LE XXIV NOVEMBRE. SAINT JEAN DE LA
CROIX, CONFESSEUR.
Suivons l'Eglise se dirigeant
vers le Carmel, pour y porter l'hommage reconnaissant du monde. Sur les pas de
Thérèse de Jésus, Jean de la Croix s'est levé, frayant aux âmes en quête de
Dieu un chemin sûr.
L'évolution qui inclinait les
peuples au délaissement de la prière sociale, menaçait de compromettre
irréparablement la piété, quand, au XVIe siècle, la divine bonté suscita des
Saints dont la parole comme la sainteté répondissent
aux besoins de ces temps nouveaux. La doctrine ne change pas ; l'ascétique, la
mystique de ce siècle transmirent aux siècles suivants les échos de ceux qui
avaient précédé. Leur exposé se fit toutefois plus didactique, leur analyse
plus serrée; leurs procédés se prêtèrent à la nécessité de secourir les âmes
que l'isolement livrait au risque de toutes les illusions. C'est justice de
reconnaître que, sous l'action toujours féconde de l'Esprit-Saint,
la psychologie des états surnaturels en devint plus étendue et plus précise.
Les chrétiens d'autrefois, priant
avec l'Eglise, vivant chaque jour, à toute heure, de sa vie liturgique,
gardaient son empreinte en toutes circonstances dans leurs relations
personnelles avec Dieu. Et de la sorte
il arrivait que, sous
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l'influence persévérante et
transformante de l'Eglise, participant aux grâces de lumière et d'union, à
toutes les bénédictions de cette unique bien-aimée, de cette unique agréée de
l'Epoux (1), c'était sa propre sainteté
qu'ils s'assimilaient sans labeur autre que de suivre docilement leur Mère, ou
de se laisser porter dans ses bras très sûrs. Ainsi s'appliquaient-ils la
parole du Seigneur: Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous
n'entrerez point dans le royaume des cieux (2).
Qu'on ne s'étonne pas de ne point
remarquer près d'eux, aussi fréquente et assidue que de nos jours, l'assistance
de directeurs spéciaux attachés à leurs propres personnes. Les guides
particuliers sont moins nécessaires aux membres d'une caravane ou d'une armée :
ce sont les voyageurs isolés qui ne peuvent s'en passer ; et même avec ces
guides particuliers, la sécurité, pour eux, ne sera jamais comparable à celle
de quiconque suit la caravane ou l'armée.
C'est ce que comprirent au cours
des derniers siècles les hommes de Dieu qui, s'inspirant des aptitudes
multiples des âmes, donnèrent leurs noms à des écoles, unes quant au but,
diverses quant aux moyens proposés par elles à l'encontre des dangers de
l'individualisme. Dans cette campagne de redressement et de salut, où l'ennemie
redoutable entre toutes était l'illusion aux mille formes, aux subtiles
racines, aux détours infinis, Jean de la Croix fut la vivante image du Verbe de
Dieu, pénétrant mieux qu'un glaive acéré jusqu'à la division de l'esprit et
de l'âme, des moelles et des jointures, scrutant, révélateur inexorable,
intentions et pensées des cœurs (3). Ecoutons-le :
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bien que moderne, on reconnaît en
lui le fils des anciens.
« L'âme, écrit-il, est faite pour
parvenir à une connaissance fort étendue, et pleine de saveur, des choses
divines et humaines, qui s'élève bien au-dessus de sa science naturelle. Autant
le divin est éloigné de l'humain, autant la lumière et la grâce de l'Esprit-Saint diffèrent de la lumière des sens (1). Aussi
avant d'arriver à la divine lumière de la parfaite union d'amour, dans la mesure
où cela est possible en ce monde, l'âme doit traverser la nuit obscure,
affronter ordinairement des ténèbres si profondes que l'intelligence humaine
est impuissante à les comprendre et la parole à les exprimer (2).
« La purification qui conduit
l'âme à l'union divine peut recevoir la dénomination de nuit pour trois
raisons. La première se rapporte au point de départ; car, en renonçant à toutes
les choses créées, l'âme a dû tout d'abord priver ses appétits du goût qu'ils y
trouvaient. Or ceci est indubitablement une nuit pour tous les sens et tous les
instincts de l'homme.
« La seconde raison est la voie
même qu'il faut prendre pour atteindre l'état bienheureux de l'union. Cette
voie n'est autre que la foi, nuit vraiment obscure pour l'entendement.
« Enfin la troisième raison est
le terme où l'âme tend. Terme qui est Dieu, être incompréhensible et infiniment
au-dessus de nos facultés, et qu'on peut appeler par là même une nuit obscure
pour l'âme durant son pèlerinage ici-bas.
« Ces trois nuits
à traverser par l'âme sont
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figurées au Livre de Tobie par les
trois nuits que, sur l'ordre de l'Ange, le jeune Tobie laissa écouler avant de
s'unir à son épouse (1). L'Ange Raphaël lui commanda de brûler pendant la
première nuit le foie du poisson, symbole d'un cœur affectionné et attaché aux
choses créées. Quiconque désire s'élever à Dieu doit, dès le début, purifier
son cœur dans le feu de l'amour divin et y consumer tout ce qui appartient au
créé. Cette purification met en fuite le démon , qui
auparavant avait puissance sur l'âme pour la faire adhérer aux plaisirs
temporels et sensibles.
« L'Ange dit à Tobie que dans la
seconde nuit il serait admis en la compagnie des saints Patriarches, qui sont
les pères de la foi. De même l'âme, après avoir traversé la première nuit,
figurée par la privation de tout ce qui flatte les
sens, pénètre sans obstacle dans la seconde. Là, étrangère à tous les objets
sensibles, elle demeure dans la solitude et la nudité de la foi, l'ayant
choisie pour son unique guide.
« Enfin, pendant la troisième
nuit il fut promis à Tobie une abondante bénédiction. Dans le sens qui nous
occupe, cette bénédiction est Dieu lui-même qui, à la faveur de la seconde
nuit, c'est-à-dire de la foi, se communique à l'âme d'une manière si secrète et
si intime, que c'est un autre genre de nuit plus profonde que les précédentes.
L'union avec l'Epouse, c'est-à-dire avec la Sagesse de Dieu, se consomme quand
la troisième nuit est écoulée, nous voulons dire, lorsque cette communication
de Dieu à l'esprit est achevée (2). « O âmes spirituelles ! ne
vous plaignez pas de sentir vos puissances livrées à l'angoisse des
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ténèbres, vos affections stériles
et paralysées, vos facultés impuissantes à tout exercice de la vie intérieure.
En vous enlevant votre manière imparfaite d'agir, le Seigneur vous délivre
ainsi de vous-même. Malgré le bon emploi que vous eussiez fait d'ailleurs de
vos facultés, leur impureté et leur ignorance ne vous eussent jamais permis
d'obtenir un résultat aussi parfait et une sécurité aussi entière. Dieu vous
prend parla main, et se fait lui-même votre conducteur au milieu des ténèbres.
Il vous guide comme un aveugle par un chemin inconnu, vers le terme où ni vos
lumières ni vos efforts n'eussent jamais pu vous conduire (1). »
Nous aimons à laisser les Saints
décrire eux-mêmes les voies qu'ils parcoururent, et dont ils demeurent, en
récompense de leur fidélité, les guides reconnus dans l'Eglise. Ajouterons-nous
qu' « il faut prendre garde, dans les peines de ce genre, à ne pas exciter la
commisération du Seigneur avant que son œuvre soit achevée ? On ne peut s'y
méprendre : telles grâces que Dieu fait à l'âme ne sont pas nécessaires au
salut, mais elles doivent être payées d'un certain prix. Si nous nous montrions
par trop difficiles, il se pourrait que, pour ménager notre faiblesse, le
Seigneur nous laissât retomber dans une voie inférieure, ce qui, au regard de
la foi, serait un irréparable malheur.
« Mais dira-t-on, qu'importe, puisque
cette âme se sauvera? Il est vrai, mais notre intelligence ne saurait apprécier
la supériorité d'une âme qui pourrait devenir l'émule des chérubins ou des
séraphins, sur celle qui ne saurait être assimilée qu'aux hiérarchies
inférieures. Une fausse
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modestie ou l'amour du médiocre ne
saurait avoir légitimement cours en ces matières (1).
« Il importe plus qu'on ne
saurait le dire aux intérêts de la sainte Église et à la gloire de Dieu que les
âmes vraiment contemplatives se multiplient sur la terre. Elles sont le ressort
caché et le moteur qui donne l'impulsion sur terre à tout ce qui est la gloire
de Dieu, le règne de son Fils, et l'accomplissement parfait de la divine
volonté. En vain multipliera-t-on les œuvres, les industries, et même les
dévouements : tout sera stérile, si l'Eglise militante n'a pas ses saints qui
la soutiennent dans l'état de voie, celui que le Maître a choisi pour racheter
le monde. Certaines puissances et certaines fécondité?
sont inhérentes à la vie présente ; elle a, de soi, si
peu de charmes, qu'il n'était pas inutile d'en relever ainsi le mérite
(2). »
Voici la vie de saint Jean de la
Croix racontée par la sainte Eglise.
Jean de la Croix naquit de
parents pieux à Hontiveros, en Espagne. On vit clairement , dès ses premières années, combien il serait
agréable à la Vierge Mère de Dieu; car tombé dans un puits à l'âge de cinq ans,
il en sortit sain et sauf, soutenu par la main de cette bienheureuse Vierge.
Dans son grand désir de souffrir, à neuf ans , il prenait
pour s'endurcir l'habitude de coucher sur des sarments. Adolescent, il se consacra au service des
pauvres malades dans l'hôpital de Médina del Campo ;
grande s'y montra l'ardeur de sa charité, dans le zèle qui le faisait s'empresser
près d'eux aux plus vils offices et excitait, par la force de l'exemple , l'ardeur des autres pour les mêmes œuvres
charitables. Cependant appelé plus haut,il embrassa l'institut de la
bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel, ou, fait prêtre par
obéissance, et désireux d'une discipline
plus sévère et d'une vie plus dure, il s'attacha, du consentement de son supérieur,
à pratiquer la règle primitive de l'Ordre. On le vit dès lors, ayant
sans cesse en pensée la passion du Seigneur, se déclarer la guerre à lui-même
comme a l'ennemi le plus funeste ; veilles, jeûnes, disciplines de fer, tous les
genres de tourments, eurent bientôt
fait de crucifier en lui la chair avec ses
vices et ses passions, le rendant
véritablement digne d'être rangé par sainte Thérèse au nombre des âmes les plus
pures et les plus saintes qui illustrassent alors l'Eglise de Dieu.
Toutes les vertus, jointes à
l'extrême austérité de sa vie, lui
formaient comme un rempart; assidûment plongé dans la contemplation des choses
divines, il éprouvait souvent de longues et admirables extases ; si grand était
l'amour dont il brûlait pour Dieu, que le feu divin, ne pouvant rester enfermé
davantage, s'échappait au dehors et entourait son visage de rayons. Grandement
zélé pour le salut du prochain, il s'adonnait à la prédication de la parole de
Dieu et à l'administration des sacrements. Tant de mérites, et l'ardent désir
qui le consumait d'une plus stricte discipline en son Ordre, le firent donner
par Dieu comme compagnon à sainte Thérèse, afin qu'elle pût, aidée de Jean,
rétablir la primitive observance du Carmel chez les frères comme elle l'avait
fait pour les sœurs. C'est pourquoi, dans cette œuvre divine, il supporta avec
la servante de Dieu d'innombrables travaux, visitant, sans nul souci des
fatigues et des dangers, chacun des monastères que la sainte avait fondés dans
toute l'Espagne, en établissant nombre d'autres lui-même, et partout propageant
l'observance restaurée, l'affermissant par sa parole et son exemple. Aussi
est-ce à bon droit qu'il est considéré comme étant, après sainte Thérèse, le
père et premier profès de l'Ordre des Carmes déchaussés.
Il garda toujours la
virginité, et non seulement repoussa, mais gagna au Christ des femmes éhontées
qui lui tendaient des pièges. Au jugement du Siège apostolique, éclairé par
Dieu comme sainte Thérèse dans l'explication des secrets divins, il écrivit sur
la théologie mystique des livres remplis d'une sagesse du ciel. Un jour,
interrogé par Jésus-Christ quelle récompense il demandait pour tant de travaux,
il répondit: Seigneur, souffrir, et être méprisé pour vous. Célèbre par son
empire sur les démons qu'il chassait fréquemment des corps, doué du
discernement des esprits, du don de prophétie, de la gloire des miracles, telle
fut toujours son humilité que souvent il implorait du Seigneur la faveur de
mourir en un lieu où il fût inconnu de tous. Son vœu fut exaucé. En proie à une
cruelle maladie, où cinq plaies suppurantes à la jambe donnèrent satisfaction
au désir qu'il avait de souffrir et firent voir son inaltérable patience, il
s'endormit dans le Seigneur à Ubeda, pieusement et saintement muni des
sacrements de l'Eglise, tenant embrassée l'image de Jésus crucifié qu'il avait
toujours eu dans le cœur et sur les lèvres, disant : Entre vos mains je remets
mon esprit. C'était au jour et à l'heure qu'il avait annoncés, l'an du salut
mil cinq cent quatre-vingt-onze, de son âge le quarante-neuvième. Un globe de
feu resplendissant reçut son âme; un parfum très suave se répandit de son
corps, que l'on garde toujours sans corruption à Ségovie en grand honneur. Les
éclatants et nombreux prodiges qu'il accomplit après sa mort comme de son
vivant, portèrent le Souverain Pontife Benoît XIII à le mettre au nombre des
Saints.
Puissent au Carmel et sur les
monts, comme dans la plaine et les vallées, se multiplier les âmes qui
concilient le ciel à la terre, attirent les bénédictions, écartent la foudre !
Saints que nous sommes par vocation l, puissions-nous à votre exemple et par
votre prière, ô Jean de la Croix, laisser la divine grâce agir en nous selon
toute la mesure de sa vertu purifiante et déifiante; car alors aussi nous pourrons dire un jour avec vous :
« O vie divine qui ne donnez la
mort que pour rendre la vie, vous m'avez blessée pour me guérir, vous avez
détruit en moi ce qui me retenait dans la mort. Sagesse divine, ô touche
délicate, Verbe qui pénétrez si subtilement la substance de mon âme, et la
plongez en des douceurs qu'on ne connaît pas dans la terre de Chanaan ni dans
celle de
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Théman (1) : vous renversez les
montagnes, vous brisez les rochers d'Horeb par la seule ombre de votre
puissance, et au prophète vous vous révélez par le murmure d'une brise légère (2).
O souffle divin, si terrible et si doux, le monde ne connaît pas votre suavité.
« Ceux-là seuls vous sentent, ô
mon Dieu et ma vie! ceux-là seuls vous reconnaissent à
votre délicatesse infinie, qui, s'éloignant du monde, se sont spiritualisés
tout entiers. Vous qui n'avez en vous rien de matériel, vous touchez l'âme
d'une manière d'autant plus intime et profonde, que votre être divin, affranchi
de tout mode, figure ou forme, l'a rendue elle-même plus simple et pure. Vous
cachant en elle, désormais séparée de tout souvenir de créatures, vous la
cachez à votre tour dans le secret de votre face divine, l'y mettant à couvert
de tous les troubles de ce monde. Vous l'étant réservée, tout autre objet,
qu'il soit d'en haut ou d'en bas, la fatigue ; et c'est pour elle une peine et
un tourment que d'avoir à s'en occuper (3). »
Rome honore aujourd'hui l'un de
ses illustres fils, Chrysogone, qui donna sa vie pour
le Christ à Aquilée, sous l'empire de Dioclétien. La splendide église qui porte
son nom, au Transtévère, garde le chef vénéré du
Martyr, et elle remonte, quant à sa première origine, au temps même du triomphe
de la foi sur l'idolâtrie. Chrysogone instruisit dans
cette foi sainte la bienheureuse Anastasie, comme lui Martyre, et dont la
mémoire se relie d'une façon si touchante au jour
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même de la naissance du Sauveur; on
sait comment, de temps immémorial, la deuxième Messe de Noël, celle de
l'Aurore, se célèbre en l'église de Sainte-Anastasie.
Chrysogone et sa fille spirituelle ont leurs noms
prononcés tous les jours aux diptyques sacrés.
ORAISON.
Soyez propice, Seigneur, à
nos supplications, afin que nous, qui connaissons le poids de notre iniquité,
soyons délivrés par l'intercession du bienheureux Chrysogone,
votre Martyr. Par Jésus-Christ.