'est une rude tâche qu'une semblable traduction, et il se rencontre toujours dos gens qui prétendent en savoir plus que nous; ils me reprennent sur un mot, et je pourrais, s'ils faisaient le travail que j'ai accompli, les attaquer sur cent. 

Le docteur Luther parlait souvent de l'efficacité de l'Ecriture sainte «qui surpasse de beaucoup tous les autres arts et toute la science des philosophes, des jurisconsultes, des médecins, quoique celle-ci soit bonne et nécessaire à la vie, mais qui est vainc et morte pour ce qui concerne la vie éternelle. La Bible doit être regardée avec des yeux tout autres que les écrits des auteurs profanes. Celui qui renonce à lui-même fera de grands progrès dans la Bible; et le monde ne peut le comprendre, puisqu'il ignore la mortification qui est un don de Dieu. Remarquez qu'Adam, qui n'eut que deux fils, appela le premier Caïn , c'est-à-dire possesseur, maître; Eve pensait que son second enfant serait une fille; mais quand elle eut un fils, elle lui donna le nom d'Abel, qui signifie vanité, néant, comme pour dire : «Je suis misérablement trompée dans mou attente. » C'est la figure du monde et de l'Eglise; car l'impie Caïn est le maître de la terre, et 

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le pieux Abel est assujetti, vexe, maltraite ; mais en présence de Dieu, c'est tout l'opposé ; l'un est choisi , l'autre rejeté. Ismaël est un très-beau nom, auditeur de Dieu ; Absalon signifie le père de la paix ; mais ce furent des impies, des séditieux et des rebelles à la parole de Dieu. Il nous faut aimer la Bible et nous y appliquer avec beaucoup d'assiduité. » 

Quiconque reconnaît que les Évangélistes ont rapporté la parole de Dieu, sera bienvenu de nous; quant à celui qui le nie, je ne lut adresserai pas un mot, car l'on ne peut disputer avec ceux qui rejettent les premiers principes; les Juifs, les gentils, les Turcs conviennent que la Bible est un livre sacré. Il lui a rte rendu les témoignages les plus complets. — Maître Forstheim dit alors : « Selon bien des gens, le Pentateuque n'est pas l'œuvre de Moïse (1).» Le docteur Luther répondit : «Qu'importe? Si ce n'est pas Moïse qui l'a écrit, c'est toujours le livre de Moïse, qui a très-bien relaté la création du monde. Il faut éviter de traiter des questions inutiles et dépourvues de sens. » 

Le docteur Luther dit un jour que Dieu lui-même nous parlait dan» sa sainte Ecriture : « Si vous le croyez du fond de votre cœur, songez à ce que mérite celui qui pense d'une manière et qui agit de l'autre. D'un seul mot Dieu ébranle le monde entier; c'est ce qu'a fort bien énoncé le psalmiste : « l'Éternel a dit, et ce qu'il a dit a eu son être ; il a commandé, et la chose a comparu. » 

1 Cette idée a été reproduite à diverses reprises, notamment par Richard Simon, dans son Histoire critique du Vieux Testament. Ce téméraire oratorien attribuait les livres de Moïse à des scribes du temps d'Esdras, lesquels, selon lui, les auraient rédigés sous la direction de la grande synagogue. 

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Oh! qu'il est beau et heureux d'avoir devant soi la parole de Dieu ! L'on peut alors en tout temps être dans l'allégresse et dans la sûreté; l'on ne peut manquer de consolations; l'on voit dans toute sa clarté le chemin de la pureté et de la droiture. Celui qui perd de vue la parole de Dieu tombe dans le désespoir ; la voix du ciel ne le soutient plus ; il ne suit que les penchants déréglés de son cœur et la vanité qui le mènent à sa perte. David avait eu bien raison de dire : « Seigneur, tu as rudement tancé les orgueilleux maudits qui se dévoient de tes commandements ! » c'est-à-dire, qui ne veulent pas se soumettre à ce qu'enjoint la parole de Dieu. 

Il faut savoir administrer avec discernement la parole de Dieu, car il y a diverses sortes de gens ; les uns sont troublés et effrayés dans leurs consciences; leurs péchés les épouvantent, la colère divine les fait trembler, ils se repentent et frémissent : il faut leur offrir les consolations que présente l'Évangile. Il y a d'autres gens rebelles, endurcis, au cœur révolté et indocile: ceux-là , il faut les effrayer et leur citer les exemples du courroux de Dieu, tels que le feu descendant à la voix d'Élie ( 2e livre des Rois, ch. V), le déluge, la destruction de Sodome et de Gomorrhe, la ruine de Jérusalem. Sur ces cervelles opiniâtres et revêches frappez fort et dur. 

Le docteur Luther parla un jour sur ces paroles de Jésus-Christ : « Si quelqu'un m'aime , il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui » ; et il dit que le ciel et la terre, que tous les rois et empereurs ne sauraient parvenir à construire un château digne que Dieu vint l'habiter; tandis qu'il vient résider, de grand cœur, en l'homme qui observe sa parole. Isaïe a dit ( chap. LXVI, v. 1 ) que les cieux étaient le trône de l'Éternel et la terre le marchepied de ses pieds ; il n'a pas dit que ce fût sa 

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résidence. Lorsqu'on cherche où habite Dieu, on trouve que c'est dans le cœur de ceux qui accomplissent la parole de Jésus-Christ. Il a dit lui-même : « Celui qui m'aime observe mes commandements, et nous ferons en lui notre demeure. » Rien ne pouvait être plus simple, plus clair que cette injonction du Sauveur ; elle peut faire honte à tous les docteurs. Il n'a pas voulu s'exprimer d'une manière sublime, mais de la façon la plus humble; il ne dit pas: Renoncez aux femmes, à l'argent, aux viandes; mais il recommande tout simplement l'observation de sa parole. Si je voulais instruire un enfant, c'est ainsi que je m'y prendrais pour l'enseigner. 

J'exhorte tout chrétien pieux à ne pas se troubler ni se mettre en peine, s'il rencontre dans la Bible des discours et des histoires qui le choquent: qu'il réfléchisse que ce qui peut lui paraître bas ou étrange émane toujours de la souveraine majesté , puissance et sagesse. Le livre saint fait tomber au rang des fous les docteurs et les habiles; il n'y a que les gens pieux et simples de cœur qui puissent le comprendre, ainsi que l'a dit Jésus-Christ, « Tu as caché ces choses aux sages et aux entendus, et tu les as révélées aux petits enfants » ( S. Matth. ch. XI, v. 25). Tenons-nous-en donc à cette source d'une abondance souverainement riche, qui ne peut jamais s'épuiser et dont on ne saurait trouver le fond. L'Écriture contient des langes et des haillons dont l'aspect est misérable , mais ils enveloppent Jésus-Christ, tel qu'il était dans la crèche. 

On demanda au docteur Luther comment Dieu s'était montre aux patriarches. Car saint Jean a dit : « Nul homme ne vit jamais Dieu » ( chap. I, v. 18 ), tandis que Jacob s'exprime ainsi (Genèse, ch. XXXII, v. 30) :« J'ai vu Dieu face à face. » Le docteur répondit : « Dieu a converse avec les patriarches en se montrant à eux, mais sous un voile; ce n'est pas Dieu lui-même 

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qu'ils ont vu , mais la figure de Dieu (1). » La parole divine , tel sacrements et l'Église sont pour nous l'emblème de la présence de Dieu, et c'est ainsi qu'il se manifeste ; mais le monde impie et corrompu ferme les yeux à la lumière. 

1 le savant oratorien Houbigant, éditeur de la belle Bible hébraïque, mise au jour à Paris en 1753 ( 4 vol. in-folio), a discuté, dans une dissertation spéciale, la question qu'effleure ici Luther. Il s'est proposé d'expliquer ce que disent les anciens Pères, principalement les Pères grecs, des fréquentes apparitions du Fils de Dieu aux patriarches avec une nature inférieure a la nature divine.

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